Alors que le Président de la République vient de faire d’importantes annonces pour l’accélération de la réindustrialisation de la France, les arbitrages énergétiques sont plus que jamais au cœur de la transformation industrielle vers des modèles soutenables et résilients. Au-delà même des options technologiques qui pourront être prises, les quatre intervenants de la table ronde se sont accordés sur la nécessité de promouvoir une vision pragmatique et une approche décentralisée de la renaissance industrielle.
C’est d’ailleurs tout le sens du programme Territoires d’industrie lancé en 2018 par l’Agence nationale de la cohésion des territoires. «Accélération oblige, nous amorçons une nouvelle phase : refonte de la carte territoriale, octroi d’une enveloppe de 100 millions d’euros dédiée à la réindustrialisation, soutien renforcé à l’animation et à l’ingénierie des projets, notamment en matière énergétique», a expliqué Jean-Baptiste Gueusquin. Mais la philosophie de l’ANCT, elle, reste la même : partir des besoins, confier les contours de la stratégie à un binôme élu-industriel au sein de chaque territoire et adapter le dispositif d’accompagnement. «Les outils ne manquent pas : diagnostic de l’ADEME et de BPI France, aides publiques à la décarbonation, réseau d’ingénierie animés par l’ANCT, etc. Aux territoires de se les approprier», a-t-il insisté.
« Les outils d’accompagnement ne manquent pas. Aux territoires de se les approprier.»
Jean-Baptiste Gueusquin I ANCT
Neuf milliards d’euros pour l’hydrogène
Hoang Bui a également tenu à défendre le volontarisme des pouvoirs publics dans la transition énergétique et ses opportunités en termes d’innovation industrielle et de développement économique des territoires. Pour le coordinateur des stratégies nationales « hydrogène décarboné » et « décarbonation de l’industrie » au Secrétariat général pour l’investissement, la France agit sur tous les fronts : grands projets industriels, cohérence territoriale, problématiques énergétiques. Et de citer les efforts engagés sur la filière hydrogène comme levier majeur de la décarbonation. «La France y consacre un budget de neuf milliards d’euros et table sur un volume de consommation de 600 kilotonnes d’ici 2030, soit l’équivalent de sept à huit tranches nucléaires. Le soutien de l’État au seul développement des gigafactories dans le secteur de l’hydrogène va créer 5 200 emplois directs», a-t-il détaillé.
Si la capacité des régions à anticiper une stratégie énergétique en résonnance avec leurs besoins de réindustrialisation est essentielle, elle suppose qu’élus et entreprises soient en mesure de se réunir autour d’une même table pour définir une politique commune. «Or, aujourd’hui, réflexion, décision et action se heurtent encore à une organisation trop silotée des différents acteurs», a constaté Annabelle Richard, directrice conseil du cabinet Utopies, qui accompagne les entreprises et des territoires dans leur stratégie de transition énergétique.
Isabelle Patrier a pour sa part insisté sur le rôle central du législateur en amont des choix énergétiques et industriels. «Lorsque nous investissons à Lacq dans la transformation d’un foncier industriel en plateforme dédiée aux énergies d’avenir, ou bien dans trois gigafactories de batteries, en France, en Allemagne et en Italie, nous engageons des stratégies sur vingt ou trente ans. La stabilité du cadre réglementaire est donc essentielle», a expliqué la directrice France de TOTAL Énergies.
«Les gigafactories dans le secteur de l’hydrogène vont créer 5 200 emplois directs.»
Hoang Bui I Secrétariat général pour l'investissement
Disponibilité des ressources
L’accélération des projets industriels liés à la transition énergétique est également suspendue à la disponibilité des ressources, a rappelé Hoang Bui. La biomasse n’est pas disponible partout en quantité suffisante. Et par endroits, les électrons vont manquer aux projets de raccordement électrique. Un point de vigilance partagé par Isabelle Patrier : «En Europe, on a tendance à imposer des technologies. Lorsque l’on dit aux territoires et aux industriels d’opter pour l’hydrogène, alors qu’on sait qu’il faut neuf litres d’eau pour produire un kilo d’hydrogène, pense-t-on seulement aux territoires touchés par la sécheresse ? Il faut faire des arbitrages qui tiennent compte de l’existant, des ressources localement disponibles»
L’urgence de l’enjeu climatique rend la renaissance industrielle indissociable des choix qui seront faits en matière de transition énergétique. Elle appelle des choix pragmatiques, concertés et appliqués au plus près des besoins et des contraintes de chaque territoire.
«La réflexion, la décision et l’action se heurtent encore à une organisation trop silotée des différents acteurs.» (Annabelle Richard (Utopies)
«La stabilité du cadre réglementaire est essentielle. » (Isabelle Patrier, TOTAL Énergies)