La relation d’amour/haine à la vitesse est une figure incontournable des imaginaires contemporains. “Il me semble que les montagnes et les forêts de tous les pays se rapprochent de Paris. Déjà je respire le parfum des tilleuls allemands, la mer du Nord déferle à ma porte”, écrivait déjà Heinrich Heine à propos du train en 1854. Dans le même temps, Goethe inventait le néologisme “vélociférique” pour désigner l’accélération diabolique de nos déplacements. Cette relation schizophrénique à l’accélération s’incarne aujourd’hui à travers les projets d’Hyperloop, honnis par les uns, encensés par les autres. On pointe d’un côté la “vitesse généralisée” irrationnelle et inefficace d’une société qui paradoxalement perd du temps à le gagner. On souligne de l’autre l’abolition des contraintes géographiques. Dans ce débat passionné, Leonard a souhaité faire le point sur les faits : à quel stade en sont les projets en cours et quelles sont les perspectives ?
Beaucoup d’Hyperloops, peu d’information
L’aura d’Elon Musk, les promesses de la technologie, la qualité de la communication : quelles que soient les raisons, les projets Hyperloop se multiplient. A chaque fois, la modalité est la même : une entreprise est créée pour réaliser la vision en “open source” du fondateur de Tesla. On assiste aujourd’hui à une forme de course mondiale à celui qui concrétisera l’essai en premier. A ce petit jeu, Virgin Hyperloop fait peut-être figure de favori. En Novembre 2020, dans le désert du Nevada, une capsule de l’entreprise atteint les 172 km/h avec passagers dans un tube dépressurisé. Rien de très impressionnant en termes de vitesse, mais un premier pas vers la démonstration de la viabilité technique du concept. Virgin a investi 500 M€ dans un centre d’expérimentation, avec pour objectif d’obtenir les premières certifications d’ici 2025… Aux Pays-Bas, Hardt et Delft Hyperloop sont en train de construire la plus longue piste de test européenne pour un budget de 30M€, dont presque un tiers d’argent public. En France, Hyperloop TT construit également son infrastructure de test à Toulouse… Des projets prévoient de relier Dubaï et Abou Dhabi en moins de 12 minutes, Pune et Mumbaï en 25 minutes, San Francisco et Los Angeles en 35 minutes…
Face au foisonnement d’initiatives, les questions de standardisation et de régulation sont centrales. En Europe, des partenariats naissants laissent imaginer des collaborations entre start-ups. Hardt, Zeleros, Nevomo et TransPod se sont réunis en consortium afin d’accélérer les efforts de standardisation. Aux Etats-Unis, le gouvernement travaille également sur un cadre juridique pour le déploiement des hyperloops.
La très (très) grande vitesse pour quoi faire ?
Si les projets Hyperloop progressent, ils attirent également leur lot de critiques. Nous avions déjà traité ici la technologie sous l’angle du gadgetbahn, néologisme désignant les solutions de transport miracles qui ne règlent rien. Si le terme est sans doute un peu fort, les questions de l’intérêt et du prix d’Hyperloop restent bien vivaces.
En 2016, une fuite de documents estimait le coût par mile d’une ligne à 121 M$, là où Elon Musk promettait 11,5 M$ par mile en 2013. Même si les ingénieurs réussissent à réduire leurs coûts, il semble peu probable qu’ils atteignent le niveau par passager affiché par le train. Dans une lettre dénonçant une “formidable escroquerie technico-intellectuelle”, l’expert français François Lacôte, comparait le débit maximal de 1000 passagers/h pour Hyperloop à celui de 20 000 passagers/h pour un TGV…
D’un point de vue écologique, les promesses initiales mentionnaient l’installation de panneaux solaires sur les tubes, le gain d’énergie dû au déplacement des capsules “sous vide”, et l’utilisation exclusive d’électricité renouvelable. Idéalement, le dispositif pourrait être autosuffisant. Si le réalisme de cette perspective est difficile à vérifier, des études d’impact soulignent certains aspects positifs. L’Université Helmut Schmidt de Hambourg a ainsi calculé que 300 km de voies Hyperloop dédiées au fret permettraient d’éviter l’émission de 140 000 tonnes de CO2 chaque année…
Néanmoins, la question des infrastructures et de l’emprise au sol reste irrésolue. Les tubes aériens permettent d’imaginer des dégagements “qui n’excèderaient pas une dizaine de mètres de large, favorisant une implantation à l’aplomb d’axes existants”, comme l’explique Batiactu. En revanche, la linéarité des voies nécessaire à la grande vitesse pose des questions concernant le passage des reliefs ou la traversée des zones protégées…
Enfin, la question de l’utilité même du projet se pose. Citylab parle de “projection élitiste” de la part de Musk, qui ne prend pas en compte les “volumes” de personnes à transporter dans de petits espaces. Si Hyperloop a peut être les moyens de déplacer certains privilégiés d’un cœur de ville à un autre, il ne semble pas répondre aux questions d’engorgement, ou de transport de masse qui paralyse aujourd’hui les espaces urbains.
Une grande foire à la R&D ?
Finalement, la puissance d’Hyperloop semble résider dans sa capacité d’attraction. Des centaines d’ingénieurs travaillent aujourd’hui à résoudre le défi posé par Elon Musk. Lui-même a lancé The Boring Company, dont l’ambition est de percer plus efficacement les tunnels. Et si Hyperloop ne devait pas se faire, Musk a déjà prévu d’y faire rouler ses Tesla autonomes. “On est plutôt sur une démarche de R&D. On ne verra pas de ligne en service avant 20 ans, dans des régions plates au milieu des déserts”, résume Eric Vidalenc.