La rudologie est une discipline en plein essor. Elle s’attache à l’étude systématique des déchets, des biens et des espaces déclassés. Elle nous invite également à changer de regard sur ce que nous classons parfois trop vite dans ces différentes catégories. Les excavations de chantiers, en particulier, méritent que l’on s’attarde un peu. A titre d’exemple, les travaux liés au Grand Paris Express devraient représenter l’équivalent de 43 millions de tonnes de déblais d’ici 2026. Ironiquement, alors qu’elles extraient de fantastiques quantités de terre de leurs sous-sols – souvent de bonne qualité – les villes importent des terres fertiles pour aménager leurs espaces verts. Pour rééquilibrer ce bilan, des logiques d’urbanisme plus circulaire se développent. Les terres extraites des chantiers font ainsi aujourd’hui l’objet de toutes les attentions et sont valorisées en matériaux de construction, mais également en matière première, pour l’élaboration de nouveaux sols vivants.
Comprendre les sols pour mieux les valoriser
Les sols – naturels ou anthropisés – sont des milieux complexes et variés. Ce sont des écosystèmes vivants qu’il est important de comprendre et de connaître si l’on souhaite mieux les préserver, mieux les utiliser, voire, les régénérer. Dans ce contexte, la constitution de « fonds pédogéochimiques » est un travail préalable à toute intervention. En France, la Base de Données des analyses de Sols Urbains (BDSolU) joue ce rôle dans les villes. Une cartographie précise permet également de faciliter la valorisation des terres. Le projet GeoBaPa – déployé en Ile de France et en Normandie dans le sillage des chantiers du Grand Paris – permet de connaître la qualité chimique des terres excavées et des sols qui vont les recevoir. En plus d’éviter des études de comptabilité au cas par cas, cette démarche scientifique menée par Soltracing a permis de montrer que jusqu’à 50 % des terres excavées pouvaient être réutilisées en préservant la qualité des sites récepteurs.
La naissance d’une filière
Ce changement de paradigme quant à la nature des terres de chantiers excavées est en train de donner naissance à un nouveau marché de la valorisation. Développé par Grand Paris Aménagement et la ville de Sevran, Cycle Terre a pour objectif d’inscrire les chantiers du Grand Paris dans une logique circulaire. Extract, filiale de VINCI Construction France, prend en charge la gestion des terres, des sédiments, des boues de chantier et des boues industrielles, et se spécialise dans le traitement des sols pollués. Toujours chez VINCI, Equo Vivo travaille à la renaturation des milieux dégradés (lire l’interview de son Directeur général, Lionel d’Allard), ou à la continuité écologique grâce à des trames vertes et bleues qui facilitent la libre circulation des êtres vivants. Le sujet de la valorisation des terres excavées a par ailleurs déjà inspiré deux projets d’intrapreneurs accompagnés par Leonard… Côté logiciel, un groupe comme Hesus développe aujourd’hui des solutions dédiées à la gestion et à la traçabilité des terres excavées.
La recette des technosols
Malgré les progrès importants du secteur, la valorisation de ces matériaux est loin d’avoir atteint son plein potentiel. Aujourd’hui encore, la majorité du recyclage a lieu dans ce que l’on appelle la “valorisation volume” (réaménagement de sites industriels aux sols pollués, remblais pour la fabrication de routes, etc…). L’enjeu principal est de développer une “valorisation matière” pour transformer les excavations en matériaux de construction “nobles”. Mais il existe également une troisième voie encore discrète mais prometteuse : celle des technosols. Ces sols construits se caractérisent par une forte influence humaine, et permettent d’imaginer la recréation de sols fertiles en milieu urbain à partir de matériaux recyclés issus de la ville elle-même. La plupart des projets sont aujourd’hui expérimentaux, mais sont porteurs de belles promesses.
L’expérimentation Bio-TUBES s’est ainsi concentrée sur les enjeux de reconversion écologique d’une friche, et note après 3 ans que “la fonction «Habitat des organismes du sol» a été restaurée rapidement sur toutes les modalités alors que les fonctions de régulation (climat, recyclage des nutriments, flux d’eau) ont évolué positivement”. Les technosols pourraient également se rendre utile en toiture, terrain de jeu incontournable de la végétalisation. Ils permettent d’imaginer des substrats plus riches et locaux, pour un meilleur bilan CO2 et une biodiversité plus importante. Le toit potager expérimental d’AgroParisTech – développé dans le cadre du lab recherche environnement en partenariat avec VINCI – met ainsi à profit les technosols pour une agriculture urbaine en bacs. Mieux compris, mieux pris en charge, sols urbains et terres excavées s’affirment désormais comme des ressources clés pour penser les villes de demain.