Financement : la climate tech à l’abri des crises ?

La combinaison de facteurs macro-économiques et géopolitiques pèse lourdement sur les dynamiques d’investissement. Mais ce contexte général ne doit pas occulter une certaine hétérogénéité des situations, régions et secteurs. Un en particulier semble tirer son épingle du jeu : la climate tech, ou l’investissement dans les innovations durables en faveur du climat.

NB : Cet article est issu du yearbook Leonard 2023 à paraître prochainement.
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Plus de 50 milliards de dollars ont été investis en 2022 dans les start-up de la climate tech, d’après une étude de PWC, soit un peu plus du quart de la totalité des fonds de capital-risque. L’appétence pour le secteur est en progression constante, voire en accélération, mais pas pour tout le monde : ce phénomène bénéficie avant tout aux start-up en early stage, moins aux structures plus matures qui, elles, se heurtent à plus de difficultés pour continuer à lever des fonds.

Le rôle de la réglementation

Comment expliquer cet attrait ? Les réglementations s’intensifient dans tous les secteurs, à l’exemple de celle touchant la construction depuis l’entrée en application de la RE2020 en France (Réglementation Environnementale) qui définit l’empreinte carbone maximale d’un bâtiment neuf pour autoriser sa réalisation. Les manières actuelles de construire n’étant pas compatibles avec les seuils les plus élevés de cette réglementation qui va se durcir jusqu’en 2030, investir dans l’innovation est devenu un incontournable pour les financeurs des technologies de construction (contech). On peut aussi noter l’effet d’entraînement amorcé par les plans d’investissements publics (loi sur les ENR, France 2030, plan Biden aux USA…) qui mobilisent de plus en plus de fonds pour la transition écologique. Enfin, il ne faut pas négliger le phénomène de dry powder : les fonds d’investissement disposent de réserves conséquentes dont une proportion importante est d’ores et déjà fléchée pour la climate tech.

Paroles d’investisseurs :

Quelles perspectives les investisseurs envisagent-ils plus spécifiquement dans le secteur de la climate tech ? Mauricio Weiss, Zacua Ventures analyse :

“Notre dernière étude révèle qu’une majorité des fonds d’investissement ont l’intention d’augmenter leurs investissements dans le domaine de la sustainability. 30% voudraient augmenter leurs investissements dans les nouveaux matériaux de construction. La pression réglementaire a un effet direct sur les priorités d’investissement. Les incertitudes du marché, elles, forcent les investisseurs à se recentrer sur leurs cœurs de métier et leurs régions-clés, ce qui signifie plus de défis pour les start-up qui souhaiteraient attirer des fonds internationaux ou aux verticales multiples.”

Quant à Mathias Flattin d’Axeleo Capital, il confirme le recentrage de l’investissement sur les start-up susceptibles de répondre aux enjeux les plus essentiels mis en lumière par la crise environnementale :

Avec l’accumulation des crises, les priorités changent : moins de nice to have, plus de must have, soit un recentrage sur l’essentiel, les besoins réels, et moins de spéculatif. Pour les entrepreneurs, cela veut dire être capable de démontrer un impact, apporter des solutions par l’innovation à des problématiques sociétales et environnementales pour capter les investissements dès l’amorçage.”

 

Parcours de financement

Trois start up qui ont bénéficié de l’accompagnement et du financement de Leonard par l’intermédiaire du programme SEED témoignent de leurs parcours de financement.

CAELI ÉNERGIE

Rémi Perony, président et fondateur

Date de création : 2020

Elevator pitch : Nous concevons et fabriquons un système de climatisation bas carbone

Parcours de financement : un premier pied à l’étrier de 200k€ apporté en ante-création par le réseau SATT de Grenoble, puis la Bourse French Tech Emergence et un prêt d’honneur du réseau Entreprendre Isère, des aides Deep Tech, et des premiers prêts bancaires. L’early stage est assez fluide quand on coche les “bonnes cases” de l’écosystème d’investissement en France : des fondamentaux scientifiques/technologiques crédibles, un potentiel marché important et une bonne équipe. L’effet d’entraînement apporté par ces fonds publics est très net. Mais il faut rapidement ensuite opérer des levées de fonds, et là, c’est plus difficile, parce que les investisseurs se focalisent encore sur des questions auxquelles les startups Deep Tech ne peuvent pas répondre, notamment le time-to-market. Petit à petit, on voit quand même un regain d’intérêt pour le hardware et le risque. Il faut amener le secteur de l’investissement tout entier à évoluer vers d’autres types d’indicateurs pour la prise de décision; ceux d’aujourd’hui sont encore trop calibrés pour des entreprises digitales au parcours tout tracé.

