Building Beyond – Jour 1 – Réinventer notre relation au vivant

En s’invitant sur le pavé des villes lors des premiers épisodes de confinement, belettes, renards, daims et autres canards ont interpellé les habitants des villes. Parenthèse enchantée ? Bien davantage, nous fait comprendre la philosophe Joëlle Zask en ouverture de cette première journée du festival Building Beyond, titrée "Réinventer notre relation au vivant".

Le vivant, y compris sauvage, est de retour dans les villes, notamment parce que celles-ci se déploient toujours plus vers les espaces naturels. Non sans risques : ceux de dégrader la biodiversité et les services vitaux qu’elle fournit aux humains. Mais non sans opportunités également : le vivant entre désormais dans les modèles économiques, on le protège, on le reconstruit, il nous inspire. L’urgence est au renouement

C’est par la ville que commence la renaturation. Au fur et à mesure que les villes consomment les forêts et les campagnes, populations et animaux convergent vers les zones périurbaines; les animaux y trouvent des moyens de subsistance. Pour l’auteure de “Zoocities”, la démocratie et le soin accordé au vivant vont de pair, et les villes peuvent être le lieu où s’aménage la bonne distance aux autres, vivants humains et non humains, chacun jouissant de sa niche écologique, chacun empruntant des corridors lui permettant d’échanger, de manière indépendante, avec son milieu.

> (re)voir la conférence « Villes et vivant, vers un nouveau pacte ? » de Joëlle Zask, professeur de philosophie à Aix-Marseille Université, auteure de « Zoocities – Des animaux sauvages dans la ville », Premier Parallèle, août 2020.

 

 

– Comment compenser les atteintes aux écosystèmes naturels rendues nécessaires par les projets d’aménagement et de construction ? Comment prendre enfin conscience de la valeur des services rendus par la nature ? Isabelle Spiegel, Directrice de l’Environnement de VINCI, rappelle qu’en matière de préservation de la biodiversité, la règle « Éviter, Réduire, Compenser » s’applique pour tous les projets de VINCI. Quant à attribuer des quotas, des indicateurs, des montants au vivant – l’exercice reste encore local, la nature résistant aux évaluations systématiques. Cela n’empêche pas l’économiste Harold Levrel, professeur à AgroParisTech, d’œuvrer à l’élaboration d’une véritable comptabilité écologique, et de plaider pour un contrôle public plus soutenu de l’application de lois nombreuses et exigeantes encore trop souvent incantatoires.

 

> (re)voir la table ronde  « Les entreprises et le vivant », avec Isabelle Spiegel, Directrice de l’Environnement de VINCI et Harold Levrel, professeur à AgroParisTech

 

Pour créer des écosystèmes résilients, il faut parfois refaire de la place à la nature. Une rivière retrouvant ses méandres, une zone humide se reconnectant avec les ruisseaux avoisinants, tracer des trames bleues et vertes : voilà le savoir-faire des techniciens et écologues travaillant chez Equo Vivo, la marque spécialisée dans la renaturation de VINCI Construction. Ils s’appuient pour cela sur une science en pleine effervescence, qui expérimente, au gré des sites, diverses pratiques de renaturation, tel l’enherbement à base de variétés locales étudié par l’écologue Anaël Mayeur sur le parcours du contournement autoroutier de Strasbourg. Renaturer, c’est aussi inviter la nature en ville, autrement. L’agence WALD de l’architecte paysagiste Clément Willemin propose d’installer des filtres pluviaux végétaux sur les façades des bâtiments. Une climatisation verte, c’est possible !

> (re)voir la table ronde  « Renaturation: comment créer des écosystèmes résilients ? », avec Lionel d’Allard, directeur d’EquoVivo ; Anaël Mayeur, écologue, doctorant AgroParisTech ; Clément Willemin, architecte paysagiste, fondateur de l’agence WALD

 

Le vivant, ce sont des milliards d’années d’optimisation de procédés et matériaux, dont des millions de spécimens dorment à l’abri des collections des Muséums d’histoire naturelle, attendant que les ingénieurs y trouvent des solutions aux urgences d’aujourd’hui. Tel pourrait être le message commun des participants à la table ronde « À la découverte de la ville biomimétique ». Le biomimétisme entre aujourd’hui dans une phase très active, poussée par la recherche de solutions de construction sobres en matière et en énergie – le secret le mieux gardé de la nature, que savent désormais mobiliser architectes, ingénieurs et constructeurs.

