Codirecteurs du rapport, Marie Defay, consultante indépendante en développement urbain et Édouard Dequeker, Professeur à la Chaire d’Économie urbaine de l’ESSEC, en ont présenté les grandes lignes. Un échange a ensuite permis d’élargir le débat avec le concours de deux grands témoins : Lionel Causse, député de la 2ème circonscription des Landes, rapporteur de la Loi Climat et Résilience et Président du Conseil National de l’Habitat et Vincent Le Rouzic, directeur des études de la Fabrique de la Cité.
Des projets qui ont du mal à se concrétiser
Face à l’urgence climatique, les collectivités territoriales ont un rôle crucial à jouer pour mener à bien la transition écologique. Mais si les services techniques ont fortement progressé ces dernières années en matière de gestion des déchets et de l’eau par exemple, les projets d’ensemble, qu’ils soient publics ou privés, ont du mal en revanche à se concrétiser sur le terrain. Comment faire travailler ensemble toutes les compétences au sein d’une grande collectivité notamment ? Que faire pour éviter des crispations sur certains projets d’aménagement ?
C’est pour répondre à ces questions que la Chaire d’Économie urbaine de l’ESSEC, en partenariat avec Leonard, à dresser un état des lieux de la capacité des villes à identifier, organiser et renforcer leurs compétences en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Présenté pour la première fois au public, ce rapport intitulé « Gouvernance territoriale et transition écologique. Dépasser les blocages et accélérer le mouvement » s’appuie sur des analyses documentaires et l’observation de territoires aux configurations variées. « Il y a clairement un angle mort sur ce sujet, c’est celui de la gouvernance de la transition écologique par les collectivités », lance d’emblée et en guise d’introduction Édouard Dequeker, Professeur à la Chaire d’Économie urbaine de l’ESSEC.
De nombreux points bloquants
Les témoignages recueillis lors de leur enquête ont largement confirmé les intuitions des auteurs sur plusieurs points bloquants :
- Des diagnostics territoriaux trop statiques et thématiques rendant difficile une lecture des territoires de façon systémique,
- Un morcellement politique et technique de l’action publique qui nuit à la mise en œuvre d’action à grande échelle,
- Une faible transversalité interne et externe des ingénieries notamment au sein des grandes administrations locales,
- Des petites collectivités qui manquent d’ingénieries et peinent à trouver des appuis externes,
- L’obsolescence de la commande publique qui conduit à empiler des compétences sans les articuler.
Selon Marie Defay, consultante indépendante en développement urbain qui a codirigé le rapport avec Édouard Dequeker, « le document cadre pour les collectivités en matière de lutte contre le réchauffement climatique, à savoir le PCAET (plan climat-air-énergie territorial) qui a souvent du mal à être traduit sur la plan opérationnel, illustre parfaitement cette problématique. Ces documents sont trop peu spatialisés (où doit-on mener le projet ?) et ils proposent beaucoup d’actions peu hiérarchisées. En somme, il manque une feuille de route clairement définie ».
Consulter le rapport :
Construire des territoires de projet
Face à ce constat, le rapport propose quelques pistes pour des solutions. Le principal enseignement consiste à adopter de nouveaux « modes de faire » à travers ce que les auteurs appellent des « territoires de projet ». « Il s’agit d’identifier des secteurs qui pourraient avoir un impact important sur la lutte contre le réchauffement climatique, par exemple des territoires imperméabilisés, des îlots de chaleur, des friches, des activités en déclin, des populations vulnérables… Autant de territoires qui se prêtent à des actions de long terme », explique Marie Defay.
La démarche ZAN (zéro artificialisation nette) est en l’espèce une clé d’entrée intéressante pour favoriser des évolutions transversales d’après Édouard Dequeker : « pour cela, les collectivités doivent se doter des outils et des expertises nécessaires pour engager des négociations avec les acteurs privés. Elles doivent aussi mieux connaître le foncier (stratégies des propriétaires, capacité de mutation, vacance, potentiel de densification…). Elles doivent enfin revoir leur mode de concertation et ne plus se contenter des réunions d’information sur des projets déjà décidés ».
Une approche transversale et des priorités
Cependant, toutes ces questions sont assez récentes au sein des collectivités, remarque Vincent Le Rouzic, directeur des études de la Fabrique de la Cité : « Entre les collectivités, certains acteurs publics comme le Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement] et les opérateurs privés, le paysage est en pleine recomposition ». Face à la multiplicité des enjeux liés à la transition écologique, une approche transversale des sujets s’impose mais cela nécessite aussi de prioriser les objectifs à atteindre.
Or, comme le souligne Lionel Causse, député de la 2ème circonscription des Landes qui a été rapporteur de la Loi Climat et Résilience et préside actuellement le Conseil National de l’Habitat, « la politique de décentralisation en France s’est traduite, en matière d’actions locales, par des réussites très diverses selon les territoires. La décentralisation, c’est aussi beaucoup de complexification ». L’élu souligne par ailleurs que « bien souvent la planification se fait sans avoir acquis au préalable une connaissance fine du territoire : aujourd’hui, 20% des territoires n’ont toujours pas de SCoT [Schéma de cohérence territoriale] ». De fait, s’il existe beaucoup d’ingénierie au sein des grandes collectivités, de nombreuses mairies rurales notamment n’ont pas accès à ces compétences : « elles ne se sentent pas écoutées et ne savent pas comment faire », relève Lionel Causse qui note toutefois que « l’État semble se réorganiser et renforcer ses services afin de répondre à ces attentes, par exemple en matière de ZAN qui est tout de même la première cause de perte de biodiversité ».
La gouvernance, un sujet politique plus que technique
L’enjeu du ZAN, justement, est d’après Vincent Le Rouzic un parfait exemple pour illustrer les injonctions contradictoires auxquelles sont soumises les collectivités. « D’un point de vue macro, 250 000 hectares ont été réartificialisés ces dix dernières années. L’objectif est de diviser ce chiffre par deux au cours des dix prochaines années. Il se trouve que nous disposons en France de 100 000 à 150 000 hectares de friches selon le Cerema. La question pourrait sembler réglée », avance le directeur des études de la Fabrique de la Cité, « mais c’est ne pas tenir compte de la grande diversité des situations selon les territoires. En fait, la gouvernance de la transition écologique dans les collectivités est un sujet politique et pas seulement technique ».
Entre autres problèmes à résoudre, celui de la participation démocratique n’est pas des moindres. Marie Defay avance sur ce point quelques pistes : « il faut déjà mener un travail de vulgarisation des documents publics tel que le PCAET. Pour éviter des blocages sans fin, il serait également souhaitable de mener des concertations sur des périmètres de projets plus larges portant sur l’évolution du territoire et des usages (mobilités douces, offre de services associatifs…) ». Quant à la relation entre transition écologique et inégalités sociales, tous les intervenants en soulignent l’importance. « La politique de la ville a été confrontée à la difficulté de concilier les deux », rappelle Marie Defay, « mais la territorialisation des politiques permet de mieux tenir compte des indicateurs sociaux, de la précarité énergétique, des besoins de transports alternatifs, etc… ».
Enfin, reste la délicate question de la résistance au changement. « Beaucoup de collectivités privilégient les schémas connus. La commande publique en témoigne avec une difficulté à intégrer les dernières innovations en ce qui concerne par exemple les nouveaux matériaux », regrette Édouard Dequeker. « Il faut se lancer sur des objectifs de court terme et éviter un projet global trop ambitieux qui risque d’être bloquant », estime pour conclure Marie Defay.