Le rêve d’une ville souterraine refait surface

Fin 2016, la Turquie rend publiques les photos d’une vaste ville souterraine découverte dans les années 1960, dont la construction daterait du VIIIe siècle avant Jésus-Christ. Partout à travers le monde, de nombreuses cités souterraines ont été découvertes au fil des années. Pour la plupart, ces villes servaient de base militaire, de refuge, de sanctuaire ou encore de mausolée. Mais certaines, à l’image de la ville turque de Derinkuyu, comprenaient également des écoles ou des hôpitaux. Une idée qui a fait son chemin jusqu’au XXe siècle.

Au début des années 1960, Montréal entame ainsi la construction d’un vaste réseau souterrain, sous l’égide de l’urbaniste Vincent Ponte. Aujourd’hui, “La Ville Souterraine”, qui comprend hôtels, magasins et galeries d’art, est devenue une véritable attraction touristique (Montreal Underground City). Alors que le mouvement d’urbanisation croissante entraîne une densification à marche forcée de l’espace public, la valorisation des profondeurs des villes revient sur le devant de la scène, à la faveur de techniques désormais matures.

La géologie high-tech au service du génie civil

Selon Monique Labbé, membre de l’Association Française des Tunnels et de l’Espace souterrain (AFTES), le génie civil moderne est parfaitement en mesure de construire durablement dans les profondeurs des villes (Le Monde). Grâce aux avancées technologiques, la préparation des travaux en ressort significativement optimisée. Alors que les ingénieurs géologues peuvent récolter des informations de plus en plus détaillées sur les caractéristiques des sols (perméabilité, abrasivité, conductivité thermique etc.), la modélisation géologique en 3D permet une visualisation dynamique de ces données pour toutes les parties prenantes (Mining Weekly). En France, le Bureau de recherches géologiques et minières est à pied-d’oeuvre depuis 2013 pour constituer un “référentiel géologique” du territoire, ouvrant la voie à un aménagement facilité des sols et des sous-sols (BRGM). L’analyse de ces données agrégées permet alors de limiter les risques de contamination ainsi que l’impact sur l’environnement et sur les processus naturels. Sont également prises en compte les infrastructures souterraines existantes, afin d’éviter l’encombrement du sous-sol et le télescopage des constructions.

Le forage avance

Les technologies de forage et de creusement ont également fait leur révolution numérique : les tunneliers sont désormais équipés de capteurs permettant d’analyser en temps réel les caractéristiques de la roche creusée et d’ajuster les travaux (The Wall Street Journal). Par ailleurs, la robotisation et l’automatisation croissantes promettent de réduire significativement les risques sur les chantiers (The National Academies Press). Toutefois, les coûts associés à la construction souterraine demeurent, sur le papier, plus élevés que ceux de la construction traditionnelle. A Hong Kong, où a été dévoilée une étude de faisabilité pour un ambitieux projet de constructions souterraines, les autorités ne cachent pas que le budget sera sensiblement plus élevé que pour une construction à l’air libre. Mais selon le gouvernement, les bénéfices sur le long terme, quoique moins immédiatement identifiables, justifient la conduite du projet (Civil Engineering and Development Department).

Révéler le potentiel inexploité du sous-sol 

La mobilité est naturellement au cœur de nombreux projets, comme celui de The Boring Company, mené par Elon Musk. L’entrepreneur cherche à développer un système de transports souterrain ultra-rapide, dont les coûts de construction seraient optimisés. Comment ? En réduisant le diamètre des tunnels et en déployant des tunneliers capables d’excaver et de renforcer la structure en même temps, tandis que la terre creusée serait recyclée sur place (Business Insider). À Hong Kong, où VINCI Construction Grands Projets réalise deux des lots de la nouvelle ligne de métro SCL, ce sont les bénéfices écologiques qui sont soulignés (VINCI Construction Grands Projets). Les études ne disent pas autre chose : l’utilisation de l’espace souterrain représente une opportunité de soulager le trafic en surface et de soutenir la croissance.

La résilience face aux événements climatiques fait également partie des arguments cités par les prescripteurs de la ville souterraine. Les sous-sols constituent un refuge naturel face aux séismes et certains phénomènes météorologiques extrêmes (Science Direct). Il reste toutefois à anticiper certaines vulnérabilités spécifiques, comme les inondations. La Malaisie s’est par exemple dotée d’un tunnel intelligent à double usage : il permet l’écoulement de l’eau en cas de fortes pluies et se transforme en route par temps sec (ITS International). Tous ces bénéfices potentiels impliquent toutefois un changement de regard sur l’espace souterrain, comme l’exposait l’architecte Dominique Perrault au séminaire de La Fabrique de la Cité, en juillet dernier (La Fabrique de la Cité). Longtemps considéré comme une solution de dernier recours quand l’espace en surface vient à manquer, le sous-sol mérite une réflexion globale qui en révélerait tout le potentiel.

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