Tout ce qui touche à la mobilité routière automobile est très critiqué, peut-on encore croire en cette dernière ?
Chez Vinci Autoroutes, notre métier est la route, nous croyons donc en cette forme de mobilité ! Nous sommes néanmoins conscients que celle-ci représente 97% de l’impact carbone des transports terrestres et l’autoroute 20% à elle seule. Aussi, il est nécessaire de se poser les bonnes questions :
- Peut-on faire sans ? Avec 85% de part modale pour les personnes et 88% pour les marchandises, il est difficile de répondre oui…
- Peut-on faire quelque chose pour diminuer son impact ? Si l’on ajoute aux chiffres que je viens de donner le fait que la mobilité représente 30% des émission de CO2 et qu’il s’agit du seul secteur avec des rejets en hausse, la réponse est plus que jamais oui.
En tant qu’acteur de ce secteur, je souhaite apporter une réponse pragmatique, réaliste et engagée qui s’articule à la fois sur le levier véhicule et celui des infrastructures.
La route peut-elle être un axe de mobilité performant aux abords des agglomérations ?
Bien sûr car qui dit route, dit une multitude de choix de mobilité. Aussi, nous faisons le même constat que la plupart des observateurs : l’utilisation des axes routiers aux abords des hypercentres n’est pas la bonne. Il est donc indispensable de la rendre plus efficace pour profiter au maximum de ses atouts majeurs :
- Son faible coût financier et carbone de construction/rénovation par rapport au ferré
- Sa capacité à être adaptée à des expérimentations ou des initiatives légères de transport
- Sa complémentarité avec les autres formes de mobilité
Nous réfléchissons donc à la manière de densifier l’usage de la route, sans des investissements lourds, en limitant l’autosolisme et de lui substituer des transports en commun routiers efficaces, comme le covoiturage ou les bus ou car sur autoroutes. Pour cela, il faut bien comprendre les contraintes des usagers de la route. Prendre sa voiture en région parisienne par exemple est un calcul par défaut de l’usager. Celui-ci est bien conscient qu’il s’oriente vers la moins efficace des mobilités, mais il sait aussi qu’il ne peut l’éviter : son point de départ ou son point d’arrivée sont situés en dehors des réseaux de transport, il doit porter une charge lourde, etc.
Avez-vous des projets concrets de transport en commun sur les autoroutes proches des agglomérations ?
Oui, sur l’A10, nous développons des infrastructures pour accueillir des liaisons en autocars express entre le sud de l’Essonne et Massy-Palaiseau. A Bris-sous-Forge, nous avons ainsi développé un pôle multimodal de part et d’autre de l’autoroute. Le concept est simple, il s’agit de deux quais le long desquels les bus s’arrêtent pour prendre leurs passagers. L’accès à l’autoroute y est protégé par des porte automatiques qui ne s’ouvrent qu’en présence de l’un d’eux. Ce projet pilote est un grand succès, avec un bus toutes les 5 minutes en heure de pointe et un débit de passagers comparable à des TER de province. Nous avons d’ailleurs dû augmenter plusieurs fois la capacité des stationnements accueillant les usagers. Concentrer les véhicules à Bris-sous-Forge permet par ailleurs de décentraliser la fonction stationnement et, donc, de libérer partiellement la ville de cette contrainte.
Notre ambition est de développer ce type d’infrastructures à la manière de Madrid. Aucun projet de RER n’y ayant vu le jour, la ville a donc opté pour ce type de transports en créant de vrais hubs multimodaux en centre-ville et des voies totalement réservées au bus sur tout ou partie de leurs parcours. Les terminaux sont ainsi situés juste au-dessus des stations de métro. Ce système a permis de réduire de manière importante le flux de véhicules individuels sur les autoroutes péri-urbaines.
Ce type de projets peut-il se substituer à des infrastructures ferrées plus lourdes ?
Notre volonté, n’est pas de créer une concurrence avec les autres mobilités. Nous venons en complément de ces dernières sur des axes mal desservis ou qui sont des points d’entrée pour la mobilité automobile individuelle. Le principal avantage est de pouvoir expérimenter sans grand investissement dans un premier temps. L’outil autoroute existant déjà, autant l’utiliser. Dans un premier temps, les aménagements peuvent se limiter à de la signalisation (notamment de la peinture au sol) pour matérialiser une voie réservée expérimentale.
Le meilleur exemple est celui de Bordeaux, où la ville et le syndicat mixte des transports sont très attachés au rail. Une liaison expérimentale par bus express entre Créon et Bordeaux a toutefois été mise en service à l’automne. Devant le succès et sa complémentarité, la généralisation de ce type de solution a été décidée.
Aujourd’hui, l’impact carbone d’un bus est certes plus important que celui d’un train, mais le matériel va (et doit) évoluer. Le fait de ne pas multiplier les infrastructures parallèles quand cela n’est pas nécessaire est également positif.
Quelles sont les perspectives pour décarboner la route ?
Il existe différents leviers : celui du type de véhicules en circulation et notre manière de construire les infrastructures routières. Pour ces dernières, nous limitons l’impact carbone de nos chantiers : demande en eau, renouvellement 100% électrique de notre parc automobile VL et VUL, etc.
L’autre grand axe est celui des chaussées. Pour leur rénovation, nous faisons déjà appel au recyclage du bitume à des niveaux oscillants entre 30 et 40%. Nous voulons maintenant arriver rapidement à 100%. Cela est techniquement possible comme l’a montré une expérience sur l’A10.
Concernant les véhicules en circulation ?
Sur ce point, notre rôle est de favoriser et accompagner le glissement vers des types et des usages des véhicules plus écologiques. Nous croyons ainsi beaucoup au covoiturage et espérons le généraliser sur tous types de distances. Comme pour les bus nous croyons beaucoup au véhicule autonome pour cela. Il amènera de nouvelles manières de consommer la mobilité automobile.
L’autre enjeu est celui de la décarbonation de la propulsion. Avec l’évolution de la réglementation européenne, 2020 devrait être l’année où l’électrique va arriver à maturation. Que ce soit sur le plan technologique et celui de l’offre. Nous devons anticiper la demande qui va en résulter en proposant des bornes de recharge, mais en initiant aussi des réflexions sur des sujets plus prospectifs. L’autonomie des véhicules électriques est un des enjeux majeurs et différentes options s’offrent à nous que ce soit du côté de la location de remorque, de batteries d’appoint ou la recharge dynamique via l’induction ou des caténaires.
Cette dernière option est prometteuse et déjà expérimentée à grande échelle dans les pays nordiques ou en Italie. Elle reste néanmoins limitée aux poids-lourds du fait de la nécessité de passer les câbles au-dessus des véhicules les plus hauts. La recharge dynamique par induction est à ce stade moins mature mais prometteuse. L’avantage de ces technologiques est d’offrir une réponse concrète sur un secteur qui multiplie les énergies de propulsion : électrique, bioGNV, hydrogène, etc. Cela nous demande de prévoir tous types de scénarios, y compris la présence de méthaniseurs à bioGNV sur notre réseau.
Propos recueillis par Clément Gaillard, Construction21