COVID-19 : la résilience des villes et des territoires, une affaire d’humains

En temps de pandémie, la résilience est peut-être, plus que jamais, « la » notion la plus prolifique pour penser nos villes de demain, celles qu’on rêve intelligentes, durables et autant que possible capables de s’adapter après différents types de ruptures. Mais cette résilience, loin des imaginaires technicistes liés au pilotage numérique de flux de données, se dote avec la crise sanitaire d’un caractère humain qui avait tendance à être oublié. À l’heure où foisonnent des micro-initiatives d’entraide et de solidarité, comment pérenniser cette « résilience humaine » pour concevoir nos villes ? Série de questions pour demain.

« Tout donne l’impression d’avoir changé. La ville semble soudainement différente. Les routines de longue date sont bouleversées. Des pratiques urbaines improvisées et des solutions abondent. Et pourtant, d’une certaine façon, tout est comme avant ». Si « tout est comme avant », c’est que toutes ces improvisations et manifestations de résilience, à petite comme à grande échelle, que nous voyons fleurir dans ce temps suspendu, étaient, d’une façon ou d’une autre, déjà en germes.

 

« Face aux risques et aux enjeux globaux, les villes sont en première ligne. La résilience urbaine consiste à prendre la mesure de ces défis, et à agir à l’échelle locale, dans une vision de long-terme ». Voilà ce que l’on peut lire depuis plusieurs années sur le site de la Ville de Paris. La pandémie figurait parmi les risques identifiés en 2017 (mais néanmoins comme risque non-prioritaire), lorsque la capitale se dotait, en tant que nouvelle membre d’un programme de la Fondation Rockefeller, d’une stratégie de résilience (pdf) – échaudée qu’elle était par les grands chocs récemment encaissés (terrorisme, crues et canicule, crise migratoire).

 

 

À Paris, la résilience urbaine face au coronavirus met l’humain au centre

 

La ville s’engageait alors à consacrer au moins 10% de son budget aux « efforts de résilience ». Son premier pilier : l’objectif d’« une ville inclusive et solidaire, qui s’appuie sur ses habitants pour renforcer sa résilience ». Paris fut-elle visionnaire ? Quoi qu’on pense de sa mise en œuvre trois ans plus tard, l’idée de créer un « réseau de citoyens solidaires et volontaires » et les discours ambitieux qui allaient avec (« remettre de l’humain », « recréer du lien », « renforcer la cohésion sociale ») faisant rimer résilience et solidarité résonnent aujourd’hui avec un écho renouvelé.

 

La solidarité est, de fait, l’un des grands ressorts de la réponse, y compris des autorités, à la crise sanitaire : face à la « demande », si l’on peut dire, Paris a ainsi vite adapté sa plateforme numérique de participation citoyenne, Idée.paris, à la mise en relation de « celles et ceux qui ont besoin d’aide avec celles et ceux qui veulent aider », et a lancé une plateforme recensant appels à bénévoles ou au dons et propositions de solidarité alimentaire, Je m’engage.paris. La Ville fourmille en fait de pistes moins technologiquement disruptives que très concrètes et rapides à mettre en œuvre, à l’image de cette affiche à imprimer et placarder dans le hall de son immeuble pour faciliter l’entraide entre voisins.

 

En tant qu’acteur de la fabrique de la ville, que penser de cette multiplication des solidarités ponctuelles (proposer son appartement ou des repas, sa force de travail ou un service quelconque à des soignants ou des travailleurs en première ligne, notamment) pour l’après-confinement ? L’ampleur réelle de ce genre d’initiatives top-down (répertoriées ici à l’échelle nationale… par un designer indépendant qui « s’ennuyait ») est difficile à évaluer, mais elles fonctionnent, pour sûr, comme des cadres d’engagement possibles pour des citoyens qui voudraient s’engager, même à leur échelle. Faut-il d’ailleurs encadrer et aiguiller ces solidarités ? Car dans le même temps, des initiatives spontanées, nées souvent sur les réseaux, affleurent, comme cette idée d’un chiffon rouge qu’on peut accrocher à sa fenêtre en guise d’appel à la solidarité. Sur cette cartographie, ce sont plus de 500 groupes d’entraide locaux, de quartier à ou de plus grande échelle, qui ont essaimé et agissent comme autant de micro-réseaux de solidarité, à l’horizontalité à peine nuancée par l’impulsion première d’un organe, d’une association ou d’un leader local.

 

Les bâtisseurs de l’après-crise mettront-ils l’imagination sociale au pouvoir ?

 

Le Centre Steps de l’Université du Sussex écrit dans un article éloquent que la seule conclusion qu’on pourrait tirer de la crise est la futilité de toute leçon,  si ce n’est qu’« une diversité radicale de futurs est possible » or, malgré tous les « tableaux de bords » que nous mettons sur pied, nous avons beaucoup de mal à nous préparer à des scénarios potentiels. Bienvenue, en d’autres termes, dans l’ère de l’incertitude. Dans un monde où nos connaissances font face à des réalités « post-normales », nos réponses, plaident dans un autre article du Centre Steps l’économiste de Paris-Saclay Martin O’Connor et huit autre chercheurs, ne sont pas à chercher dans des systèmes pilotés, rationalisés, optimisés, prédictifs, algorithmisés. Non, car comme on le voit aujourd’hui, les solutions résident plutôt dans « les attitudes des individus et des masses ». Celles-ci doivent idéalement former une « communauté étendue de pairs […] où tous les publics intéressés ont voix au chapitre, experts de diverses disciplines scientifiques, acteurs sociaux, lanceurs d’alertes, journalistes et toute la communauté en général ».

 

Comment, concrètement, intégrer cette “mise en capacité” de la communauté lorsqu’on conçoit et construit un quartier, un habitat, un immeuble de bureaux ? En démultipliant les espaces, virtuels et physiques, donnant du pouvoir d’action à ces communautés, laissant libre cours à l’« imagination sociale » et garantissant enfin l’« human-centricity » (pdf) de nos systèmes toujours plus numérisés – si l’on extrapole les inspirations du think tank finlandais Demos.

 

« Tout est comme avant », c’est-à-dire : tout est déjà là. Un exemple parmi mille : après le tsunami survenu au Chili en 2010, qui avait détruit plus de 10 000 bâtiments le long de la côte, un projet de reconstruction sur place, en zone à risque donc, de plusieurs centaines de maisons sur pilotis a été mené à bien, afin de préserver la culture (et les moyens de subsistance) de communautés locales très liées à l’espace maritime, tout en s’adaptant à l’extrême aux nouveaux risques climatiques. La communauté a été associée aux choix, dès le départ du projet, lequel reposait sur une idée simple : la résilience du bâti doit s’allier à la résilience sociale. Re-bâtissons !

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