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De Vingt mille lieues sous les mers à Avatar, la vie aquatique fascine encore et toujours. Après tout, les océans couvrent 71 % de la planète, abritent 80 % de toute la vie sur Terre, ainsi que d’importantes pompes biologiques de carbone et des réseaux trophiques marins. Autrement dit, ils contrôlent le climat et assurent une bonne partie de notre subsistance. En période de crise, il n’est donc pas étonnant que nos regards se déportent vers le grand bleu et nourrissent des projets de vie plus symbiotiques avec celui-ci.
Rêve sous-marin
En France, au début des années 60, le commandant Cousteau se demande si l’être humain peut vivre sous la mer. « Nous n’irons jamais vivre dans les plaines abyssales, par 3000 ou 6000 mètres de profondeur. Mais nous pouvons envisager qu’un jour l’humanité colonisera le plateau continental, ce prolongement des continents sous la surface de la mer, entre zéro et deux cent cinquante mètres de profondeur ». Les projets Précontinent conçus par l’océanographe – au nombre de trois – illustrent cette ambition : ils consistent à installer des habitats sous-marins entre 10 mètres (pour le premier) et 110 mètres de profondeur (pour le troisième). Ces structures accueillent plusieurs « océanautes » qui expérimentent la vie et le travail en milieu subaquatique. L’expérience montre que, si l’homme peut s’adapter à ces conditions extrêmes, il lui est difficile de vivre durablement dans un environnement privé de lumière naturelle.
L’exemple de Cousteau fait en tout cas des émules dans le monde entier. L’Union soviétique, l’Allemagne de l’Ouest et les États-Unis entament de grands programmes scientifiques visant à interroger la possibilité d’une vie sous-marine. Jusqu’à plus récemment, le projet japonais Ocean Spiral projetait en 2019 la construction à horizon 2030 d’une ville sous-marine. Le projet n’a finalement pas vu le jour, mais il est en train de se métamorphoser en projet flottant.
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Le quartier flottant néerlandais
Pas besoin d’aller très loin de nos contrées pour découvrir une vision pragmatique et durable de l’habitat flottant. D’après un rapport de l’ONU, d’ici 2050, environ 70 % de la population mondiale vivra en zones urbaines dont près de 90 % se situeront au bord de l’eau. Le changement climatique s’invite dans l’équation. Le GIEC estime entre 30 cm et 100 cm, l’élévation du niveau des océans. Les Pays-Bas s’intéressent de très près aux projets flottants depuis longtemps. En effet, près d’un tiers du pays se trouve sous le niveau de la mer. Il n’est donc pas étonnant qu’un lotissement flottant entier ait vu le jour : Schoonschip, au nord d’Amsterdam. Depuis 2019, le quartier abrite une trentaine de maisons. L’expertise du pays se traduit également dans les projets flottants imaginés – entre autres – par les cabinets d’architecture locaux Waterstudio et Blue21 : pavillon, chalet, île et même aéroport sont soumis à la question de l’élévation du niveau de la mer.
Waterstudio est rompu à la construction de résidences flottantes – comme en témoigne le quartier Citadel, composé de 60 appartements – ou l’ambitieuse Maldives Floating City qui prévoit 5000 maisons nichées à l’intérieur d’un lagon de 200 hectares. Koen Olthuis, le directeur de Waterstudio décline aussi son concept pour l’hôtellerie de luxe : l’architecte a imaginé un hôtel sous forme d’un flocon de neige de 120 mètres de diamètre au large de Tromsø en Norvège.
Du côté de Blue 21, l’eau se conjugue avec les airs. « L’aéroport de Schiphol (situé à Amsterdam) – le plus grand d’Europe – a atteint ses limites. Et s’il était relocalisé sur la mer du Nord ? ». C’est la proposition émise par le cabinet d’architectes. Présentée en 2018, elle ne s’est toujours pas concrétisée. Blue21 développe en revanche régulièrement des habitats flottants, à l’instar de Floating Boekhome – des chalets.
En proie aux évènements climatiques extrêmes – tsunami, tremblement de terre – le Japon réfléchit également à sa propre vision d’une cité flottante. L’idée ? Une cité sur l’eau de 1,58 kilomètres de diamètre, en mesure d’accueillir 10 000 résidents et les 30 000 individus qui y travailleront. Portée par l’entreprise N-Ark, Dogen City aspire à être un ensemble auto-suffisant nourri par le produit d’une agriculture hydroponique. Si l’idée est soutenue par un consortium d’acteurs industriels, académiques et gouvernementaux, elle se heurte à une estimation de budget particulièrement élevé : 800 milliards de dollars.
« L’économie bleue, c’est l’avenir » précise d’emblée Frédéric Pons, le fondateur de l’ONG Civilisation Indigo. Notre concept de Smart offshore Ecosystem (SOE) est un laboratoire du futur pour apprendre à travailler et à vivre en symbiose avec et sur l’océan. Il a l’ambition de rassembler de petites communautés au sein d’infrastructures flottantes multi-usages, modulables et biophiles pour y travailler, puis éventuellement y vivre. »
Pour l’heure, la commune de Bora-Bora s’est associée à l’ONG pour étudier, modéliser, simuler et expérimenter le premier SOE au monde. Cet écosystème, au service des générations polynésiennes futures, vise à répondre à plusieurs défis actuels et futurs de l’île : autonomie alimentaire et énergétique, adaptation au changement climatique, résilience socio-culturelle, amélioration du cadre de vie de la communauté, préservation du patrimoine naturel et diversification économique. Le projet comporte une dimension scientifique importante avec la participation de chercheurs du CRIOBE, de l’IFREMER, du CNRS et des acteurs du droit maritime.
Dans un contexte où le défi de s’adapter à l’élévation du niveau de la mer devient de plus en plus pressant, il apparaît plus que jamais essentiel de fonder l’action publique et collective sur des connaissances scientifiques solides. Le projet mené à Bora-Bora illustre l’importance de cette approche, seule capable d’apporter des réponses durables et adaptées aux réalités locales, tout en nourrissant des solutions utiles à d’autres territoires confrontés aux mêmes enjeux.
Là où la terre recule, les humains doivent réapprendre à vivre avec l’eau. Les habitats flottants sont peut-être l’une des pages d’un nouveau chapitre entre l’océan et l’humanité.