Compte rendu : « Comment rendre les cœurs de métropole à nouveau attractifs ? »

Dans le cadre de leurs vœux conjoints organisés le 23 janvier 2023, la Fabrique de la Cité et Leonard ont souhaité mettre en débat les raisons du désamour des Français pour la densité urbaine.

Animé par Julien Meyrignac, rédacteur en chef de la revue Urbanisme, ce débat qui réunissait Franck Boutté, fondateur de Franck Boutté Consultants (Grand Prix de l’Urbanisme 2022) et Mathilde Chaboche, adjointe au maire de Marseille chargée de l’urbanisme et du développement harmonieux de la ville, s’est attaché à présenter des pistes pour réconcilier les habitants avec les centres urbains.

Les cœurs de métropole concentrent les emplois, les services et les richesses. Ce sont aussi des lieux qui par bien des aspects sont exemplaires en termes de mixité, de diversité et de sociabilité. Mais ils sont aussi des espaces de ségrégation spatiale, économique et sociale où se manifestent certaines nuisances et certains risques liés notamment au dérèglement climatique. À tel point qu’aujourd’hui, certains ménages font le choix de les quitter tandis que d’autres refusent de s’y installer.

Un contrat social de l’urbain à réhabiliter

Comment, dès lors, développer l’« affectio metropolis », terme proposé par Julien Meyrignac, rédacteur en chef de la revue Urbanisme, pour ouvrir le débat ? Autrement dit, comment rendre les cœurs de métropole à nouveau attractif pour les ménages ? « Si les gens consentent à vivre en ville, c’est parce qu’il y a un contrat social de l’urbain », lance d’emblée Mathilde Chaboche, adjointe au maire de Marseille chargée de l’urbanisme et du développement harmonieux de la ville. « En ville, on renonce à certaines choses (l’espace, les paysages…) mais en contrepartie on y trouve toute une série d’équipements et de services qui garantissent une vie meilleure (transports publics, hôpitaux, bibliothèques, piscines, espaces verts…). Le problème est que Marseille est une ville qui ne tient pas ces promesses », tranche Mathilde Chaboche, « nous n’avons que deux lignes de métro et trois de tramway sur un territoire de 240 km², soit deux fois et demi Paris, neuf bibliothèques et douze piscines dont quatre structurellement fermées pour près d’un million d’habitants, etc… ».

Une charte de la construction durable

À ce sombre tableau, l’adjointe au maire de Marseille ajoute une forte résistance de la population à accepter de nouvelles constructions alors que la ville, « dont l’urbanisation n’a jamais vraiment été structurée », a en fait une faible densité avec 3 600 habitants au kilomètre carré contre près de 11 000 à Lyon et plus de 20 000 à Paris. « Pour recréer de l’affection pour ce territoire, nous tablons sur deux volets. Le premier est d’adresser de façon sérieuse les enjeux climatiques qui, à Marseille, ont un fort impact (sécheresse, stress hydrique chronique, ilots de chaleur extrêmes…), d’autant plus que la ville est extrêmement minéralisée. D’où la mise en place d’une Charte de la construction durable incitant à construire davantage avec un grand plan arbre qui se donne comme objectif d’en planter 200 000 d’ici à 2026 ». À noter que Marseille offre en l’espèce une marge de manœuvre que lui envie nombre d’autres grandes métropoles avec ses nombreuses emprises, friches ou anciens sites industriels. « Le deuxième volet », complète Mathilde Chaboche, « consiste à travailler les enjeux de desserrement métropolitain en faisant émerger des pôles secondaires dynamiques à l’échelle de la métropole avec ses 92 communes qui, pour la plupart, se définissent d’abord comme des villages provençaux et souhaitent avant tout le rester ».

 

Les nombreux atouts de la ville y compris sur le plan écologique

À ce désamour des villes et à la vision très négative des métropoles qui se sont répandues ces dernières années, Franck Boutté, fondateur de l’agence de conception et d’ingénierie environnementale Franck Boutté Consultants, Grand Prix de l’Urbanisme 2022, apporte un contrepoint : « certes, des problèmes systémiques existent en ville (minéralisation excessive, imperméabilisation des sols, altération des cycles écologiques…). Mais il y a aussi plein de choses qui marchent bien en ville y compris sur les enjeux écologiques. Sur la question du carbone par exemple, la ville permet d’avoir un mode de vie sobre en carbone par la mise en commun, la mutualisation des ressources, des infrastructures et des services. Dans les faits, les habitants des grandes villes ont une empreinte carbone en matière de mobilité (le premier poste d’émissions de gaz à effets de serre) deux fois inférieure à la moyenne nationale. Sur le deuxième poste, qui est l’énergie, le chauffage, les personnes vivant à la campagne ont une empreinte carbone 50% plus élevé que dans les grandes villes ». Pour l’urbaniste, il ne faut pas négliger les atouts de la ville grâce à cette mise en commun d’équipements et de services sociaux et culturels que l’on retrouve difficilement ailleurs.

