La voiture électrique est presque aussi ancienne que l’automobile elle-même. Dès 1889, la fameuse Jamais Contente, et sa forme caractéristique de torpille, battait déjà des records de vitesse en dépassant pour la première fois les 100 km/h. Plus tard, le superbe « oeuf électrique » de Paul Arzens sillonnera Paris, préfigurant le succès des petites citadines. Aujourd’hui, la promesse séculaire d’une mobilité électrique semble enfin prendre corps, dans le sillage d’une pression écologique croissante. Après les transports en commun et les mobilités légères, l’industrie automobile prend le virage de l’électrisation. Selon une étude du BCG, 51% des voitures vendues en 2030 seront électriques. Si la transition semble engagée, les modalités de sa réalisation donnent lieu à une compétition féroce qui n’exclut pas quelques zones d’ombres. Innovation technologique, déploiement des infrastructures, et même ressources naturelles sont au coeur des enjeux.
Les bataille des infrastructures
Chez les constructeurs, l’offre électrique atteint aujourd’hui une forme de maturité et la plupart des marques déclinent leurs gammes en version EV. De la Renault Zoé, qui occupe la première place du classement des ventes en France en 2019, au Volvo FL Electric (sur les routes depuis février 2019), en passant par la Model S de Tesla, l’électrique couvre désormais l’ensemble des segments… Ce nouvel eldorado aiguise par ailleurs l’appétit de nouveaux acteurs, comme Sony – qui a présenté son prototype de berline Vision-S au CES en début d’année mais qui s’en tient, certes, à l’étape de démonstration technique -, ou du Chinois Byton, dont la présentation du premier modèle avait fait sensation en 2018. Logiquement, de nouveaux géants émergent, en Chine notamment, comme BAIC, deuxième plus gros vendeur de véhicules électriques en volume en 2019 derrière Tesla.
La plus grande incertitude qui pèse sur le développement du marché est à chercher du côté des infrastructures. Les sujets de la recharge et du stockage constituent aujourd’hui deux des principaux freins à lever pour le secteur. Malgré le foisonnement des initiatives et des partenariats, le marché doit encore se structurer. Si les services se multiplient, l’offre reste confuse et peine à accompagner la croissance du parc électrique. « Alors que, depuis le début de l’année, les immatriculations de voitures électriques ont progressé de près de 50 %, le nombre de points de recharge n’a augmenté que de 20 % », explique Cécile Goubet, déléguée générale de l’Avere. Selon une étude du groupe de recherche Transport & Environnement, l’Europe aurait besoin de 3 millions de points de recharge d’ici 2030, contre 185 000 aujourd’hui.
D’ailleurs, les jeux ne sont pas faits et le marché peut aussi miser sur des technologies de rupture. Parmi les plus séduisantes, la recharge dynamique propose par exemple d’alimenter les batteries par induction, alors que le véhicule est encore en mouvement. Pour VINCI, qui teste aujourd’hui la technologie, cette approche permettrait de rendre les véhicules électriques plus abordables : augmentation du rayon d’action des véhicules, réduction de la consommation énergétique, de la taille et de la dépendance aux batteries embarquées.
Une course électrique
Face à l’urgence – et devant l’opportunité -, les grands groupes de l’énergie et des transports se lancent dans la bataille et adoptent des stratégies variées. Les constructeurs jouent la carte du service. Avec ses superchargeurs, Tesla fait le pari d’une logique propriétaire. De son côté, le consortium Ionity (Audi, BMW, Mercedes-Benz, Ford, Porsche, Kia, Hyundai) propose des tarifs préférentiels aux conducteurs des marques concernées. À l’inverse, le parc d’Izivia (déployé par EDF) se positionne sur la densité de service et propose aujourd’hui le plus vaste réseau de recharge d’Europe. De leur côté, les pétroliers anticipent le déclin du thermique. Total va ainsi déployer 20 000 bornes aux Pays-Bas, alors que Shell se concentre sur les professionnels avec sa filiale Newmotion. Avec Easycharge, VINCI se positionne comme un partenaire privilégié dans l’installation de bornes sur le réseau autoroutier et s’inscrit dans la démarche plus globale de « l’Autoroute Bas carbone ».
Cette course pose de nouveaux défis aux grands gestionnaires d’infrastructures, qui doivent s’adapter aux usages. Le plus fondamental est sans doute celui de la convergence des activités. Alors que les énergies renouvelables sont connues pour leur intermittence et demandent des solutions de stockage inédites, l’émergence de la mobilité électrique transforme les usages de consommation et promet des variations toujours plus fortes de la demande. Un groupe de chercheurs américains du National Renewable Energy Laboratory alerte ainsi face au risque de « Dragon Curve », soit deux pics de consommation dus aux recharges simultanées à domicile et au travail… Face à ces nouveaux défis, les solutions Vehicle-to-Grid (V2G) entraînent de nouvelles collaborations entre énergéticiens, constructeurs et gestionnaires d’infrastructures. En permettant aux véhicules connectés au réseau électrique de restituer de l’énergie, cette technologie laisse imaginer un rééquilibrage automatique face aux pics de consommation, tout en faisant de chaque véhicule un vecteur de stockage. En Provence, VINCI teste déjà une solution V2G qui connecte une flotte de 15 véhicules à un smart grid déployé entre la gare TGV d’Aix-en-Provence et le campus d’innovation thecamp. Avec sa filiale Dreev, EDF s’attaque également à la question : un partenariat noué en 2019 avec Nissan promet d’accélérer l’adoption de la technologie.
Enfin, au delà de l’usage, la dimension politique du sujet joue un rôle fondamental sur la transformation des infrastructures. En France et partout dans le monde, les politiques incitatives ont un impact majeur dans l’avènement des mobilités électriques. Alors que le programme ADVENIR subventionne l’installation de bornes, le « droit à la prise» inscrit l’accès à la recharge dans la loi.
Une incertitude technologique
Au-delà de l’incertitude autour des infrastructures et de la multiplication des acteurs, la question des choix de technologies de stockage vient compléter et nourrir les débats. Si la batterie semble aujourd’hui faire consensus chez les constructeurs, des voix s’élèvent en faveur de la pile à combustible et de l’hydrogène. Bien que le H2 ne soutienne pas encore la comparaison en termes de performances énergétiques, il pourrait bien tirer son épingle du jeu comme vecteur de stockage ou face à des batteries gourmandes en métaux rares. Une qualité à ne pas négliger, alors que la « guerre du lithium » a déjà commencé, afin d’ouvrir une nouvelle ère du véhicule électrique et de passer de la Jamais Contente à la Toujours Heureuse.