Building Beyond – Jour 4 – Redéfinir le progrès

La science, à force de montrer le pire, aurait-elle affaibli l’idée de progrès, brisé les ailes des acteurs économiques, incité les sociétés au déni et à la confusion ? La décennie décisive appelle à renouveler l’idée même de progrès, inventer de nouvelles formes de débats pour fixer aux économies et aux technologies un cap acceptable par tous et compatible avec la préservation de l’environnement.

 

L’idée de progrès a besoin d’être revivifiée. Pour le physicien et philosophe des sciences Etienne Klein, la notion de progrès a été fossilisée dans sa signification initiale, au siècle des Lumières. Condorcet par exemple estimait que tout progrès scientifique doit engendrer un progrès technique, qui doit engendrer un progrès matériel, qui doit entraîner un progrès moral… Mais il n’existe pas de tel embrayage technologique, souligne le philosophe. Et si l’on est cohérent, l’idée de progrès elle-même doit progresser. Comment ? En retravaillant l’idée de rationalité de façon à ce qu’elle ne tienne plus lieu d’alibi à toutes sortes de dominations, et en actant ce que la science nous a appris : la nature nous impose des limites, dans le cadre desquelles doit s’écrire un progrès technique débattu, y compris par les ingénieurs, invités à dire ce qu’ils savent, ce qu’ils font, et ce qu’ils pensent de ce qu’ils font.

> (re)voir la conférence d’Etienne Klein, « Faire progresser l’idée de progrès »

 

Des déplacements choisis, conscients, plus lents, moins extensifs – tels sont les nouveaux horizons du voyage, qu’invitent à redessiner l’urgence climatique et les leçons tirées de la pandémie. L’indispensable décarbonation du secteur des transports et du tourisme passe par d’importantes transformations techniques. Les autoroutes s’ouvrent aux transports collectifs et aux véhicules électriques, les avions aux biocarburants de nouvelle génération. La transformation des usages reste encore à conquérir et l’avenir du tourisme passe par la fin des externalités ignorées », insiste Elise Bon (VINCI Autoroutes).

> (re)voir la table ronde « Voyager à l’heure des limites planétaires », avec Elise Bon, Directrice de l’environnement, VINCI Autoroutes, Rémy Knafou, géographe, professeur émérite, université Paris 1, Agnès Plagneux-Bertrand, adjointe au maire de Toulouse

 

L’économie est contrainte par les limites physiques de la planète, et les niveaux de productivité actuels ont été permis par un accès aisé aux énergies fossiles. Décarboner la société, comme le rappelle le Shift Project, implique ainsi très probablement de dégrader les niveaux de productivité obtenus grâce au pétrole. Les entreprises ont une capacité d’agir très importante dans la transition à mettre en place, à condition d’imaginer de nouveaux indicateurs de performances, d’inventer de nouveaux modèles d’affaires, au service de la société. La finance durable est un des outils de cette transformation. Elle identifie et certifie les investissements dont l’impact environnemental est cohérent avec les trajectoires aptes à limiter le réchauffement climatique et ses conséquences – y compris en investissant sur les métiers et compétences d’avenir.

> (re)voir la table ronde « Transition environnementale : réussir la conversion de l’économie et des métiers », avec Arthur Auboeuf, co-fondateur « Time for the Planet »; Matthieu Auzanneau, Directeur exécutif, The Shift Project ; Pascale Ford Maurice, Head of sustainable banking for corporate in Europe, Crédit Agricole corporate & Investment Bank

 

Une controverse s’inscrit toujours dans un état d’opinion qui la précède et en conditionne, bien souvent, l’intensité. Les débats parfois houleux au sujet de la 5G, des éoliennes, de l’IA, des technologies d’assistance à la procréation… n’échappent pas à ce constat. Les échanges sont, parfois, davantage marqués par le ton de la conflictualité que par celui de la discussion sereine et accessible à tous. Des règles existent pourtant pour instaurer un débat constructif : bien définir le périmètre et les marges de manœuvre des parties prenantes, assurer la sincérité des informations versées au débat, en les circonscrivant au champ de la connaissance… Rien n’indique cependant qu’un débat public abouti parvienne nécessairement à un consensus.

> (re)voir la table ronde « 5G, véhicules autonomes, éoliennes, IA : qu’est-ce qui rend les technologies acceptables… ou pas ? », avec Claude Arnaud, Président d’Efficacity ; Sarah Grau, Co-directrice de Décider ensemble ; Thierry Ménissier, Professeur des universités à l’université Grenoble Alpes ; Luc Picot, Secrétaire général de la Commission du débat public « Éoliennes en mer en Nouvelle-Aquitaine »

#Rire de la smart city !

Dans les villes, on voudrait tout faire devenir « smart » : les feux rouges, les réverbères, les plaques d’égouts… Et nous dans tout ça ? Sommes-nous en passe de devenir plus « smart » grâce à cela ? L’humoriste Michaël Hirsch était l’invité du festival et nous livre sa vraie définition du progrès !

