L’effet rebond, obstacle à surmonter sur la route de la transition énergétique

Sobriété énergétique, urbanisme repensé, rénovation thermique du bâti, autant d’objectifs toujours plus urgents à l’heure de la multiplication des effets du dérèglement climatique. Parmi les paramètres à prendre en compte, l’effet rebond menace de contrecarrer nos efforts, individuels, politiques et industriels pour réussir la transition énergétique. Mais de quoi s'agit-il exactement ? Et quelles pistes pour réduire ce phénomène ?

Le paradoxe de Jevons, un principe qui a la vie dure

Pour bien comprendre ce que recouvre le concept d’effet rebond, il faut remonter en 1865. L’économiste britannique William Stanley Jevons constate alors que la machine à vapeur de l’inventeur James Watt ne diminue pas la demande en charbon, alors qu’elle est supposée en consommer beaucoup moins. Un paradoxe finalement assez simple à expliquer : un besoin moindre en houille la rend plus rentable et attractive, ce qui conduit à un accroissement considérable de la demande et de sa consommation.

Ce paradoxe est réactualisé par les travaux des économistes Daniel Khazzoom et Leonard Brookes au début des années 80, suite à deux chocs pétroliers. Ils démontrent qu’un gain en efficacité énergétique ne produit pas une baisse de la consommation des ressources, mais conduit au contraire à une augmentation significative de la demande. C’est ce qu’on appelle l’effet rebond.

Ainsi, une voiture moins gourmande en carburant a tendance à être utilisée sur une plus longue distance par ses propriétaires. Le résultat en termes d’économies d’énergie s’en trouve nul, voire négatif.

grande vague

Des efforts amoindris… pour l’instant

L’illustration la plus criante de cet effet rebond se trouve sans doute du côté de l’Allemagne, longtemps pionnière en matière de transition écologique. Nos voisins ont ainsi investi 340 milliards depuis 2010 pour rénover les passoires thermiques. Résultat des courses : alors que la consommation par foyer avait baissé de 31% entre 1990 et 2010, elle n’a pas bougé d’un iota depuis 12 ans et stagne autour des 130 kWh/m2/an. Comment expliquer un bilan aussi décevant ? C’est de nouveau l’effet rebond qui fait des siennes. Plutôt que de profiter d’économies sur sa facture d’énergie, le résident a tendance à augmenter la température à l’intérieur de son logement, conduisant finalement à la même consommation d’énergie.

Ainsi, il a été observé qu’une forte proportion d’Allemands habitant un logement rénové pousse le chauffage à 22° là où il est recommandé de s’en tenir à 19° pour limiter significativement les dépenses énergétiques et les émissions de CO2. D’autres comportements peuvent aussi se manifester : on parle alors de rebond indirect. Le consommateur vigilant sur le thermostat a vite fait d’investir les économies réalisées dans des activités qui annulent ses efforts. Plutôt que de mettre son argent de côté, il va plus volontiers réinvestir dans un voyage en avion ou dans une nouvelle voiture…

Alors on arrête tout ?

Ce constat peut sembler accablant à première vue, mais il doit au contraire appeler à plus de réflexion et de volontarisme. Car il est évident que si la route vers la sobriété énergétique et la décarbonation est le seul chemin qui s’impose à nous à brève échéance, elle doit prendre en compte autant la transformation des infrastructures que des comportements.

L’exemple de la Norvège et de la voiture électrique est parlant : en 2020, 54% des nouvelles voitures qui s’y sont vendues étaient électriques et ce chiffre monte à 74% si on y inclut les hybrides rechargeables. De même que les énergies renouvelables cohabitent encore partout dans le monde avec les carburants fossiles, cette percée de l’électrique ne signifie évidemment pas que les Norvégiens ont totalement abandonné le véhicule thermique. La part du tout électrique en 2020 ne représentait encore que 12% du parc total, auquel il faut ajouter 5% d’hybrides.

Mais l’objectif de décarbonation totale de l’automobile visé par le gouvernement progresse grâce à tout un arsenal d’incitations : primes, stationnement, péages et ferry à moindre coût, accès aux voies de bus et de taxis… À ces stimulations positives s’ajoute aussi un pendant plus coercitif : une lourde taxation des véhicules essence et diesel polluants.

Ce mix d’incitations s’accompagne en parallèle d’une forte implantation de bornes de recharge, pour rendre la vie des automobilistes plus facile et le choix de l’électrique plus évident : 17 000 stations de recharge couvraient le territoire norvégien en 2020, dont plus de 3 300 bornes rapides.

Un petit coup de pouce

Des expérimentations plaident aussi en faveur du concept de « nudge », ou coup de pouce. L’idée est d’impliquer directement chaque individu en lui donnant à voir de manière concrète les effets de ses comportements : ainsi, pendant quelques mois, 1000 foyers en Californie ont vu leurs factures énergétiques complétées par des données sur les consommations de leur voisinage. Les plus énergivores en ont tiré l’inspiration pour changer favorablement leurs habitudes, au moins pendant le temps de l’expérimentation.

Vers l’intégration du facteur humain dans toute la chaîne de décision

L’effet rebond nous rappelle finalement que nos biais cognitifs sont ainsi faits qu’ils ont tendance à annihiler une partie de nos efforts collectifs. Il est donc plus que jamais temps de les prendre en compte, non pas pour freiner l’innovation et la marche vers la sobriété, mais au contraire pour intégrer le facteur humain dans toute la chaîne de décision. Quel que soit le chemin emprunté pour parvenir à l’objectif fixé pour 2050, industriels et politiques ont tout intérêt à mettre le comportement individuel au cœur de leurs réflexions.

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