Mis en place en urgence en mars 2020 à très grande échelle, le télétravail est devenu la norme pour de nombreux français depuis une quinzaine de mois. Cette nouvelle donne implique un positionnement des entreprises et de nouvelles négociations, à l’image de Renault qui vient de finaliser son nouvel accord sur le télétravail.
Le télétravail, une tendance qui se renforce de jour en jour ?
Lors de ses précédents travaux prospectifs sur les scénarios Post-Covid et les futurs du travail, Leonard s’est intéressé de près aux tendances qui font évoluer les nouvelles formes de travail et ses projections futures. Avant la crise sanitaire, le télétravail était déjà en pleine expansion en France. Souvent associée au travail à la maison, cette nouvelle forme de travail est en réalité plus large, elle caractérise le fait d’exercer son activité professionnelle à temps partiel ou à temps complet depuis son domicile ou depuis un lieu différent de son bureau habituel.
Avec un cadre règlementaire renforcé par la réforme du code du travail en 2017, les salariés attribuaient au télétravail une note de satisfaction de 8 sur 10 en permettant à la fois une plus grande autonomie, des économies financières et un meilleur équilibre entre vie professionnelle et personnelle, selon le baromètre annuel « Télétravail Malakoff Humanis 2021 ».
La crise est alors apparue comme un booster en faisant passer le nombre de jours de télétravail sur une semaine-type de 1,6 jour en novembre 2019, à 3,4 en avril 2020 avec une part de 50% de télétravailleurs à plein temps. Le retour à la normale pose la question de « l’après ». Du côté des salariés, 86 % souhaiteraient continuer de télétravailler après la crise sanitaire, dont 49 % de manière régulière. Du côté des dirigeants, 67% sont favorables à cette continuité, même si des formes d’inquiétudes sont présentes, notamment sur le contrôle de la présence des collaborateurs ou encore sur la difficulté d’adapter un management individuel à chaque salarié.
Alors qu’un consensus entre 1 et 3 jours se dégage entre dirigeants et salariés et que la part de professions « télétravaillables » seraient évalué à environ 62 %, la vie d’un grand nombre de Français pourrait être impactée tant dans les mobilités quotidiennes que dans les choix de lieux de vie, rebattant ainsi les cartes de l’aménagement de nos territoires.
Une tendance à l’exode urbain, quels enjeux immobiliers ?
Que ce soit sur l’immobilier tertiaire ou résidentiel, l’impact de ces changements pourrait être considérable. Du côté des bureaux, les nouveaux modes de travail permettraient aux entreprises de réduire la surface des sièges sociaux. Avec une généralisation du flex-office, en plus de la possibilité de télétravailler pour 2 ou 3 jours par semaine, Renault envisage de réaliser plusieurs dizaines de millions d’euros par an d’économie. Ces changements d’organisation impliquent de repenser la conception même des sièges sociaux qui auront ainsi de nouvelles fonctionnalités.
En parallèle, l’immobilier résidentiel pourrait lui aussi être impacté. La poursuite de l’exode urbain mesurée pendant les confinements reste encore très incertaine, mais pourrait être renforcée par les choix des entreprises en matière de télétravail.
Cet exode urbain pourrait prendre plusieurs formes et avoir des conséquences multiples en matière d’immobilier. Tout d’abord, le télétravail pourrait devenir un moteur au changement de résidence principale. La volonté d’améliorer son cadre de vie, la qualité de son logement – avec une pièce dédiée à l’espace de travail – sont autant de motivations qui poussent à l’exode urbain. Ces déménagements pourraient engendrer une gentrification des couronnes urbaines et ainsi créer un déplacement de population en effet « domino », obligeant certains Français à s’éloigner encore un peu plus des bassins d’emplois. Deuxièmement, l’acquisition d’une résidence secondaire permettrait aux télétravailleurs de scinder leurs semaines en deux. Une augmentation de la tension immobilière avec toujours plus de m² par personne pourrait être mesurée, allant à l’encontre des objectifs de diminution d’artificialisation des sols et de lutte contre la pénurie de logements. Ces nouveaux modes de vie seraient une source d’augmentation des inégalités et deviendraient un vrai sujet de fracture sociale.
Changements de modes de vie, quels impacts sur les mobilités ?
Ces changements de lieu de vie pourraient obliger les villes à repenser l’organisation des transports. En effet, comme évoqué ci-dessus, de multiples effets rebonds pourraient être induits par le déplacement des télétravailleurs. Dans un changement de lieu de vie, c’est aussi de nouvelles méthodes de « consommation » des transports qui devrait voir le jour .
D’un point de vue environnemental, le télétravail apparaît comme une alternative positive réduisant l’impact des transports, sans développer les questions d’impact du numérique et de consommation énergétique des logements. En se focalisant sur les mobilités du quotidien, si l’exode urbain se confirme, quel serait l’impact du passage des dix trajets domicile-travail contre deux ou quatre trajets en cas de télétravail depuis son domicile ? L’ADEME a dans une étude « Caractérisation des effets rebond induits par le télétravail » modélisé ce phénomène qu’elle a appelé « l’effet direct modal ». Les impacts environnementaux associés aux trajets réguliers entre le domicile et le lieu de travail ont permis d’estimer un bénéfice de 271 kg de C02 annuel par jour de télétravail hebdomadaire.
Cependant, vivre l’exode urbain c’est aussi accepter de changer son mode de vie. Aujourd’hui, les grandes villes tendent vers la « ville du quart d’heure », un espace de vie où tous les services essentiels sont concentrés en moins de quinze minutes à pied : commerce, travail, écoles, médecins, parc… Dans leur exode urbain, les télétravailleurs se dirigeraient vers ce que l’on peut appeler les « aires rurales du quart d’heure » ou a contrario l’essentiel des services ne se trouvent plus dans un espace de quinze minutes à pied, mais quinze minutes en voiture. Dans la suite de son étude, l’ADEME a modélisé quelques-uns de ces effets rebonds. «L’effet chaines modales » (dépose des enfants, aller faire ses courses sur le trajet…) auquel s’ajouterait un effet de « nouvelles mobilités quotidiennes » pourrait être responsable d’une augmentation de 67,7 kg de C02 / an / jour de télétravail hebdomadaire, soit venir neutraliser 24,9% des bénéfices mesurés sur « l’effet direct modal ».
Les nouvelles formes de travail et notamment l’implémentation du télétravail sont devenues des sujets de préoccupation pour les entreprises. L’impact de ces choix pourrait venir redessiner nos modes de vie et la façon dont nous aménageons notre territoire. Dans ses travaux prospectifs comme les scénarios Post-Covid et les futurs du travail, Leonard explore les futurs possibles engendrés par ces grandes tendances. L’aménagement du territoire devient ainsi pour les équipes prospectives de Leonard un nouveau champ d’exploration. L’objectif de cette nouvelle exploration est d’interroger notre façon de penser le territoire, ainsi que l’évolution du rôle des différents acteurs face à ces nouveaux enjeux, notamment environnementaux.
Clément Keriel, Assistant prospective
Avec la collaboration d’Isabelle Lambert, Coordinatrice prospective, Leonard