Interview de Xavier Huillard (VINCI) : « La transition énergétique est une puissante lame de fond pour l’ensemble de nos métiers »

Yearbook 2024 : l'innovation a trouvé sa boussole
Le président-directeur général de VINCI analyse les enjeux techniques et économiques de la transition énergétique, dont la portée et les incidences concrètes sur la recomposition des systèmes d’énergie ne sont pas toujours perçues clairement. La décarbonation de nos économies va conduire à renouveler en profondeur les infrastructures énergétiques mais aussi de mobilité ainsi que le cadre de vie. Un formidable terrain de jeu pour les innovateurs accompagnés par Leonard.

Cet article est issu du yearbook 2024 : « L’innovation a trouvé sa boussole. » Nous avons conçu cette revue annuelle pour vous inspirer et susciter de nouvelles vocations au service de la transformation des villes et des territoires. Bonne lecture !

Le thème de la transition énergétique monte en puissance dans le débat public. Quelle est selon vous l’ampleur du phénomène, et en quoi réinterroge-t-il nos systèmes d’énergie actuels ?

C’est aujourd’hui une évidence partagée : la transition énergétique est une nécessité absolue. Comme l’a confirmé l’accord de la COP28 de Dubaï, nous devons impérativement réduire notre dépendance aux énergies fossiles au bénéfice des énergies décarbonées. Pour contenir le réchauffement climatique, nous allons ainsi devoir électrifier massivement tous les secteurs qui ont besoin d’énergie – l’habitat, la mobilité, l’industrie –, c’est-à-dire, peu ou prou, l’ensemble de nos économies, sachant que l’électricité est très minoritaire dans le mix énergétique de tous les pays.

Les besoins d’énergie électrique vont donc être colossaux dans les années et décennies à venir, sans que l’on en prenne toujours la mesure. RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité français, réévalue d’ailleurs régulièrement à la hausse ses scénarios prospectifs, en se projetant à juste titre vers un horizon 2050 où la massification des usages électriques sera devenue réalité.

Pour VINCI, quelles perspectives d’activité représente la transition énergétique ?

Avec nos trois grandes familles de métiers de l’énergie, de la mobilité et de la construction, nous sommes positionnés au cœur des enjeux de la transition énergétique, qui constitue une puissante lame de fond pour l’ensemble du groupe. C’est autant une immense opportunité qu’une grande responsabilité : dans toutes nos activités, nos expertises nous destinent à être des contributeurs majeurs à l’avènement d’un monde décarboné. Cela nous projette dans un horizon de temps qui n’a jamais été aussi porteur et tangible à la fois, car avec l’urgence climatique, le long terme devient un enjeu immédiat avec la nécessité de nous inscrire dès à présent dans la trajectoire vers la neutralité carbone en 2050.

La vague d’électrification massive nous concerne bien sûr au premier chef dans nos métiers de l’énergie, d’autant plus qu’avec VINCI Energies et Cobra, les deux pôles de notre branche Énergie, nous sommes un acteur mondial dans ce domaine, présent tout au long de la chaîne de production et de transmission de l’électricité, y compris en devenant développeur, financeur et exploitant des sites de production d’énergies renouvelables, à l’exemple du méga-parc photovoltaïque que nous venons de mettre en service à Belmonte, au Brésil. Ce faisant, dans une boucle de l’Histoire qui donne une incroyable actualité à l’intuition de nos pères fondateurs, nous sommes en train de renouveler le modèle originel de VINCI, qui a bâti son essor il y a cent vingt ans sur la chaîne de valeur de l’électricité, alors naissante, depuis la construction d’usines de production électrique jusqu’au déploiement et à l’exploitation des réseaux électriques dans le cadre de concessions – lesquelles s’étendaient même aux réseaux de tramways et de chemin de fer départementaux.

Yearbook 2024 : interview Xavier Huillard, PDG de VINCI
Xavier Huillard, président-directeur général de VINCI

Qu’en est-il dans les deux autres familles de métiers de la construction et des concessions ?

