L’ère de la crise climatique, doublée de la crise sanitaire, révèle la fragilité de mégapoles que l’on croyait hier encore inébranlables : quand elles ne sont pas sous la menace des éléments (Stockholm gagne en altitude tandis que Bangkok et demain New York sont menacées par la montée du niveau des océans), leur capacité de résilience souffre de leur très forte dépendance économique vis-à-vis de l’extérieur.
Il est urgent de rendre la ville « durable ». Le mot est la mode mais comment le traduire face aux enjeux ? « Les villes s’accrochent à un modèle consistant à vouloir rejoindre le ciel », observe l’écrivain Aurélien Bellanger, venu introduire la rencontre. « L’empire du carbone et du pétrole touche à sa fin quand des structures héritées du XXe siècle resteront pérennes encore deux mille ans. » Les solutions existent néanmoins pour infléchir le modèle et rendre à la ville une dimension plus humaine et vivable. A-t-on assez ri de la boutade proposant de déplacer les villes à la campagne ? Hameaux Légers tranche dans le paysage urbain en y édifiant des éco-quartiers.
Éphémère, donc durable !
« Un hameau léger est un lieu de vie construit en habitat réversible, conçu en partenariat avec le territoire d’accueil », détaille le directeur de création de l’association, Aristote Truffaut. Des structures temporaires non destructives peuvent servir de fondations, alors que l’habitat est aujourd’hui le premier responsable de l’artificialisation des sols (en France, 9 % du territoire est aujourd’hui concerné et cette superficie doublera à échéance de la fin du siècle). La loi ALUR du 24 mars 2014 permet à ce type d’habitat de ne pas être raccordé aux réseaux urbains, et de se développer en relative autonomie. Le durable couple le souci écologique à « l’accès à des modes de vie solidaires », souligne Aristote Truffaut.
De 2015 à septembre dernier, la même ambition a animé Les Grands Voisins, véritable village dans la ville comportant sièges associatifs, structures d’accueil de jour pour demandeurs d’asile, boutiques de recyclage, guinguettes et autres lieux de prestations culturelles. Cette fois-ci, le projet a pris corps sur du déjà-là, en l’occurrence les 3,4 hectares et les bâtiments de l’ancien hôpital Saint-Vincent de Paul, dans le XIVe arrondissement de Paris. Près de 2 000 personnes y auront vécu et travaillé, un millier y a été logé en hébergement d’urgence et 600 000 visiteurs annuels auront fréquenté le site. « Les Grands Voisins ont “dégentrifié” un quartier parisien aisé. Le métier d’aménageur ne s’arrête pas au bâti. », se félicite l’architecte Cécile Baranger, coordinatrice et chargée des partenariats de l’opération. « Une vie de quartier est suscitée par ses espaces, mais nous ne livrons jamais de projet achevé. » L’éphémère ferait-il paradoxalement le durable ?
Faire du modulaire et de l’adaptable un choix politique
Directeur de recherche et de l’innovation de l’agence d’architecture PCA-Stream, Etienne Riot table sur la cohabitation de différentes options. L’environnement est à prendre en compte pour atteindre l’objectif du zéro artificialisation. « Soit on reprend l’existant et on le pérennise par de la mise aux normes. Soit on bâtit ex-nihilo en se référant aux procédés et techniques garantissant la durabilité de ce que l’on construit. » Dans l’innovation au service du durable se niche une autre exigence : celle de multifonctionnalité. L’architecte cite en exemple ce projet d’immeuble porté par PCA-Stream dans le XVIIe arrondissement de Paris. « Nous savons que les activités et les usages de ce lieu évolueront. Nous anticipons sa mutation par sa structure. » Ces nouvelles conceptions se heurtent à des « verrous réglementaires et financiers », déplore Etienne Riot, rejoint par Cécile Baranger pour qui « les lois restent inadaptées à ce type de projets ».
Pour Elisabeth Laville, fondatrice du cabinet Utopies, le durable urbain se jouera dans des choix politiques de plus grande envergure. « La question portait au début sur la dimension technique des bâtiments, puis celle de leurs usages et enfin celle de leur environnement. Aujourd’hui, c’est la résilience des villes qui est en jeu. » La crise sanitaire l’a souligné : en France, 2 % en moyenne de ce qui est consommé en zone urbaine en provient. « Il faut identifier les fuites économiques et les besoins qui ne sont pas pourvus par une production in situ. » Le choix politique impliquerait déjà de penser modulaire. « En intégrant, par exemple, une unité hospitalière dans un immeuble d’habitation », recommande l’experte. « Plus largement, il s’agit de revitaliser l’économie locale afin d’assurer l’autonomie des villes. » Une relocalisation progressive, par tranche de 10 %, pourrait permettre « de combiner le local et le mondialisé ». En ressuscitant pour cela des territoires urbains que l’on croyait perdus