Christian Clot interviendra le 24.04 pendant le festival Building Building Beyond « Adaptation : des villes en commun face au défi climatique » : Détails et inscription
De quelle manière abordez-vous la question de l’adaptation chez l’homme ?
Le Human Adaptation Institute est un institut de recherche-action qui a pour vocation de créer des expéditions de recherche. Les dernières que nous avons menées s’intitulent Deep Climate. J’ai emmené 20 personnes dans 3 milieux différents pendant 40 jours. Il s’agissait de milieux très chauds et secs, très chauds et humides et très froids, pour essayer de comprendre l’impact du changement climatique sur la santé humaine, sur la cognition, sur les systèmes collaboratifs. Nous plongeons les individus dans de nouvelles conditions de vie et nous observons de quelle manière ils s’adaptent.
Quelles leçons en tirez-vous pour nos sociétés, nos collectifs, nos territoires ?
La grande leçon, c’est que l’humain est capable de s’adapter et de changer. C’est une bonne nouvelle car nous allons devoir modifier nos comportements pour réduire nos émissions. Mais pour cela, nous avons besoin de bons impulseurs émotionnels. Sans eux, il est très difficile d’entamer un changement. La deuxième leçon, c’est que la coopération permet beaucoup de choses. Nous avons observé que des personnes sans expérience des milieux hostiles sont parvenues à très bien se débrouiller grâce à une bonne coopération. Enfin, nous constatons que pour s’adapter et penser le futur, les humains ont besoin d’un espace cognitif suffisant. Ils doivent donner du temps à leur cerveau pour imaginer, réfléchir et penser. Dans nos sociétés, la sur-occupation des cerveaux ne laisse pas l’espace nécessaire à cette réflexion. Pour bien construire l’avenir, il est important de limiter la quantité d’informations que nous recevons au quotidien.
Vous évoquez les « impulseurs émotionnels ». De quoi s’agit-il ?
Si vous n’avez jamais connu la chaleur, il est difficile de comprendre qu’il faut changer un comportement aujourd’hui pour éviter la surchauffe demain. La sensorialité joue un rôle fondamental. Une large majorité des associations qui luttent aujourd’hui contre la maladie, la pauvreté, ou la faim ont été créées par des gens qui y ont été confrontés, directement ou via leurs proches. L’engagement part d’un ressenti.
Sommes-nous capables d’adapter nos comportements sans sacrifier une part de confort ?
Tout dépend de ce que l’on entend par confort. L’adaptation nécessite de perdre quelque chose pour en gagner une autre. L’exemple de la consommation de viande est emblématique. Manger moins de viande peut avoir un impact très important, sur les émissions de CO2 ou la consommation d’eau. On vit également très bien sans manger de viande, mais cela demande une acceptation personnelle. On perd une forme de confort que l’on peut rattraper, en créant d’autres recettes, d’autres manières de manger, ou simplement en réalisant que l’on se sent mieux.
Vous avez mentionné l’importance du collectif. Comment valoriser cette dimension dans le cadre de l’adaptation aux changements environnementaux ?
C’est une question très compliquée, à laquelle personne n’a de solution définitive. Ce qui est certain en revanche, c’est que nos comportements sociaux et coopératifs viennent de la petite enfance. Le système éducatif et les premières années de vie en collectivité sont fondamentaux. La coopération naît de “faire ensemble” et de se voir. Or, dans la plupart des écoles, il y a assez peu de projets collectifs. Nous restons en rang les uns derrière les autres, nous ne voyons que le dos de nos camarades. Le changement pourrait passer par des transformations aussi simples que le réaménagement des classes, en rond par exemple, pour que les gens se voient.
Connaissez-vous des territoires qui ont réussi à changer leurs modes de vie face au changement climatique ?
Je pense à un pays qui a fait un travail extraordinaire : le Rwanda. Après le génocide de 1994, l’environnement est devenu une valeur nationale. C’est par exemple le premier pays au monde à avoir interdit le plastique à usage unique en 1999. Tout un travail de régénération des territoires à été mené avec les communautés locales. L’exemple de la forêt de Nyungwe, qui est la dernière forêt tropicale de haute altitude, est emblématique. Pour la protéger, sans s’opposer de front aux braconniers locaux, les autorités ont proposé à certains d’entre eux de devenir gardes-chasses. Une “forêt tampon” a également été mise en place autour de la forêt de Nyungwe, dans laquelle les communautés locales peuvent aller couper du bois ou chasser. Il s’agit d’une intelligence collective à l’œuvre : on ne peut pas interdire l’accès à la nature, mais on peut trouver des alternatives.
Sur le sujet de la ville, cher à Leonard, avez-vous des exemples qui réussissent leur adaptation au changement climatique ?
La ville est un sujet compliqué. Certaines – comme Singapour – réalisent des efforts impressionnants. Mais il faut peut-être aller chercher dans le passé pour trouver les meilleurs exemples. Je pense par exemple à la ville de Yazd, en Iran, qui est soumise régulièrement à des températures de plus de 50 degrés. Toute la ville a été construite pour capter le vent grâce aux badgirs, qui sont des systèmes passifs de captation du vent. Il s’agit de grandes tours dans lesquelles le vent s’engouffre avant d’entrer en contact avec une fontaine ou une rivière, qui distribue ensuite la fraîcheur dans les maisons. Couplé à des rues assez étroites, en terre meuble et légèrement couvertes, ce système permet à la ville de réguler efficacement la chaleur. Le sujet des solutions passives est toujours d’actualité aujourd’hui. Les toits en zinc de Paris par exemple sont totalement inadaptés à la chaleur, et appellent des solutions plus ou moins radicales, comme la suppression du zinc ou la peinture des toits en blanc. Aujourd’hui, c’est impossible car l’architecture est classée. Mais nous allons devoir accepter de grandes modifications dans nos villes, même si nous les trouvons très jolies comme elles sont. C’est tout un schéma mental qu’il va falloir changer.