Écologie, économie, créativité : le hors-site sur tous les fronts

Aux avant-postes de l’industrialisation du BTP, la construction hors-site formule des promesses importantes sur les plans économiques, écologiques et même sociaux. Son passage à l'échelle reste cependant conditionné à une transformation en profondeur du secteur.

Rationaliser le secteur de la construction hors-site

La question de l’industrialisation de la construction est un sujet ancien, qui refait surface dans un contexte de forte pression économique et écologique. Au cœur du sujet, la démocratisation de la préfabrication « hors-site » pour une construction dite modulaire ou par éléments qui permet d’imaginer des gains substantiels à plusieurs niveaux.

  • • Une construction « hors-site » plus rapide : La construction en usine associée à un assemblage sur site offre d’abord la promesse d’un gain de temps important. Bain estime que la construction modulaire pourrait représenter une réduction comprise entre 20 et 50% des temps de construction, grâce à l’application de méthodes de production déjà appliquées dans la plupart des autres secteurs industriels.
  • • Une construction « hors-site » plus économique.  De la même manière, la préfabrication « hors-site », permet d’imaginer une baisse des coûts importante, à la fois pour les constructeurs, dont les marges sont fragiles, et pour les acquéreurs, qui doivent faire face à un marché tendu avec des taux élevés. McKinsey estime de manière optimiste la baisse potentielle des coûts jusqu’à 20% environ.
  • • Des chantiers « hors-site » plus « acceptables » . Moins de bruit, moins de poussière, moins de déchets et des temps de chantiers raccourcis : le « hors-site » dessine un futur moins invasif pour la construction, en particulier dans l’espace urbain. Une étude menée par Make UK Modular et KOPE estime ainsi que la construction préfabriquée pourrait représenter jusqu’à 80% de mouvements de véhicules en moins sur un chantier !
  • Un bond écologique grâce au « hors-site » . En optimisant les méthodes de production, le hors-site promet enfin une réduction importante des émissions pour un secteur qui compte aujourd’hui pour 37% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, tout au long du cycle de vie des ouvrages et bâtiments. En mettant en valeur l’efficacité énergétique de la production en usine, l’optimisation des transports ou la limitation des déchets, toutes les études soulignent les gains environnementaux liés à la construction modulaire. Une étude de 2022 montrait ainsi que la mise en pratique des MMC (Modern Methods of Construction) pouvait représenter une réduction de l’ordre de 45% des émissions lors de la construction…

Une question de pragmatisme dans la construction « hors-site » ?

Selon la 3e édition du Baromètre annuel hors-site, qui concerne les acteurs français de la construction, 44 % des professionnels interrogés déclarent avoir mis en œuvre du hors-site en 2023 (contre 31% en 2022) et parmi eux 45% pour des des logements collectifs (+4% par rapport à 2022). Un signal positif. Basé au Royaume-Uni, The Productivity Institute souligne néanmoins un certain nombre de freins à la démocratisation des MMC (Modern Methods of Construction) : une pénurie de compétences, un manque de cohésion entre les professionnels de la production des éléments “hors-site” et ceux chargés de leur assemblage sur les chantiers : la multiplication des parties prenantes liées au hors-site (de la conception, jusqu’aux équipes de construction sur site) engendre ainsi souvent des difficultés de coordination qui peuvent entraîner des retards et des dépassements de coûts difficilement absorbables, pour des start-ups notamment.

Dans ce contexte, Mark Erlich, Wertheim Fellow au sein du Harvard Law School’s Center for Labor and a Just Economy, appelle à une forme de prudence et rappelle que “l’innovation technologique dans la construction suit largement une tendance évolutionnaire plutôt qu’un chemin disruptif”. Il fait écho à l’analyse de Kévin Cardona, directeur de l’innovation entrepreneuriale chez Leonard, qui met en avant l’efficacité des approches les plus pragmatiques. “L’exemple de Katerra montre que voir trop grand, avec une gigafactory à 100M€ et un marché de proximité de trop faible ampleur, n’est pas forcément la bonne solution. Les projets actuels se développent sur les outils de production les plus légers et les plus proches de la demande possibles, pour équilibrer les coûts de production et maîtriser les prix de sortie”. L’exemple de Vestack en France, s’inscrit aujourd’hui dans cette logique. 

Le spectre de la standardisation

Le hors-site renvoie à une idée de normalisation des formes bâties, ce qui ne favorise pas son développement. “Les cicatrices urbaines de la standardisation d’après-guerre laissent un goût amer dans l’inconscient collectif et ce particulièrement dans des pays tels que la France, l’Italie, l’Allemagne ou l’Espagne qui ont un patrimoine architectural fort”, explique Kévin Cardona. Un article du Monde souligne à ce propos la nécessité “d’embarquer les architectes” afin de rassurer sur la liberté de création permise par la construction hors-site et notamment le modulaire. Pour rassurer sur la liberté de création permise par la construction hors-site, le guide  “Design for Modular Construction” destiné aux architectes, The American Institute of Architects plaide pour un changement de perception et rappelle que les méthodes de “personnalisation de masse” autorisent aujourd’hui une grande liberté. Le document met en avant les avancées du design paramétrique couplé au BIM et à la fabrication assistée par ordinateur, qui permettent aux concepteurs de pousser le curseur au-delà de ce qu’ils pensaient possible. Il rappelle enfin que la construction modulaire n’est pas nécessairement exclusive et peut très bien se combiner avec des méthodes de construction plus traditionnelles.

L’industrialisation hors-site au-delà du neuf

Moins intuitive, la mobilisation de la préfabrication ailleurs que sur du neuf est également en train de se développer. La démarche EnergySprong, initiée aux Pays-Bas en 2010, incarne cette tendance. Elle consiste à réaliser une isolation thermique par l’extérieur grâce à des panneaux préfabriqués et fait aujourd’hui des émules dans toute l’Europe. En France, elle s’incarne par exemple dans l’usine de préfabrication de Sogea Atlantique BTP, filiale de VINCI Construction, dédiée à la rénovation énergétique de 296 logements en Maine-et-Loire et inaugurée en 2023. En Allemagne, Ecoworks met l’AI et la robotique au service de la rénovation énergétique. Grâce à un scan 3D des bâtiments, la start-up est en mesure de créer des jumeaux numériques, qui servent ensuite de base à la fabrication en usine des différents modules. “C’est une manière de massifier la décarbonation et d’améliorer l’inclusion énergétique sur du patrimoine qui est déjà issu d’une forme d’industrialisation, en particulier des logements sociaux”, précise Kévin Cardona. Ce procédé est également au cœur de la conception des panneaux Rehaskeen, système d’isolation mis en œuvre par GTM Bâtiment (VINCI Construction), permettant de rationaliser, de standardiser et d’industrialiser les opérations de rénovation énergétique.

Présentée comme une révolution depuis plus d’une décennie mais toujours relativement confidentielle, le passage à l’échelle de la construction “hors-site” passera certainement par le développement de nouveaux business models.

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