Rêver la ville : repenser le passé pour imaginer le futur
Réinventer les villes, c’est d’abord porter un regard neuf sur les milieux urbains actuels ou anciens. C’est la tâche à laquelle se sont attelées les équipes d’Ubisoft pour la création du jeu Assassin’s Creed Origins à travers la réinterprétation de la ville antique d’Alexandrie. Lorsque Raphaël Lacoste, créatif passionné de photo, évoque la création de la ville, le choix de ses mots n’est pas anodin : « Nous partons de dessins auxquels nous donnons vie, littéralement. ». Dans le contexte d’un jeu vidéo, le décor est un vecteur d’émotions, grâce à l’interprétation romantique du lieu. Alexandrie est ainsi revue et améliorée, selon les codes artistiques du jeu vidéo.
Pour créer un environnement crédible et une expérience de jeu optimale, la ville reproduite est agrémentée de personnages, inscrite dans un contexte historique et un environnement naturel vaste. Il s’agit de donner corps à une ville en y croisant le grandiose de l’Egypte Antique avec la démesure des villes actuelles. Partant de photos et de plans, l’équipe d’Ubisoft ajoute aux dessins initiaux des jeux de lumière, créant ainsi un rythme et un rapport presque sensuel, qui font oublier le numérique au joueur. Raphaël Lacoste souligne « nous ne cherchons pas une représentation littérale mais à créer des émotions ». La ville elle-même se met à raconter une histoire au joueur en pleine immersion.
Aux manettes, une équipe de près de 200 personnes entre lesquelles se négocient continuellement des choix artistiques, techniques et de conception. En équilibrant les capacités techniques et les volontés artistiques, le lieu est décomposé pour mettre en forme une composition créative. En créant de nouveaux espaces, Ubisoft cherche à faire rêver à travers une ville extrapolée. Créer une ville par impulsion artistique, ce n’est d’ailleurs pas qu’un rêve virtuel : Burning Man, festival artistique, a fait le choix d’une réinterprétation artistique sous un autre angle.
Vivre la ville : penser la ville ex-nihilo
Réinterpréter le concept de ville, c’est en effet ce que réalise le festival du Burning Man chaque année. Depuis la réunion de quelques dizaines de personnes sur une plage de San Francisco en 1986 jusqu’aux 80 000 participants en plein coeur du désert du Nevada d’aujourd’hui, le Burning Man est devenu un festival artistique de premier plan. Mais il constitue aussi un formidable laboratoire pour urbanistes, aménageurs et gestionnaires urbains.
Marian Goodell, CEO du Burning Man, rappelle que la ville éphémère de Black Rock City s’est structurée en s’adaptant à la fois aux besoins des habitants et aux limites imposées par l’espace et le climat. Malgré un nombre de participants importants, qui croît de façon exponentielle, elle assure : « Nous ne nous sentons jamais surpeuplés, surchargés ; la stimulation provient du fait d’être ensemble » (We never felt crowded ; being together is stimulating, en VO). Comment faciliter, par exemple, la mobilité et la circulation des dizaines de milliers de « Burners » durant le festival ? Si les vélos sont majoritaires, on compte également des véhicules de tout type, déguisés en oeuvres d’art. Il existe des règles à respecter à Black Rock City, qui s’inspirent directement de la vie en communauté. Les participants s’adaptent à un cadre de vie et développent une forme de fierté d’être un citoyen éphémère.
L’environnement hostile dans lequel s’implante Burning Man est aussi une caractéristique majeure du festival avec laquelle la ville éphémère doit composer, et qui renforce – paradoxalement – les liens au sein de la communauté. C’est l’entraide qui prime, plus que la compétition. S’il existe aujourd’hui près de 80 événements Burning Man autour du monde, ce sont bien ceux qui se déroulent dans des conditions climatiques extrêmes qui sont les plus intenses et réussis : anticiper des tempêtes de sable ou autres événements naturels pousse à la créativité et à la coopération. L’utilisation de nouvelles technologies a aussi sa place à Black Rock City ; si le travail de la lumière chez Ubisoft est pensé pour créer virtuellement une émotion, dans le désert, des solutions de panneaux solaires permettent d’alimenter les camps. Des innovations qui intéressent aussi bien des organismes comme l’ONU ou Reporters Sans Frontières que des villes traditionnelles, créant la continuité d’une ville éphémère dans la durée.
Alors, peut-on considérer que la créativité de professionnels du jeu vidéo ou d’une communauté en plein désert est la première étape vers les villes du futur ? Le regard des artistes pousse à envisager la ville comme un espace enviable, un lieu qui reste à modeler par sa communauté. Que l’on recrée virtuellement des villes ensevelies sous le sable ou qu’on les en fasse physiquement émerger, les deux approches déploient une imagination sans bornes, ouvrant un horizon de possibilités pour la ville de demain. Selon les mots de Marian Goodell, Burning Man et Ubisoft ont le même objectif : « Créer des mondes pour ceux qui n’en ont pas » (Creating worlds for people who don’t have it, en VO).