NB : Cet article est issu du yearbook Leonard 2023 à paraître prochainement.
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L’atome d’hydrogène est l’élément le plus répandu de l’univers. La combustion de sa molécule associée (H2) produit principalement de l’eau, et elle peut également être utilisée pour produire de l’électricité. Sa densité massique d’énergie est exceptionnelle : 1 kg d’hydrogène contient autant d’énergie qu’environ 3 kg de pétrole. Un petit miracle qui poussait Jules Verne aux prophéties dès le 19ème siècle : “Oui, mes amis, je crois que l’eau sera un jour employée comme combustible, que l’hydrogène et l’oxygène, qui la constituent, utilisés isolément ou simultanément, fourniront une source de chaleur et de lumière inépuisables et d’une intensité que la houille ne saurait avoir”. Si l’hydrogène est aujourd’hui très utilisé par l’industrie, les promesses de l’Île Mystérieuse semblent encore assez lointaines. La molécule miracle reste en effet tenaillée entre un potentiel formidable et des contraintes de production et de transport tout aussi considérables. Une impasse qui pourrait aujourd’hui s’ouvrir, portée par l’urgence écologique et les enjeux de transformation énergétique qui l’accompagnent.
L’hydrogène, entre longue histoire et nouvelles promesses.
L’emballement médiatique autour de l’hydrogène est largement porté par le secteur des mobilités, qui voit dans la molécule un carburant de substitution. Mais l’histoire industrielle de l’hydrogène est bien plus ancienne : la quasi-totalité de l’hydrogène produit aujourd’hui est utilisée par l’industrie (dans les processus de raffinage et l’industrie chimique principalement). Cet hydrogène est dit “gris”, en référence aux importantes émissions de CO2 liées à sa production par vaporeformage et gazéification. Mais si l’on parle beaucoup de la molécule aujourd’hui, c’est parce qu’il existe une autre manière de la produire : par électrolyse de l’eau. Cette méthode, qui demande d’importantes quantités d’électricité (10% de la consommation totale d’électricité prévue en 2030 pour produire 1 million de tonnes d’hydrogène par an en France), permet d’obtenir un hydrogène “vert” lorsqu’elle s’appuie sur de l’électricité renouvelable ou peu carbonée. Les succès futurs de l’hydrogène sont donc directement liés aux progrès de la transition énergétique…
Production, transport et stockage, une molécule exigeante
A ce jour, le principal frein au développement de l’hydrogène vert reste sa compétitivité économique. Plus cher que son équivalent “gris” ou que le gaz naturel, l’hydrogène vert s’est engagé dans une véritable course au prix. Les électrolyseurs sont ainsi amenés à bénéficier d’économies d’échelle grâce au développement de gigafactories (quatre d’entre elles sont prévues sur le territoire Français). Une innovation foisonnante et plus expérimentale permet également d’imaginer de nouvelles manières de produire l’hydrogène à plus ou moins long terme. Une turbine conçue par Sabella permet déjà de transformer l’énergie hydrolienne en hydrogène. Dans un autre ordre d’idée, des chercheurs de la Nanjing Tech University ont mis au point un électrolyseur capable de produire la molécule à partir d’eau de mer.
Le développement de nouvelles géographies de l’énergie permet également d’imaginer une baisse des coûts. Comme le détaille l’étude “Africa’s Extraordinary Green Hydrogen Potential”, présentée lors de la COP27, le potentiel solaire en Afrique pourrait rendre possible un hydrogène en dessous de 2€/kg d’ici 2030. Restent les enjeux du transport et du stockage, particulièrement prégnants à cause de la très faible densité volumique de l’hydrogène, qui doit être comprimé ou liquéfié avant d’être transporté, ou bien transformé en produit dérivé (méthanol ou ammoniac). À l’échelle internationale, des projets comme le pipeline sous-marin d’hydrogène vert entre Barcelone et Marseille permettent d’imaginer l’émergence d’un réseau d’infrastructures de transport à l’échelle continentale. À une échelle plus individuelle, la cartouche d’hydrogène portable développée par Toyota suggère quant à elle le développement prochain d’usages domestiques…
Le nouvel allié des mobilités lourdes ?
Une fois les principales barrières levées, l’hydrogène pourrait s’imposer dans le secteur des mobilités lourdes. Permettant une excellente autonomie pour un poids embarqué raisonnable, il apporte des solutions avec lesquelles les batteries ne peuvent pas rivaliser pour le transport routier longue distance, les transports en commun, le transport maritime et même l’aérien. Alstom ou la Changchun Railway Company commercialisent déjà des trains fonctionnant grâce à des piles à combustible. L’Union Européenne a pour ambition de faire rouler 60 000 camions à hydrogène d’ici 2030. Dans le même temps, Iveco, Mercedes ou Volvo avancent leurs prototypes. Enfin, sur un horizon plus lointain, l’avion à hydrogène pourrait alléger considérablement l’empreinte carbone du transport aérien. Deux ans après avoir dévoilé son projet d’avion à hydrogène ZEROe (prévu pour 2035), Airbus a dévoilé en 2022 un prototype de pile à combustible dédiée à l’aviation. L’hydrogène semble décidément en train de prendre son envol !
3 Questions à Nicolas Dattez
Nicolas Dattez est expert hydrogène chez Leonard. En trois questions, il revient sur les principaux enjeux liés à l’utilisation présente et future de l’hydrogène.
L’hydrogène fait beaucoup parler de lui et donne lieu à d’importants investissements. Pourquoi maintenant ?
Le grand changement est la prise de conscience de l’urgence environnementale. Il est impératif de limiter les émissions de gaz à effet de serre et l’hydrogène peut amener des réponses dans la plupart des domaines. Dans le secteur industriel, il existe peu d’alternatives à l’hydrogène pour décarboner les processus de production. Face à cette urgence climatique, on constate un alignement des volontés politiques et des moyens financiers. Il y a 4 ans, le plan Nicolas Hulot mettait 100 millions d’euros sur la table, aujourd’hui les plans nationaux pour l’hydrogène en France représentent 9 milliards d’euros.
Quelles sont les applications majeures de l’hydrogène aujourd’hui ? Demain ?
Aujourd’hui dans le monde on utilise chaque année à peu près 94 millions de tonnes d’hydrogène. Les principaux utilisateurs sont l’industrie pétrolière pour traiter les carburants et l’industrie chimique pour produire de l’ammoniac ou du méthanol. Cet hydrogène est produit via des processus qui émettent beaucoup de CO2. Le plus courant est le vaporeformage qui engendre l’émission de 10kg de CO2 pour synthétiser 1 kg d’hydrogène. Chaque année, cela représente 900 millions de tonnes de CO2, soit plus de 2% des émissions totales de CO2. Le premier enjeu est donc de passer de l’hydrogène fossile à un hydrogène qui n’émet pas ou peu de CO2 lors de sa fabrication pour ces utilisateurs historiques de la molécule. La deuxième transition consiste à introduire l’hydrogène dans certains processus de production pour émettre moins de CO2. