La « libellule » de Vincent Callebaut va bientôt fêter ses dix ans. « Dragonfly », en version originale, est le nom du prototype de ferme métabolique qu’ont conçu en 2009 l’architecte belge et ses équipes pour doter New York d’un néo-Central Park, un espace « vert » iconique, non pas récréatif mais nourricier. Ce projet d’agriculture urbaine est une ferme verticale (575 mètres) habitée, auto-suffisante énergétiquement. Elle intègre des jardins communautaires et des potagers urbains et est accolée à un marché flottant. L’objectif : reverdir la ville, mais surtout produire de manière intensive – et responsable – au plus près des lieux de consommation.
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Agriculture urbaine, biomimétisme, énergie positive : de grandes utopies (concrètes)
Ni Dragonfly, ni Lilypad (« nénuphar »), ce projet d’Ecopolis destiné à accueillir des réfugiés climatiques, ni les tours-prototypes dessinées pour un Paris de 2050 rêvé, n’ont pas été bâtis. Leur vocation était en réalité davantage d’attirer l’attention des acteurs de la ville sur des solutions aux grands défis auxquels nous faisons face : une planète toujours plus urbanisée, des ressources toujours plus rares et un changement climatique toujours plus prégnant. Avec succès ? Vincent Callebaut montre, avec plusieurs projets en cours de construction, en Asie ou Afrique, qu’il n’est pas une sorte de « Jules Verne de l’architecture » et que ses utopies touchent au réel. Pour le festival Building Beyond organisé par Leonard:Paris, il présente ainsi quelques grands gestes architecturaux en voie de sortir de terre. À Taipei, la tour hélicoïdale Tao Zhu Yin Yuan, massivement végétalisée, est légèrement « carbo-absorbante » et aménagée pour réduire la consommation énergétique des habitants. Au Caire, The Gate Residence offre un « écosystème vert » (et hyper-connecté) en plein cœur de la ville. À New Delhi, les tours en bois massif d’Hyperions accueillent serres bioclimatiques et cultures hydroponiques.
Le recours à des logiques de l’économie circulaire, voire symbiotique, à des techniques de construction économes en matériaux, et à une architecture biomorphique s’inspirant de la nature pour astucieusement réaliser des grains énergétiques : voilà de quoi caresser le rêve de villes-écosystèmes ? Les business models de la fabrique d’une ville durable restent à inventer. Vincent Callebaut l’affirme, « l’intégration de la biodiversité a ses avantages, avec un coût moindre que la construction classique ». Mais ce coût moindre est généralement à calculer en incluant les gains sociaux et environnementaux, ou pour le moins en prenant en compte les économies financières effectuées après cinq ou dix ans d’exploitation des bâtiments. Une question, aussi, d’innovation juridique.
Projet Hyperions présenté par Vincent Callebaut
Des écologues dans la ville
Faire entrer la biodiversité en ville, un objectif récent (il remonte à certaines politiques de la ville d’il y a trois à quatre décennies), n’est pas qu’une histoire de grands gestes. Il s’agit en réalité de faire infuser de nouveaux modes de fabrique urbaine dans le quotidien des pratiques. Un glissement qui se trouve à l’opposé du processus à l’origine de la construction des villes, qui comme le rappelle Gilles Bœuf, professeur à Sorbonne Université et ancien président du Muséum national d’Histoire naturelle, est avant un tout un acte de destruction, reposant sur le principe d’artificialisation, associé à la pollution des écosystèmes non détruits.
Un mouvement s’observe. Paola Mugnier, ingénieure R&D à Urbalia, agence visant à accompagner les acteurs de la ville dans leurs projets d’aménagement intégrant des objectifs de biodiversité, retrace son historique :
- prise de conscience du monde scientifique qui voit la biodiversité comme une richesse inattendue y compris pour la ville ;
- premiers règlements, dans les décennies 1980 et 1990, qui témoigne d’une évolution des mentalités du monde public, surtout dans les sites ruraux ou péri-urbains qualifiés puis en ville ;
- apparition de certifications, BREEAM puis HQE, et de plans d’action dans biodiversité pour les acteurs de la construction ;
- apparition, enfin, de nouveaux acteurs, climatologues et écologues, aux côtés des architectes, en parallèle de mouvements citoyens qui s’emparent de la nécessité partagée par une immense majorité de citadins de disposer d’un contact quotidien avec la nature.
Que peut la technologie ?
Nouveaux acteurs, donc, mais aussi nouveaux outils d’évaluation, de certification, de quantification, à l’instar du coefficient de carbo-absorption appelé à se généraliser. Urbalia, start-up lancée à la fin 2017, a par exemple développé Biodi(V)strict®, un outil de simulation de la biodiversité urbaine, avec AgroParisTech et la Chaire VINCI-ParisTech d’Éco-conception. Ses indicateurs permettent d’évaluer l’impact des projets de construction sur la biodiversité en ville, de les justifier auprès d’acteurs tiers et des usagers finaux, et de fédérer une équipe-projet autour de la biodiversité. Avec, pour finalité, des projets immobiliers accueillants à la fois pour les usagers et pour la nature.
La biodiversité urbaine, qui prend des formes diverses, à travers des objectifs biologiques (végétalisation des espaces, diversité des strates végétales, perméabilité des sols) mais aussi sociaux (produire-local, diversité des habitats, meilleur partage des ressources intra-site), est-elle alors une question d’innovation et de nouvelles technologies ?
« Nous avons besoin du meilleur du high-tech… et du meilleur du low-tech », tranche Vincent Callebaut, pour qui le risque inhérent à la promesse de la smart city est d’oublier la sobriété énergétique et de créer une dépendance à de nouvelles ressources extraites dans la nature : les minerais. Pour un bâtiment, un « simple » mur végétal peut d’ailleurs être plus efficient et économe qu’un système automatisé d’optimisation de la climatisation, surtout lorsque les occupants sont peu sensibles à des usages technologiques encore émergents. « La frénésie technologique croît plus vite que notre maturité spirituelle », abonde Gilles Bœuf, pour qui l’adaptation à la nouvelle donne environnementale est avant tout affaire de changements culturels. Plutôt qu’une végétalisation parfois cosmétique ou que des projets-gadget, c’est donc la ville toute entière et ses « monofonctions » énergivores qu’il s’agit de repenser. Sa densification, autour de hubs réunissant localement diverses fonctions, y compris productives, semble être l’horizon. Et l’agriculture urbaine, qui désormais intègre la majorité des réponses des grands appels à projet et se fraye mille chemins dans la ville (qui plus est sur un mode de plus en plus participatif), peut être un moyen d’impliquer vers ce cap un maximum d’acteurs… y compris les premiers concernés : les citadins.