> (re)voir le seul en scène de l’humoriste Michaël Hirsch, « Villes intelligentes : quelle place pour les humains moyens ? »

À la source

– Etienne Klein, « Sauvons le progrès« , Editions de l’aube, 2019

– Rémy Knafou, « Sauver le tourisme – sauver nos vacances sans détruire le monde« , éditions du Faubourg, 2021 – Thierry Ménissier, « Innovations, une enquête philosophique« , Hermann Philosophie, 2021

– F. Terrade et al., « L’acceptabilité sociale : la prise en compte des déterminants sociaux dans l’analyse de l’acceptabilité des systèmes technologiques« , in « Le travail humain », 2009

– Mélanie Laurent, Cyril Dion, « Demain« , 2015

 

Chiffres clés

– 1,5 milliards: nombre d’arrivées annuelles dans les aéroports internationaux en 2019

– 10 tonnes par an et par personne : émissions de CO2 des Français ; elles devraient atteindre 2 t/an/personne en 2050 pour respecter les objectifs des accords de Paris

– 30% : part des transports dans les émissions nationales de gaz à effet de serre

– 30 fois la surface de Paris : surface foncière le long du réseau de VINCI Autoroutes

– 20 à 40 milliards d’euros par an : montant annuel d’investissement pour respecter la Stratégie Nationale Bas Carbone, d’après le cabinet I4C

– 2,8 L/100km par personne : la consommation en carburant lors d’un vol en turbopropulseur (moteur à hélice)

 

À méditer

Etienne Klein

« Ce qui justifie l’innovation, aujourd’hui, n’est souvent pas une certaine idée du futur, mais une réaction à l’état critique du monde présent ; c’est donc un principe de conservation qui est en jeu, et c’est une conception assez angoissante de l’activité créatrice. »

« Le droit de savoir, un peu paresseux, doit se transformer en désir de connaissance. Or se forger un avis, c’est un travail… de forgeron : ça exige des efforts, ça prend du temps. »

« Croire au progrès, c’est commencer par voir les défauts du monde. Et si le fait que nous ne cessions de parler de “crise” était le signe qu’en réalité nous croyons au progrès ? »

Rémy Knafou

« Dans les pays en développement, l’extension des pratiques de vacances, dont le voyage à l’étranger, est un des indicateurs les plus sûrs de l’amélioration du niveau de vie. Les flux touristiques sont appelés à augmenter. Mais il va falloir réguler ces flux, par les tarifs, par les taxes, afin que l’on voyage moins loin, sans doute, moins souvent, mais plus longtemps, de manière plus consciente, plus réflexive. »

Matthieu Auzanneau

« L’approche de la transformation écologique par les seuls outils n’est pas suffisante, on l’a vu avec le mouvement des gilets jaunes, né en réaction à la taxe carbone. Il manquait le « plan de montage », qui explique comment chaque outil doit être utilisé, ce qui va être offert aux « perdants » de la transition, et qui se focalise sur les métiers et les compétences. »

Thierry Ménissier

« Je soutiens l’idée qu’on ne peut pas innover si on ne comprend pas intimement les réticences à l’innovation, si on ne les appréhende pas sur le registre émotionnel. Et je crois qu’il faut en finir avec la notion d’acceptabilité. C’est grâce à elle que l’innovation passe pour du progrès; mais cela relève de la science du marketing. »

Sarah Grau

« Le premier débat, c’est de se demander si la technologie est souhaitable, désirable. Or mettre en débat peut faire peur, les plus virulents s’exprimant en premier. Il ne faut pas perdre de vue cependant que le débat permet d’éveiller l’intérêt, de favoriser l’acquisition de connaissance, puis d’identifier les points de consensus et les lignes rouges. »

 

Regards neufs

…sur la rationalité : si les climatologues ont été insuffisamment entendus depuis 40 ans, rappelle Etienne Klein, c’est qu’on été confondues la science et la recherche. Or elles sont différentes. La science est un corpus qui donne de bonnes réponses à des questions bien posées. Ce corpus de connaissances est incomplet, il pose des questions auxquelles nous n’avons pas les réponses, qui motivent la recherche, dont le moteur est le doute.

… sur le tourisme : le tourisme « de la dernière chance », qui voit 50 000 visiteurs se rendre en Antarctique chaque année, pèse peu en volume, mais beaucoup symboliquement. Renoncer au tourisme en Antarctique – où personne ne vit – plaide Rémy Knafou, inciterait à s’éloigner du modèle du « toujours plus loin » encore en vigueur. Il appelle par ailleurs à un rééquilibrage entre les destinations subissant le sur-tourisme et celles qui pourraient au contraire répondre à la demande de manière durable.

…sur le transport aérien : avec les efforts de décarbonation, le champ des possibles technologiques s’ouvre à nouveau. Retour en grâce des turbopropulseurs, montée en maturité des filières de biocarburants nouvelle génération, motorisation hybride électrique/carburant, e-VTOLS, etc. Le secteur se réinvente en profondeur, après des décennies d’optimisation à la marge.

… sur l’efficacité énergétique : la plupart des exercices de prospective des grandes institutions, observe Matthieu Auzanneau (The Shift Project) partent du principe que des progrès importants et rapides peuvent être faits en matière d’efficacité énergétique. Or les vitesses de progression attendues sont peu probables, et n’ont jamais été observées par le  passé.

… sur la finance : la finance durable fait partie de la « caisse à outils » de la transition écologique. Elle s’appuie notamment sur des produits de dette, auxquels sont associés des certificats sur l’impact positif des investissements sur l’environnement. La finance durable prend une part croissante du marché obligataire – environ 20% des nouvelles émissions de dette.

… sur les controverses techniques : il existe un lien entre l’absence de planification publique (ou son insuffisante clarté) et l’intensité des controverses techniques. Luc Picot prend pour exemple le débat autour des éoliennes, en France. Il s’est imposé avec force dans la conversation publique en même temps qu’il devenait de plus en plus difficile de comprendre quelles étaient les intentions de long terme de la puissance publique en termes de développement de cette filière.

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