Architectes et constructeurs prêteront-ils bientôt serment sur Imhotep comme les médecins sur Hippocrate ? La prédiction restera sans doute une fiction. Elle évoque, malgré tout, une tendance bien réelle à chercher du côté du très ancien les nouvelles clés du durable. C’est sous le signe de cette « paléo-inspiration » que le deuxième Festival Building Beyond s’est poursuivi, avec cette question : à quels grands défis architecturaux du futur peuvent répondre les propositions antiques ? Comprise comme l’inspiration suscitée par les objets et les œuvres du patrimoine, la « paléo-inspiration » a déjà gagné ses galons de discipline scientifique avec l’étude de ces matériaux hors d’âge et de leur structure.
S’inspirer de l’exceptionnel longévité des techniques ancestrales
Fondateur et directeur d’IPANEMA, le premier laboratoire entièrement dédié à ce domaine de recherche, Loïc Bertrand témoigne de l’incroyable capacité de préservation de certaines matières. Ainsi, ce bleu maya encore apparent sur des statuette mexicaines du VIe siècle. « Le colorant, composé organique instable, doit sa durabilité à sa fixation sur une matrice argile », détaille le chercheur. Dès lors, pourquoi ne pas réemployer la même matrice pour y fixer d’autres couleurs ? Idem au vu de ce clou mésopotamien millénaire surmonté d’un maillage textile qui s’est fossilisé. Les bétons ultra-résistants du Marché de Trajan à Rome n’ont, quant à eux, pas encore livré tous leurs secrets. « Des propriétés de ces matériaux peuvent être réutilisées pour créer ceux du présent et du futur », assure Loïc Bertrand, conscient de l’effort à fournir pour comprendre l’origine de la conservation de ces vestiges. « Les expériences du vieillissement accéléré restituent assez mal les processus de vieillissement naturel », concède-t-il. L’inspiration doit-elle attendre la validation scientifique pour se manifester ?
Ce n’est pas l’avis de Sename Koffi Agbodjinou, concepteur de constructions d’avenir inspirées de la tradition africaine. L’architecte togolais invoque ainsi l’enseignement du professeur Joseph Davidovits, selon lequel les Egyptiens faiseurs de pyramide « ne taillaient pas la pierre mais la produisaient in situ dans du coffrage grâce à de la chimie douce ». Controversée et jamais confirmée, la thèse n’en décrit pas moins un procédé intéressant à la fois dans son principe et dans son esprit. Contre une approche civilisationnelle où une nouvelle structure impose sa loi à son milieu d’implantation, le fondateur de la plateforme L’Africaine d’Architecture revendique une « sagesse d’articulation entre le tout et les parties, où le système s’adapte et nourrit le milieu dans lequel il s’insère ». Cette perspective est au principe du projet de construction d’une école au nord du Togo, « associant des matériaux mixtes mais conçu selon des techniques ancestrales ».
Construire la “smart cité” de demain dans une continuité nouvelle
Dans la continuité de l’urbaniste Aldo van Eyck, inspiré par le modèle d’habitat du peuple Dogon traditionnel « où le matériau et les bâtiments ne sont pas “sécables” de la structure sociale », Sename Koffi Agbodjinou plaide pour l’influence de cette cosmographie sur la ville du futur. Une smart cité ? Admettons, mais bien loin des schémas actuels « où une smart cité ne fait pas des smart citoyens, et soustrait l’individu au groupe via l’Internet pour l’obliger à consommer ». L’essor démographique africain doit, selon lui, encourager le développement d’une urbanité en phase avec « le système-monde qui relie et crée de la connexion sociale ». À la ville dense et technique, qui répond dans la tradition post-industrielle aux immenses besoins d’urbanité, Sename Koffi répond par un pouvoir de construire distribué aux habitants de la cité. Et la mémoire partagée devient créatrice d’espace commun.
Archéologues et constructeurs inscriront-ils désormais leurs activités dans une continuité nouvelle ? « Les méthodologies des archéologues s’appliquent aujourd’hui à la construction », fait valoir Yves Ubelmann, cofondateur de la startup Iconem, spécialisée dans la préservation numérique des sites grâce à la photogrammétrie. « L’archéologue doit comprendre l’échelle sur laquelle il travaille, et l’évolution dans le temps, autrement dit la sédimentation. » Ce même effort est dévolu aux bâtisseurs qui veulent rompre avec la « frénésie industrielle » dont se détourne Sénamé Koffi Agbodjinou et, à leur niveau, recréer du patrimoine.