Habiter autrement : l’habitat partagé fait tomber les murs

Pression démographique, crise du logement abordable, fatigue de l’individualisme : et si le temps était venu de faire tomber les murs de nos habitats ?
Habiter autrement : Eric Cassar, Caroline Reminy et Michel Maffesoli
Eric Cassar, Caroline Reminy et Michel Maffesoli à Leonard:Paris

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Votre concierge est votre community manager préféré. Muni de votre boussole numérique, vous avez appris à étirer l’espace, et votre 50 mètres carrés s’est transformé en loft de 800 mètres carrés. Grâce à vos 15 colocataires multi-étoilés sur Airbnb, votre logement est autofinancé. Depuis que vous avez découvert le co-living, l’individualisme que l’on prête aux habitants de nos villes modernes vous paraît une incongruité d’un autre âge

Rêve éveillé ? Utopie post-moderne ? Réalité en marche, plutôt. « Alternative vécue », dirait le sociologue Michel Maffesoli, invité de Leonard:Paris dans le cadre du festival Building Beyond, pour échanger avec l’architecte Eric Cassar, du cabinet Arkhenspaces, et l’intrapreneuse Caroline Reminy, directrice Ingénierie BIM chez VINCI Construction France.

Des habitats « mutualisés, solidaires et sensibles »

Le thème qui les réunissait le 13 juin dernier était « Habiter autrement : nouveaux usages, nouveaux modèles économiques ». Et tous trois, à l’évidence, se rencontrent sur un point essentiel. En ce début de XXIe siècle, habiter autrement, c’est inventer de nouvelles manières d’habiter avec les autres. Et chez Eric Cassar, cette conviction va loin, très loin. Son concept « Habiter l’infini » propose de repousser les murs des logements individuels, pour inventer des habitats « mutualisés, solidaires et sensibles », dans lesquels chaque habitant, chaque famille disposerait, au-delà de son espace intime, de lieux partagés : terrasses, salles de réunions, salles à manger, cuisines… au gré de ses besoins. Autant d’espaces à disposition des occupants d’un même habitat – un « îlot » –, réservés grâce à une « boussole numérique ». Soit une appli connectant habitants et espaces physiques, dopée aux données issues de capteurs disséminés dans le bâti, et permettant d’allouer usages et affluence au gré des besoins de chacun.

L’espace devient élastique

« L’espace devient élastique, il est circonscrit en temps réel par le numérique, et chacun peut avoir l’impression de vivre dans 1000 mètres carrés », résume l’architecte. Le concept s’appuie sur un fait majeur : à l’instar des voitures individuelles, que mille nouvelles offres de mobilité encouragent à partager l’usa, le taux d’usage des logements individuels est faible.

Un salon reste vide des journées entières, par exemple. Pourquoi, dès lors, ne pas en offrir, temporairement, l’usage à d’autres ? Voilà qui repousserait les murs de chacun à moindre frais. Voilà, aussi, qui permettrait d’optimiser le coût d’exploitation du bâti, en particulier en matière d’énergie. Voilà, aussi, qui répondrait à la crise du logement dans les grandes métropoles, offrant à tous de vivre plus, densifiant les services de proximité, faisant se croiser utilement les rythmes de vie différents des différentes générations.

Laisser s’effriter le « mur de la vie privée »

Cela suppose bien sûr d’accepter de laisser s’effriter le « mur de la vie privée ». Ce mur, rappelle Michel Maffesoli, c’est celui bâti par l’époque moderne, celui de l’individu, de la rationalité, de la cellule familiale réduite à la famille conjugale. Or, observe le sociologue, ce mur est aujourd’hui poreux. Voici venue l’ère où chacun renoue avec « l’enfant éternel » qui sommeillait en lui, avide des autres, moins porté par ce qui est utile et rationnel que par ce qui est sensible, ludique, festif. La parenthèse moderne se referme, et s’installe une synergie de l’archaïque et du moderne : les tribus se réinventent, smartphone en main, et sont prêtes à construire un « Nous » remplaçant le « Je » du siècle passé.

Ce « Nous », Caroline Reminy en fait l’expérience au quotidien. Elle a conçu, et habite, un espace de co-living : en pratique, la réunion de plusieurs appartements, occupés par une petite dizaine de résidents. « Ce « nous », c’est, tout simplement, des résidents ayant accepté d’habiter un lieu ouvert », explique-t-elle. Caroline Reminy entend faire vivre « l’esprit co-living » à plus grande échelle et porte, comme intrapreneuse de VINCI, le projet d’habitat partagé « Human Buildings », qu’accompagne Leonard. « Le co-living est une réalité qu’on retrouve dans des appels d’offre aujourd’hui, souligne-t-elle. C’est une approche où se positionnent de nouveaux petits acteurs, très actifs, des fonds d’investissements, et que les majors ont intérêt à explorer ». 

Prendre le risque de réinventer le logement

L’ « habitat infini » peut-ils convaincre les promoteurs ? Eric Cassar veut le croire. « Le logement reste, c’est sûr, une valeur refuge des investisseurs. Mais il faut accepter de prendre le risque de le réinventer. Il faut tester. Il faut imaginer des bâtiments vivants, envisager la réversibilité du bâti, un habitat poreux. Et se rappeler que l’architecture, ce n’est pas l’apparence du bâti, c’est vivre dans du bâti. Il faut inventer ce « nous » » du co-living , et le numérique est ce qui rend cela possible ».

 

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