De 2019 à 2022, le marché mondial de la robotique devrait connaître une croissance de annuelIe moyenne à deux chiffres. Selon d’autres projections, le marché, qui avait déjà doublé de volume de 2005 à 2015, va tripler d’ici à 2025. Quelle sera la part de la construction, l‘un des secteurs comparativement les moins digitalisés et robotisés, dans ce mouvement ? Si les chiffres manquent, les avancées, elles, se font de plus en plus concrètes. Dans un domaine traditionnellement dominé par le continent asiatique, un facteur persiste : la présence continue d’entreprises japonaises parmi les principaux acteurs de cette nouvelle vague.
Le pays des robots levant
Au même titre que son iconique robotique domestique humanoïde, la robotisation de l’industrie japonaise est en effet une référence. Dans un pays qui accueillera en 2020 un nouveau World Robot Summit, la robotique de construction a donc déjà ses fleurons. Komatsu d’abord, l’un des leaders mondiaux des équipements de construction, est connu pour ses systèmes intelligents de pilotage et de manipulation des machines, mais s’est aussi, et dès 2017, allié avec le leader mondial des processeurs Nvidia, pour lancer une plateforme d’inspection automatisée de ses chantiers, drones et caméras à l’appui. Fujita, l’un des principaux zaibatsu du pays, s’est lui fait un art des méthodes de construction automatisées et de la téléopération de robots bétonneurs ou démolisseurs. Shimizu, enfin, l’un des leaders japonais du bâtiment, a lancé dès 2018 sur un important chantier d’Osaka plusieurs robots autonomes de son cru, pour l’élévation et le transport de matériaux, la soudure et des travaux polyvalents de construction.
Shimizu, au moment de lancer ces trois « buddies » (terme qu’il préfère à « robots »), évoque le concept de « site intelligent » (schéma et vidéo), un chantier idéal qui « connecte des robots autonomes équipés en IA et en BIM […] et les fait travailler aux côtés des humains ». Une vision stratégique qui induit, de manière très classique, l’objectif d’augmenter la productivité et de réduire « autant que possible le travail éprouvant et répétitif », mais aussi, plus étonnamment peut-être aux oreilles européennes, de « créer un site de travail qui attire les jeunes et leur donne envie de travailler ici ».
Une réponse à l’équation besoin en infrastructures / pénurie de travailleurs
C’est que le secteur japonais du bâtiment et des infrastructures est confronté depuis de longues années à une pénurie de travailleurs qualifiés : une donne à la fois systémique et amenée à s’aggraver, qui invite le pays à se tourner vers la cobotique. L’objectif est non seulement d’automatiser certaines tâches afin d’éliminer le facteur humain, mais aussi d’améliorer la sécurité sans perdre en productivité, le tout en donnant un vernis plus moderne au secteur, ces deux derniers points constituant une stratégie de marque-employeur à l’échelle du secteur.
Si Shimizu investit près de 30 millions de dollars en robotique sur les trois prochaines années, c’est ainsi (surtout ?) en raison d’un marché du travail plus exsangue que jamais et d’une pyramide des âges dont les projections n’invitent guère à l’optimisme. Ces dépenses en capital, conséquentes, se font, à marche forcée, certes, mais se font – ce qui n’est pas le cas de tous les pays qui annoncent une révolution de l’automatisation. Et si les effets de ces investissements étaient encore considérés, il y a moins de deux ans, comme « marginaux », la donne pourrait changer. Les JO de Tokyo en 2020 et les impératifs toujours plus vifs de la reconstruction post-cataclysmes naturels sont en effet deux fers de lance de ce que le Japan Times caractérisait récemment d’infrastructure boom.
La construction est, au Japon, le secteur qui investit le plus dans la R&D (les investissements ont ainsi augmenté chaque trimestre depuis trois ans). La robotique en profitera nécessairement, si bien que le principal défi ne réside que, selon les analystes, dans la montée en compétences des travailleurs amenés à collaborer avec les « buddies »… Probablement pas le dernier chapitre de l’histoire déjà plus-que-trentenaire (une éternité en robotique !) de la robotisation de la construction au Japon.