crédit : Caeli Energy

 

 

OSTREA

Tanguy Blévin, co-fondateur

Date de création : 2022

Elevator pitch : une start up industrielle qui revalorise les déchets conchylicoles (huîtres, moules, saint-jacques) en matériau innovant et à faible impact carbone

Parcours de financement : une aide ante-création de 50k€ via la bourse Emergys de Bpifrance et la région Bretagne, et une intégration du technopôle régional qui nous a permis de développer la v1 de notre matériau et d’en tester l’attrait auprès de premiers prospects. Puis une levée de dette auprès de banques, des aides de la région, des prêts donneurs des réseaux Entreprendre et Initiative, pour monter notre première petite usine et débuter la commercialisation. Aujourd’hui nous préparons notre première levée de fonds, sécurisée à 90%, pour adapter nos moyens de production, recruter, et investir en R&D. Ce qui a fait la différence c’est l’accompagnement et notre ancrage territorial : il y a beaucoup d’aides et de dispositifs publics mais c’est compliqué de bien les comprendre puis de monter les dossiers. Nos mentors, le technopôle et les réseaux de business angels locaux ont été d’une aide précieuse pour mettre à plat nos ambitions et trouver les bons dispositifs à mettre en face. C’est un travail à temps plein mais qui paye : être accompagné par les structures de l’innovation et soutenu par la région nous a donné une crédibilité quasi immédiate. C’est un gros enjeu pour le secteur ostréicole breton, et pour le territoire, et nous avons pu nous insérer dans une dynamique pour faire rapidement la preuve de notre utilité.

crédit : Ostrea Design

EP TENDER

Jean-Baptiste Segard, CEO et fondateur

Date de création : 2012

Elevator pitch : Nous accélérons la transition énergétique des véhicules électriques grand public,  grâce à notre remorque powerbank intelligente louée à la demande pour des voyages occasionnels de longue distance.

Parcours de financement : j’avais sous-estimé la différence de culture entre la finance et l’industrie automobile. En finance le risque est un actif, une matière première, avec des cycles de décision rapide. Dans l’industrie automobile le risque est un facteur à minimiser voire à éviter, avec des décisions qui nécessitent un consensus de l’ensemble de la matrice organisationnelle et un cycle long. Parvenir à faire adopter une solution disruptive externe est un défi redoutable. Des aides publiques et des ressources propres nous ont permis de franchir les étapes de la preuve technique et de la modélisation numérique du marché. Mais il y un fossé une fois passé ces premiers stades : les fonds VC sont devenus très prudents sur le hardware, notamment lorsqu’il comporte un nouveau modèle économique non encore démontré. Or, réaliser un pilote en conditions réelles nécessite des fonds et donc une prise de risques… Nous espérons y parvenir en associant un financement public, un constructeur, et un investisseur financier ou autre acteur de la filière. L’enjeu environnemental et social le mérite !

 

crédit : EPTender

Leonard et le financement de l’innovation

Le programme SEED finance et accompagne des start up en amorçage. Sélectionnées pour les solutions innovantes qu’elles proposent dans les secteurs de la construction, des mobilités, de l’immobilier et des énergies, elles bénéficient pendant 6 mois d’une formation par des experts issus de l’Université de Stanford, d’ateliers, de sessions de coaching, et de mises en relation avec des mentors de VINCI et du réseau d’investisseurs animé par Leonard. En quatre promotions, 30 start up ont été ainsi accompagnées. En 2022, Leonard s’est engagé dans une démarche de BSA Air pour soutenir leur développement : ces “bons de souscription d’actions – accord d’investissement rapide”  permettent aux start up de différer l’entrée au capital de leurs investisseurs jusqu’à la première levée de fonds, tout en bénéficiant immédiatement des fonds pour leur croissance.

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