La transition énergétique est tout aussi porteuse. Dans la construction, elle génère un flux croissant de chantiers de génie civil liés non seulement aux infrastructures énergétiques (stations de conversion d’énergie, interconnexion des réseaux transnationaux…), mais également à la décarbonation des transports, avec les grands projets d’infrastructures ferroviaires comme le Grand Paris Express en France et la ligne à grande vitesse HS2 au Royaume-Uni, ou encore les usines géantes de batteries pour voitures électriques. Il en va de même dans le bâtiment et les activités d’aménagement urbain au sens large, pour lesquelles se conjuguent les enjeux d’efficacité énergétique et de réduction de l’empreinte carbone, de désartificialisation des sols et de transformation des modes de vie et de travail. La ville se régénère ainsi sur elle-même, ce qui suscite de multiples projets. Dans les concessions d’infrastructures de transport, la transition énergétique est à la fois un enjeu existentiel et un puissant levier de renouvellement pour nos activités. Décarboner la route et le secteur aérien est la condition nécessaire pour que l’on puisse continuer à se déplacer, à voyager, à acheminer les marchandises et à irriguer nos économies, sachant que les besoins de mobilité ne cesseront de croître partout dans le monde. Le mouvement est engagé avec l’électrification des aires de services sur nos autoroutes et la distribution de biocarburants pour avions sur nos aéroports. Et les technologies pour demain existent déjà, qu’il s’agisse des autoroutes, où nous expérimentons la recharge dynamique des poids lourds par rail conducteur ou par induction, ou bien du secteur aérien, avec les carburants de synthèse et à moyen terme l’hydrogène ou les e-fuels. Tout est donc en mouvement, là encore, pour transformer en profondeur ces infrastructures.

Au regard de tous ces usages, quels sont les enjeux technologiques et économiques du déploiement massif des infrastructures d’énergie ?

L’attention est focalisée aujourd’hui surtout sur les besoins de production d’énergie électrique décarbonée. De fait, les projets solaires et éoliens sont de plus en plus nombreux et ambitieux, comme on le voit par exemple avec les gigantesques plates-formes de conversion électrique associées à des parcs éoliens que nous sommes en train de construire en mer du Nord – des projets qui se chiffrent en milliards d’euros. Dans le nucléaire, nous entrons aussi en phase de relance, en particulier en France, avec le programme de construction de 6 et même vraisemblablement 14 nouveaux réacteurs EPR : d’immenses chantiers sont donc devant nous. Ce dont on a moins conscience, en revanche, c’est que pour un euro consacré à de nouvelles capacités de production d’énergie décarbonée, il faudra investir presque la même somme dans la reconfiguration, l’extension et l’interconnexion des réseaux de transport et de distribution de l’électricité. Le défi technique sera d’assurer un équilibre permanent entre production et consommation, en sécurisant les approvisionnements en électricité, alors même que ces réseaux devront intégrer une part croissante d’énergies renouvelables intermittentes et que le courant électrique ne peut être stocké qu’en le convertissant sous une autre forme d’énergie. Comme pour la production, notre branche Énergie est déjà mobilisée et le sera de plus en plus par ces opérations multiples sur les réseaux. Nous avons aussi vocation à nous intéresser à la problématique essentielle du stockage, qu’il s’agisse de stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) ou encore de solutions de stockage d’hydrogène ou de batteries.

Tous ces investissements à venir dans les infrastructures d’énergie – comme d’ailleurs dans la décarbonation des infrastructures de transport – sont tellement importants qu’ils ne pourront pas reposer sur les seuls budgets publics et nécessiteront de faire appel aux partenariats public-privé. C’est déjà le cas pour une partie des lignes à très haute tension que nous réalisons au Brésil et que nous devons déployer en Australie prochainement. La transition énergétique est donc bien en train de revivifier notre modèle historique !

 

« Pour un euro consacré à de nouvelles capacités de production d’énergie verte, il faudra investir presque la même somme dans les réseaux de transport et de distribution de l’électricité. »

 

Quel est selon vous le rôle de Leonard dans la dynamique de transformation des métiers qu’implique cette transition ?

Leonard joue déjà un rôle actif dans le mouvement de réingénierie que nous sommes en train d’opérer dans tous nos métiers à l’aune du nouveau paradigme de la transition énergétique et environnementale. La majorité des projets d’innovation incubés par Leonard portent sur ce thème, et bon nombre d’entre eux ont donné naissance à des avancées technologiques d’ores et déjà intégrées dans nos méthodes et nos offres, dans des domaines aussi divers que la performance énergétique des bâtiments et des process industriels, la décarbonation des matériaux et procédés de construction ou l’intelligence artificielle appliquée à l’optimisation du trafic routier et des opérations aéroportuaires. Pour les prochaines années et décennies, les territoires encore à défricher sont immenses, à la mesure du chemin qu’il reste à parcourir pour parvenir collectivement à la neutralité carbone en 2050. Nos métiers sont un formidable terrain de jeu pour les innovateurs. Nous avons besoin d’eux, et ils sont assurés de trouver chez VINCI une culture d’entrepreneurs qui saura valoriser leur créativité !

 

Pour aller plus loin, consulter les comptes-rendus et les replays de notre cycle : « Accélérer la transition énergétique, un défi industriel » organisé en 2023.

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