 

> (re)voir la table ronde  « A la découverte de la ville biomimétique » avec Clémence Béchu, Associée Directrice du Développement, Agence d’architecture Béchu et associés ; Kalina Raskin,  Directrice générale du CEEBIOS (Centre d’études et d’expertise en biomimétisme) ; Alain Renaudin, Président Fondateur NewCorp Conseil, créateur de Biomim’expo; Jim Rhoné, Président et co-fondateur de Soliquid

 

Faire de la place aux sols vivants, faire entrer le paysage végétal dans les villes: tel est un des axes suivi par la paysagiste Jacqueline Osty tout au long de sa carrière, saluée par le Grand Prix de l’Urbanisme en 2020. En conversation avec Aldo Bearzatto, co-fondateur du festival « Close-Up – Ville, architecture et paysage au cinéma », la paysagiste revient sur ses inspirations, son rapport au vivant, et revient sur quelques-uns de ses projets les plus marquants, comme le parc Martin Luther King, zone « artificiellement naturelle » créée dans le quartier des Batignolles, à Paris. Une conversation passionnée, ponctuée par des extraits de fictions et documentaires.

 

> (re)voir le Ciné-débat « Lorsque le paysage s’anime » avec Jacqueline Osty, paysagiste, Grand Prix de l’urbanisme, Aldo Bearzatto, co-fondateur du festival Close Up (13-19 octobre, Paris et Ile de France).

 

Sources

« Zoocities – Des animaux sauvages dans la ville », Premier Parallèle, août 2020** – « Villes et vivants, vers un nouveau pacte ? »

Millenium Ecosystem Assessment : en 2005, après 4 ans de recherches menées par un consortium de plus de 1000 scientifiques sous l’égide de l’ONU est publié le “L’évaluation des écosystèmes pour le millénaire”; 23 services écosystémiques y sont répertoriés. La liste inclut des services de régulation (filtration des eau, recyclage des déchets organiques…), des services d’exploitation pour l’alimentation (cultures), des services récréatifs, non extractifs (observation, promenade, spiritualité…);

– Rapports de l’IPBES (2019) et conclusions du Congrès de l’UICN (2021)

Loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (France, 2016)

Loi Climat et résilience (France, 2021)

– Janine Benyus, « Biomimicry: inspiration inspired by Nature« , l’ouvrage qui en 1997 a démocratisé le biomimétisme

 

Chiffres clés

– 2 milliards d’être humains en plus dans les villes d’ici 2050

– 30% des espèces répertoriées par l’UICN sont menacées

– 1 km d’autoroute = 4 ha de dépendance verte

– L’Europe pèse 40% des publications scientifiques mondiales sur le sujet du biomimétisme; la France 200 équipes de recherche environ

 

A méditer

Joëlle Zask

“L’arrivée des animaux sauvages en ville réinitialise notre vision de la ville. Je crois utile de mobiliser l’idée de voisinage, pour transformer la ville en cité et nous mettre sur la voie d’une conscience écologique élargie; le voisinage, c’est la recherche de la bonne distance, qui n’éradique pas la nature ni ne cherche à cohabiter avec elle.”

 

Harold Levrel

“Quand on parle de compensation, il faut bien avoir en tête que nombre de milieux ne se prêtent pas à compensation. Il n’y a aucun sens à imaginer, par exemple, compenser une tourbière multicentenaire.”

 

Isabelle Spiegel

“On sait assez bien comptabiliser les émissions de GES, beaucoup moins les services rendus par les écosystèmes, qui sont très hétérogènes et ne peuvent se ramener à une unité de mesure unique.”

 

Alain Renaudin

“Ce qui est nouveau, ce n’est pas le biomimétisme, c’est l’urgence de nos enjeux. Le biomimétisme est un outil de sortie de crise, c’est un mode opératoire de l’économie durable. Le vivant, c’est une approche smart des ressources.”

Clément Willemin

“Plutôt que de cultiver des carottes sur les toitures, je crois plus durable et adapté à ce type de site la création de jardins de « simples », des arboretums, où s’échanger plantes et recettes.”

Jacqueline Osty

“La paysagiste a longtemps été vu comme quelqu’un qui fait des jardins, à la suite des plans conçus par les architectes; désormais ce travail se fait en interaction bien plus intégrée, en raisonnant sur les creux entre les bâtiments, et pas seulement à partir du plein, du bâti. La prégnance de la préoccupation environnementale nous pousse à regarder les sols autrement, pour en faire des milieux vivants.”

Regards neufs

sur les jardins partagés: pour Joëlle Zask, ce se sont pas des espaces d’urbains réservés à certains privilégiés, mais bien au contraire des espaces très communs, présents partout dans le monde, puisant leurs racines dans les cultures familiales vivrières, où l’on apprend à expérimenter le vivant, où se développe une authentique puissance d’agir.

sur la valorisation de la nature: une alternative à la monétisation des services consiste, selon Harold Levrel, à considérer la nature comme un agent, fournisseur d’une force de travail méritant salaire. L’idée est alors d’évaluer combien coûte le maintien en bon état de la capacité de cet agent à rendre ses services.

sur l’aménagement des parcs urbains: forte de son expérience au parc Martin Luther King dans le quartier des Batignolles à Paris, devenu une « gigantesque salle de sport à ciel ouvert », Jacqueline Osty recommande de ne pas figer les usages, de laisser les habitants les inventer.

 

 

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