Vers la résilience, le big bang ou les petits pas ?

Face à l’inéluctable accroissement du risque climatique, la construction et l’exploitation des bâtiments et infrastructures ne peuvent plus s’opérer comme avant. Mais peut-on aborder cette transformation systémique vers la résilience autrement que par un big bang ? Nous avons posé cette même question à Isabelle Spiegel, directrice environnement de VINCI, et Karim Selouane, fondateur du bureau d’étude spécialisé Resallience.

« Il faut accélérer » (Isabelle Spiegel, Directrice de l’environnement, VINCI) 

« La résilience fait déjà partie du vocabulaire de nombre de mes interlocuteurs, y compris à un niveau abouti de réflexion ou sur des sujets très opérationnels autour de la gestion et l’anticipation des aléas quotidiens sur chantiers. Mais le risque d’épisodes climatiques extrêmes reste lui bien moins pris en compte, alors que leur fréquence va s’intensifier. De même, cela fait longtemps que l’on gère la question des zones inondables, des risques sismiques et que les opérationnels de la construction d’ouvrages s’appuient sur des cartes de vulnérabilité. Le problème, c’est que de telles cartes existent pour 2030, voire 2050, mais les ouvrages doivent se penser à 50, 70, 100 ans. Nous avons donc, collectivement, un problème d’échelle.

Le besoin de bâtiments et d’infrastructures résilientes reste un sujet récent : dans son rapport Global Risk annuel, le Forum Économique Mondial ne positionne le risque climatique en première position que depuis trois ans [en 2019, les événements climatiques extrêmes et l’absence d’adaptation au changement climatique figurent sur le podium des menaces, tant en termes d’impact que de probabilité, ndlr]. Les risques vont se multiplier par 4 ou 6 d’ici 2050, et touchent déjà directement les « assets » de nombreux acteurs qui exploitent des infrastructures. Pourtant, il n’y a pas encore l’impulsion suffisante, qui nous permettrait d’avancer pour faire face à ces risques sur le moyen terme. Aussi, il n’y a pas de méthode commune pour l’évaluation des risques et de la vulnérabilité : chacun élargit ses évaluations en tenant compte de ces nouveaux risques, mais cela s’opère de manière trop disséminée.

Nous sommes aujourd’hui dans une politique des petits pas, que viennent régulièrement bousculer les événements. Certains incidents bien concrets (par exemple, une autoroute bloquée par une tempête de neige) obligent parfois à passer des paliers dans la préparation et la gestion du risque. Il faut encore accélérer et, pour cela, se mettre d’accord sur les horizons à prendre en compte, sur les bons niveaux de solutions à apporter et sur les méthodes. La réglementation aussi devra suivre, afin que les solutions – qu’un acteur comme VINCI peut déjà proposer à ses clients en la matière – puissent être effectivement retenues. »

« Mener une transformation qui ne soit pas cosmétique » (Karim Selouane, fondateur de Resallience

 

« Le mot résilience est en train d’entrer dans notre langage. De manière anecdotique, l’étiquette résilience remplace celle de RSE ou de développement durable dans beaucoup d’énoncés de postes sur LinkedIn. Pour ne pas entrer dans le piège d’une transformation qui serait cosmétique, il faut précisément objectiver la notion et la faire entrer dans un cadre techniciste. C’est « le » grand défi-chapeau : définir un périmètre de la résilience dans le domaine de l’ingénierie.

Les niveaux de maturité, aujourd’hui, sont très hétérogènes. Resallience accompagne des clients déjà dans l’urgence, mais aussi des clients soucieux de la rentabilité de leur investissement dans une infrastructure ou de leur réputation. Ceux-ci ne réussissent pas toujours seuls à déterminer ce qui fait qu’ils sont fragilisés. D’autres clients, enfin, comprennent les risques liés au changement climatique mais ne font pas la passerelle avec les enjeux d’adaptation.

Nous faisons partie de ces acteurs proactifs qui tentent de faire accélérer l’intégration des enjeux de résilience. Notre postulat de départ, qui vaut toujours aujourd’hui, est que nos villes, nos infrastructures (un trottoir ou un réseau électrique) et nos systèmes de création de valeur économique ne sont pas adaptés aux changements climatiques. Tout le monde est concerné, avec le vieillissement prématuré des infrastructures ou les risques d’exploitation accrus liés à la sur-fréquence de canicules, de tempêtes ou d’inondations. C’est un enjeu mondial, évidemment : en Indonésie, un très beau site industriel, conçu et bâti de manière moderne et « résiliente »… est en réalité situé sur un terrain où les routes s’effondrent devant la multiplication des inondations ou dont l’approvisionnement énergétique n’est pas garanti en cas de tempêtes.

Nous participons à la structuration d’un nouveau marché en menant de nombreuses actions d’acculturation des acteurs et de plaidoyer sur le plan institutionnel, tout en impliquant les réseaux universitaires et scientifiques pour faire émerger cette nouvelle ingénierie de la résilience.

Le « sujet » fait son chemin, et nous avons déjà des expertises ainsi que pléthore d’outils et de compétences pour intégrer la notion d’adaptabilité. Les logiciels, en effet, existent. Le défi porte avant tout sur le fait de combiner les solutions, de mobiliser toutes ces expertises et de les orchestrer afin d’adresser spécifiquement des réponses dédiées à la résilience. Il s’agit donc par-dessus tout d’activer les compétences d’acteurs et des solutions techniques déjà existants. »

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