De la prospective à l’action : quand la science fiction aide à inventer l’urbain

Pour la deuxième édition du festival Building Beyond, Leonard, La Fabrique de la Cité et la Fondation VINCI pour la Cité ont réuni pendant deux semaines 70 faiseurs de villes, chercheurs, architectes, ingénieurs et artistes pour questionner les échelles des villes et penser ainsi l’avenir des territoires et des infrastructures. Pour cette matinée, nous avons pensé le passage à l’action avec Mathieu Baudin, directeur de l'Institut des Futurs souhaitables et Catherine Dufour, autrice de science-fiction et membre du collectif d’écrivains Zanzibar. Et si penser la ville, c’était déjà la réinventer ?

Prospective à l'action

La prospective pour anticiper la ville

La prospective, c’est avant tout le sentiment que l’être humain saura se remettre en question et appréhender l’incertitude de l’avenir. Si aujourd’hui, la prospective est une réponse aux questionnements liés au futur, Mathieu Baudin soulève une autre piste : celle du développement durable, qui impose des questions fondamentales : où va-t-on, comment et avec qui ?

Persiste toutefois la principale difficulté : parvenir à se projeter dans un ordre social différent du nôtre. Tenter de prévoir le futur est le prétexte idéal pour introspecter le présent et le passé. Les anticipations et les récits se construisent en assemblant des données et variables ; on ne regarde simplement pas dans la même direction. L’étude de l’avenir se concentre sur nos comportements et sur nos capacités à se poser les bonnes questions : « Depuis la nuit des temps, on cherche à anticiper pour ne pas subir », explique Mathieu Baudin.

Bonne nouvelle, notre action sur le monde est plus rapide que prévu ! Nous sommes donc en mesure d’en observer les effets, et nous allons être les contemporains des conséquences de nos actions. « Aujourd’hui, il y a plus de risques à bouger qu’à ne pas bouger », souligne le directeur de l’Institut des Futurs Souhaitables. L’impact de la révolution numérique est par exemple aussi important que celui de l’imprimerie. Il faut savoir écouter les signaux faibles et anticiper les évolutions.

 

Dépasser la dystopie pour imaginer le futur

De son côté, la science-fiction nous propose souvent des futurs très sombres. La dystopie, cette « science fiction d’alerte », cherche à attirer l’attention du public sur un avenir en train de se réaliser : mettre en valeur des futurs possibles mais non désirables pour influer positivement sur le présent. Depuis l’incontournable 1984 de George Orwell (1948), qui avait anticipé notre attachement à Big Brother et l’intégration des écrans dans nos vies, aux Furtifs, dernier chef d’oeuvre d’Alain Damasio. Si la dystopie est le genre le plus adopté, une utopie a tout de même émergé avec City de Clifford Simak (1952)… En se débarrassant de l’espèce humaine.

Catherine Dufour
Catherine Dufour, autrice de science-fiction

Le genre qui nous intéresse aujourd’hui est la science-fiction de proximité, celle dont les humains sont responsables. Parmi les oeuvres les plus plébiscitées, Neuromancer de William Gibson (1984), à l’origine du mouvement Cyberpunk, qui a pour  accroche « high tech / low life ». En prenant en compte les prévisions de Greenpeace, Catherine Dufour a d’ailleurs publié son propre roman dans ce mouvement : Le goût de l’immortalité (2005).

Pour Catherine Dufour, il est temps de dépasser ce cyberpunk pour en penser un autre, cette fois positif, solidaire et tourné vers la création de futurs souhaitables : le solarpunk. Elle prend donc part à Bright Mirror, mis en place par l’agence de conseil Bluenove, qui propose des sessions de travail ouvertes à tous afin de rédiger des micro-nouvelles utopiques. Parmi les solutions régulièrement évoquées pour faire advenir ces futurs souhaitables, on retrouve une forme de solidarité entre les individus, pour penser des modes de vie utopiques. Toutefois, attention, Mathieu Baudin nous met en garde : « Un optimisme qui se trompe casse en vous quelque chose de bien plus profond et intime. »

 

Repenser la vie urbaine

La prospective est déjà une première étape constitue la première étape pour passer à l’action : il faut déterminer les conséquences de nos actions futures avant d’agir. Si une voiture électrique reste coincée dans un embouteillage, c’est l’intégralité de l’offre de mobilité qu’il faut réorganiser. Une ville désirable est celle que les habitants peuvent se réapproprier. « Autant la prospective est basée sur ce qui est prévisible, autant la science-fiction est priée d’inventer un imprévisible », renchérit Catherine Dufour.

Depuis toujours, notre environnement a été créé par des réflexions collectives. Dans cette dynamique, Bright Mirror cherche à inclure la totalité des individus et part des grandes utopies pour en venir aux utopies réelles. La démarche rejoint celle de la prospective : prendre le temps de penser le temps long et changer de regard sur son environnement. À ce titre, il est par exemple nécessaire de repenser notre mobilité, de nous repositionner dans la chaîne du vivant. Notre relation à la nature devient une composante majeure pour repenser nos villes.

Le futur est une matière subtile, il est en partie performatif : en parler c’est déjà le modifier. Certains papiers de recherche académique ont ainsi tenté de mesurer l’influence des blockbusters hollywoodiens faisant figurer un président afro-américain sur l’élection de Barack Obama.

Repenser la vie en milieu urbain revient à modifier les utopies et les conceptions du futur. La prospective amène à prendre conscience des problèmes actuels, reste à savoir dans quelle direction nous nous dirigeons : sommes-nous dans un retour au passé connu ou allons-nous vers un futur incertain mais enthousiaste ?

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