“La 5G s’inscrit dans 40 ans de progrès et de changements continus » rappelle en ouverture de la table ronde François Lemaistre, Brand Manager d’Axians (VINCI Energies). Quatre générations ont ainsi précédé la 5G : tous les dix ans environ, chacune d’elles a multiplié la bande passante par 10 et rendu possibles de nouveaux usages. Et la 5G n’est en rien un aboutissement : alors même qu’elle est très attendue, les opérateurs travaillent déjà sur la 6G.
Pour l’heure, la 5G est porteuse de trois évolutions majeures. D’une part, la bande passante est multipliée par 20, permettant des usages plus gourmands en données. D’autre part, le délai de transmission (la latence) devrait passer de 10 ms en 4G à 1 ms, offrant ainsi une meilleure réactivité. Et enfin, la capacité est décuplée, c’est-à-dire que le nombre de dispositifs connectés par mètre carré augmente. François Lemaistre relativise d’emblée : « La mauvaise nouvelle ? On ne peut pas avoir les trois avantages en même temps sur un dispositif. Il faut choisir. » Bonne nouvelle en revanche : grâce au network slicing, il est possible de créer des tranches virtuelles au sein du même réseau pour faire cohabiter différents usages.
Un nouvel écosystème
« Un élément clé de la 5G est l’architecture centrée sur les usages » précise Michael Einhaus, professeur à l’Université des sciences appliquées de Leipzig. « Il ne s’agit pas d’une nouvelle interface, c’est un nouvel écosystème complet qui offre beaucoup de flexibilité. Le défi, c’est de parvenir à optimiser toute cette liberté ». Si la 5G est attendue pour optimiser l’approvisionnement énergétique (smart grid) ou la consommation des bâtiments (smart building), elle joue également un rôle central dans le développement du véhicule autonome, comme le rappelle Tony Jaux, président de Vedecom, l’institut de recherche français dédié aux mobilités durables.
Il explique : « c’est la base de la communication V2X qui connecte la voiture à son environnement (piétons, infrastructure, autres véhicules…). Grâce au mobile edge computing (MEC), le traitement de l’information pourra en effet être décentralisé et placé sur la route. La latence sera nettement réduite mais surtout les véhicules pourront faire l’économie d’une partie des dispositifs de calculs embarqués. Si l’industrie automobile cherche encore des cas d’usage, « de nombreux acteurs essayent d’obtenir leur part du gâteau, des start-up mais aussi les géants des GAFAM. Il faut réussir à sortir notre épingle du jeu » conclut Tony Jaux.
La place au débat public
De nombreux sceptiques s’inquiètent en France et ailleurs sur l’impact environnemental de la 5G, les télécommunications représentant déjà 2 à 5% des émissions de CO2 dans le monde. Thomas Reynaud, le directeur général de l’opérateur français Free, se veut rassurant : « c’est la première technologie à prendre en compte son efficacité électrique et environnementale ». Pour autant, il prend la question au sérieux et mise sur l’intelligence collective. « Free a commencé à installer des antennes, mais elles ne seront pas allumées tant que le débat public est en cours. Les inquiétudes étaient les mêmes pour la 4G. Laissons aux citoyens le temps de comprendre les enjeux, cela créera un effet domino positif. » Dans ce sens, il invite les industriels à prendre part en chiffrant et en évaluant les effets de la 5G.
Défi d’infrastructure
En parallèle de ce débat public, partout dans le monde, le déploiement de la 5G s’accélère. La Chine et les États-Unis font figure de pionniers. Une centaine de millions de personnes est déjà connectée à la 5G, on en attend à terme 2 à 3 milliards. Par ailleurs, comme le rappelle François Lemaistre, la balance entre les investissements pour la 4G et la nouvelle génération est en train de s’inverser, au profit de cette dernière. Un signe qu’il veut très encourageant.
Pour l’Allemagne qui s’est lancée dans la course un an avant la France, cette question de l’investissement est au cœur du débat. En bouclant les enchères d’attribution des fréquences à 6,5 milliards d’euros (contre 2,8 milliards en France), l’État a peut-être limité la capacité d’investissement immédiate des opérateurs, mais il s’est doté d’une enveloppe conséquente pour flécher les investissements vers les zones blanches. Le plan de relance allemand donne en effet la priorité au développement des infrastructures numériques du pays.
Pour autant, le directeur des activités 5G d’Axians en Allemagne Armin Przirembel témoigne des freins administratifs et financiers rencontrés par les acteurs de la 5G outre-Rhin : les autorisations pour la construction de nouvelles antennes 5G tardent à arriver, ce qui freine le déploiement. Ces antennes à courte portée sont également les plus puissantes. L’expert souligne l’importance du marché pour les industriels qui souhaitent se doter de réseaux privés. Très attendue dans l’usine, la 5G permet de connecter l’appareil productif vers la quatrième révolution industrielle.
Ce qu’il est déjà possible de faire
Professeur adjoint à l’université HAW Hambourg et Innovation Scout chez Lufthansa Industry Solutions, Claudius Noack a justement pu partager son retour d’expérience des usages des réseaux privés dans l’industrie. Pragmatique, il rappelle que la plupart des innovations promises à terme par la 5G sont encore en gestation, et préfère concentrer ses recherches sur ce qu’il est déjà possible de faire. Graphique à l’appui, il détaille notamment les intérêts d’une connexion 5G par rapport au Wifi au sein d’un entrepôt, au premier rang desquels la disparition des effets de latence générés par le passage d’un point d’accès à un autre.
Il explique également comment l’installation de la 5G dans les ateliers de la Lufthansa en janvier 2020 s’est révélée être un pari gagnant : la faible latence vidéo a permis de réaliser des travaux d’inspection à distance sur des pièces de moteurs, avec des gains de temps considérables à la clé. Lorsque la pandémie a frappé, cette expérimentation s’est révélée précieuse pour poursuivre les opérations de maintenance et elle s’est généralisée. Une preuve que ces progrès peuvent d’ores-et-déjà être implémentés, sans attendre de nouvelles infrastructures, technologies ou autorisations.