En matière de décarbonation, la route apparaît comme le mauvais élève. C’est en effet le seul secteur dont les émissions n’ont pas baissé depuis les années 90. Or, si aujourd’hui près de 9 marchandises sur 10 passent par la route, dans les scénarios les plus ambitieux en termes de report modal, la route va rester le principal moyen de se déplacer pour les usagers, mais aussi pour les marchandises. Pour mener à bien la révolution écologique de la mobilité il est donc essentiel de repenser le transport routier.
En 2030, la moitié du parc de camions sera électrique
« Depuis environ deux ans, les choses ont beaucoup changé », a tenu à rappeler Louis Du Pasquier, directeur des mobilités décarbonées de VINCI Autoroutes, lors du colloque « Décarboner les transports : où et comment agir ? » organisé le 16 octobre par Leonard, La Fabrique de la Cité et le lab recherche environnement VINCI ParisTech, l’École des Ponts ParisTech et L’Hémicycle. « Les constructeurs de poids-lourds n’ont en effet qu’une seule solution pour respecter les réglementations européennes, c’est de vendre des camions électriques ou à hydrogène. Ils ont d’ailleurs tous annoncé que les camions électriques représenteront la moitié de leurs ventes en 2030 ». Cependant, afin de s’adapter à cette évolution rapide, il sera nécessaire de moderniser l’infrastructure de ravitaillement pour ces camions, en mettant en place des systèmes de recharge dans les dépôts des transporteurs, mais aussi chez les chargeurs, les clients et le long des grands axes.
La recharge dynamique : une solution prometteuse
Au-delà de l’enjeu crucial de l’anticipation et de la planification pour répondre aux besoins d’électrification à venir, un autre défi, technologique, émerge : celui de la recharge dynamique. « C’est une technologie méconnue mais qui est très intéressante en complément des stations de recharge, du biogaz et des biocarburants. Elle consiste à électrifier les voies des principaux axes routiers alimentant ainsi les moteurs des camions en continu avec des caténaires et un pantographe, de l’induction sous la chaussée ou des rails au sol », souligne Louis Du Pasquier. Ces solutions permettent d’éviter l’utilisation de grosses batteries de recharge, qui ont un considérable impact environnemental et génèrent d’importantes émissions de CO2 liées à leur production.
L’importance d’accompagner les acteurs vers la décarbonation
Mais le coût pour équiper les infrastructures routières de telles technologies n’est pas négligeable. « Le ministère des Transports a chiffré à environ 60 milliards d’euros le coût d’infrastructures de recharge dynamique sur tout le réseau autoroutier français et les principaux axes routiers. Il faut cependant comparer ce chiffre qui permet de décarboner 80% du fret aux 100 milliards du plan gouvernemental pour relancer le fret ferroviaire », explique le directeur des mobilités décarbonées de VINCI Autoroutes qui insiste sur l’importance d’accompagner l’amorçage d’une telle politique d’équipement : « il faut aider les transporteurs à acheter des camions électriques avec des aides à l’achat et également les opérateurs qui vont installer des bornes à un moment où elles ne sont pas du tout rentables ». Pour Pierre-Martin Huet, directeur groupe supply chain de Michelin et intervenant également au colloque, rappelle que l’entreprise a déjà réduit ses émissions de CO2 liés à la logistique de 20% et souhaite aller encore plus loin. « Transporter différemment c’est utiliser et expérimenter des solutions de demain (camion électrique ou à hydrogène, autoroute électrifiée) ». La question de l’accessibilité concerne à la fois l’infrastructure et les investissements des transporteurs, pour qui l’achat de camions électriques représente une dépense conséquente, nécessitant une adaptation adéquate de l’infrastructure. Toute initiative visant à soutenir financièrement cette transition et à établir un plan clair pour l’électrification est jugée pertinente par Pierre-Martin Huet. En ce qui concerne la question de la compétitivité, il faut assurer que les règles du jeu soient équitables, ce qui implique, par exemple, un alignement du prix du diesel sur celui de l’électricité.
Le coût de l’inaction
Le coût peut en effet paraître rédhibitoire. Pourtant celui de l’inaction l’est souvent bien plus encore. Invité au colloque, Patrice Geoffron, économiste du Cercle des économistes et enseignant professeur d’économie à Paris-Dauphine PSL, a ainsi détaillé les résultats d’études menées pour savoir « ce que nous coûterait l’inaction. Au-delà des coûts globaux généralement mis en avant et qui sont évalués à 250 euros la tonne de CO2 qui n’aura pas été évitée en 2030, 500 euros en 2040 et 750 euros en 2050, il faut aussi regarder l’impact des coûts locaux comme on le fait pour la pollution de l’air et qui représente entre 2 et 4% du PIB, soit 50 à 100 milliards d’euros. Ce calcul peut être fait aussi pour les transports ». Entre 2016 et 2018, le prix du pétrole a doublé, en entraînant la crise des gilets jaunes et le gel successif de la taxe carbone qui aurait dû générer 100 milliards d’euros de recettes d’ici 2030. Si nous avions davantage avancé dans la décarbonation des infrastructures routières, il est probable que les périodes de hausse des prix du pétrole auraient eu moins de répercussions négatives. Les errements du passé devraient enfin nous faire comprendre qu’il est grand temps d’agir.
"Décarboner les transports : où et comment agir ?" : le témoignage de Louis Du Pasquier (#2) from VINCI Autoroutes on Vimeo.
"Décarboner les transports, où et comment agir ?" : le témoignage de Pierre-Martin Huet from VINCI Autoroutes on Vimeo.
"Décarboner les transports : où et comment agir ?" : le plaidoyer de Patrice Geoffron from VINCI Autoroutes on Vimeo.