L’objectif de neutralité carbone en 2050 place le monde industriel face à des défis majeurs et inédits. Quels choix opérer ? A l’aune de quels scénarios ? Pour promouvoir quels modèles ? Avec quelles garanties de performance ?
Pour introduire le débat, Catherine Leboul-Proust s’est félicitée de l’existence d’un consensus autour de cette «question complexe» de la transition énergétique : «Aujourd’hui, les causes sont entendues quant aux grands enjeux que sont le climat, l’autonomie, l’accessibilité et la résilience énergétiques». L’importance, la fragilité et la complexité des chaines de valeur ne font plus de doute, pas davantage que l’urgence à agir. Voilà une bonne base pour faire émerger des solutions, a noté la directrice de la Stratégie de GRDF.
« Les options prises au niveau national sont trop souvent éloignées des préoccupations des acteurs sur les territoires. » Catherine Leboul-Proust, directrice de la Stratégie de GRDF
Articuler vision macro et actions micro
Consensus, oui, mais consensus mou et surtout incertain, a objecté François Moutot au cours de la table ronde modérée par Sylvianne Villaudière, vice-présidente de la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale. «Le consensus existe chez les élites, en revanche la population n’a pas du tout intégré les objectifs fixés pour 2050», a soutenu le délégué aux affaires régionales de l’association Équilibre des Énergies, pour qui ce hiatus constitue un risque non négligeable d’enrayement de la transition énergétique.
Si consensus il y a, celui-ci se nourrit notamment d’un certain nombre de projections référentes, produites par l’ADEME, RTE ou encore NégaWatt, structure pionnière sur le champ de la prospective énergétique créée en 2001, dont la méthodologie vise à articuler vision macro et actions micro. L’objectif de NégaWatt étant de proposer, à partir de la demande de consommation, une analyse précise de l’impact de la transition énergétique sur les volumes de production, pour éclairer la prise de décision des industriels dans leur stratégie “net zéro” : formation, relocalisation, bio-sourçage, etc. « Il faut que l’on arrive en France à faire le deuil d’une certaine image de l’industrie, marquée notamment par l’industrie lourde. Ce n’est pas si grave de fermer des hauts-fourneaux. En revanche, il ne faut pas perdre de vue que transformer un système productif prend vingt-cinq années », a lancé Thierry Hanau, expert Industrie de NégaWatt.
« Entre les scénarios des think tanks et les stratégies industrielles, il y a le régulateur, qui joue un rôle essentiel. » Thierry Hanau, expert Industrie de NégaWatt
Expérimentations tous azimuts
VINCI a pour sa part produit des scénarios de transition énergétique pour définir sa stratégie environnementale : « Dès 2020, nous avons produit nos propres scénarios, en raisonnant “budget carbone” et en jouant à la fois sur la décarbonation et la sobriété », a expliqué Isabelle Spiegel, directrice Environnement du groupe. En partant des usages et des besoins requis pour les satisfaire, le groupe industriel a multiplié les actions dans ses différents pans sectoriels. « Pour aller plus vite dans le champ de la rénovation immobilière, nous expérimentons de nouveaux modes contractuels – financement, travaux, exploitation – et formons massivement nos équipes en matière de diagnostic et d’installation de pompes à chaleur », a développé la dirigeante. Côté décarbonation des infrastructures autoroutières, la stratégie du groupe passe par l’installation de bornes de recharge, l’innovation dans les voies de recharge à induction, le développement de l’hydrogène, l’accompagnement du covoiturage, la création de nouveaux modèles de tarification, la solarisation du foncier.
Manque de planification financière
Tous les intervenants de la table ronde se sont accordés sur le fait que l’accélération de la transition énergétique pâtit d’une lecture techno-centrée. « Le sujet de la transition énergétique doit être posé de manière beaucoup plus politique. Il appelle de véritables choix de société », a insisté Catherine Leboul-Proust. François Moutot a déploré l’« absence de toute planification financière » et l’« irréalisme » des grands schémas politiques : La rénovation totale du parc immobilier, par exemple, est selon lui intenable. « Les ménages ne pourront pas la financer, et la main d’œuvre sera très largement insuffisante. Il faut donc impérativement revoir les objectifs à l’aune d’une lunette plus réaliste. »
Industriels et territoires doivent composer avec des choix programmatiques dont les curseurs ne répondent pas nécessairement à leurs contraintes et à leurs axes d’opportunité. Dans transition énergétique, il y a transition, a rappelé Catherine Leboul-Proust. Le net zéro projette directement l’ensemble des acteurs en 2050. Mais les crises successives que nous traversons nous montrent chaque jour que la transition énergétique appelle une approche incrémentale, jalon par jalon. L’urgence, oui, mais avec humilité.
Prochains événements du cycle :
14 février 2023 : (Re)Construire des filières pour réussir la transition énergétique
16 mars 2023 – Efficacité et circularité, leviers pour la transition énergétique
18 avril 2023 – Coût, financement et mesures de la transition énergétique au cœur des territoires
16 mai 2023 – Transition énergétique, risques et opportunités pour la renaissance industrielle française