Refaire la ville sur la ville

Face au changement climatique, il faut préparer les villes, le meilleur moyen selon Franck Boutté de lutter contre le désamour des villes. « Les villes aujourd’hui ne sont absolument pas adaptées aux conditions de demain : 80% des bâtiments de 2050 existent déjà. Or, aucun n’est adapté aux conditions de 2050. On avait tendance jusqu’à présent à beaucoup miser sur les stratégies d’atténuation et de réduction des consommations d’énergie et donc des émissions de carbone. Mais aujourd’hui l’enjeu numéro un est de s’adapter et en cela je ne sais pas si la question du desserrement est si bien que ça. Il faut refaire la ville sur la ville, donc valoriser les friches, rénover les bâtiments, les surélever pour gagner du sol notamment fertile ». Autant de projets locaux avec une gouvernance territoriale plus efficaces et rapides à mettre en œuvre que les initiatives nationales ou internationales et qui permettent de bien mieux mobiliser les habitants, selon Franck Boutté.

 

Embarquer les promoteurs vers une construction plus durable

Cette possibilité d’agir au niveau local, Marseille s’en résolument est emparée. Trois chantiers ont été engagés par la ville dans cette optique d’adaptation. Le premier a été le lancement d’un plan programme sur les espaces publics et la végétalisation. Le deuxième a consisté à doter la cité d’une programmation pluriannuelle d’investissement (PPI), « une première dans l’histoire de Marseille », relève Mathilde Chaboche, « cette PPI nous a permis de dégager 300 millions d’euros par an en investissement sur nos écoles, bibliothèques, crèches et toute une série de services et d’équipements publics essentiels ». Enfin, le troisième volet vise à embarquer les acteurs privés, constructeurs et promoteurs, dans les projets de la ville. « Notre Charte de la construction durable a été élaborée sur la base de la co-construction. Elle a permis d’installer des pratiques plus vertueuses et de réorienter la construction sur la restructuration et la réhabilitation. Pour l’instant, la plupart des acteurs privés locaux se désintéressent de cet enjeu. En tant que promoteurs, ils estiment que la réhabilitation n’est pas leur métier. Pourtant, la ville n’y arrivera pas si ces acteurs ne changent pas leur façon de faire : à Marseille, 99% de ce qui se construit est fait par les acteurs privés ».

Promouvoir les mobilités décarbonées et de nouveaux usages de la rue

La démarche « Rue commune », portée par l’agence d’architecture Richez Associés, le cabinet Franck Boutté et Leonard à la suite d’un appel d’offres de l’Ademe, a justement l’ambition de développer ce process d’adaptation, en l’occurrence de transformation des rues métropolitaines ordinaires. « Il s’agit de promouvoir les mobilités décarbonées et de mettre au point une méthode accompagnant la décroissance des modèles basés sur la voiture », explique Franck Boutté, « à Paris par exemple, 80% de l’espace public a été conçu pour la voiture qui pourtant n’assure que 20% des déplacements. En redonnant sa juste place à la voiture, l’espace ainsi regagné permet d’autres mobilités, d’autres usages mais aussi l’extension des rez-de-chaussée, l’installation d’éléments naturels, la restauration du cycle de l’eau et d’un sol fertile, etc… ». Une initiative à laquelle adhère totalement l’adjointe au maire de Marseille même si la ville phocéenne est encore très dépendante de la voiture du fait du faible développement des transports en commun.

Entre actions immédiates locales et projections à long terme

En conclusion, Franck Boutté insiste pour promouvoir avant tout les actions locales de court terme : « il faut entamer dès maintenant la transformation et la réparation de la ville pour les habitants qui sont là aujourd’hui et non se dire que l’on va faire la ville compatible avec 2050. Cela passera par de nouvelles coopérations territoriales qui sortent de cette logique d’opposition entre centre, périurbain et campagne en privilégiant les questions de partage de ressources dans une logique gagnant-gagnant ». Pour autant la projection à long terme est loin d’être inutile selon Mathilde Chaboche : « nous venons de lancer une consultation pour qu’une équipe pluridisciplinaire nous accompagne dans l’élaboration d’une vision, Marseille 2050, articulée autour de trois sujets clés : l’intégration des risques auxquels est soumise la ville (incendie, inondation, risque géologique avec des sols argileux, risques de submersion marine), la prise en compte des enjeux sociaux en se posant la question des conditions économiques de survie des populations pauvres afin qu’elles arrivent à se soustraire à la nécessité de recourir à un logement social et enfin, une plus grande implication de Marseille sur la scène nationale ».

La Rue Commune

En France, plus de 20 millions d’habitants traversent ou fréquentent chaque jour une rue. Et si demain, celle-ci devenait Rue Commune ?

Il existe deux façons de concevoir la ville résiliente : en partant « d’en haut », dans une logique de planification urbaine, ou au contraire « d’en bas », pour construire ensemble, en réunissant autour d’une même table décideurs publics et acteurs privés, professionnels de l’aménagement et usagers.

Partisans de cette seconde approche, Rue Commune considère que c’est dans les rues, premier bien commun des villes, que nous pourrons construire la ville post-Covid, post-voiture et post-carbone en faisant converger qualité environnementale et qualités urbaines.

Retrouvez la synthèse du projet ici.

 

Partager l'article sur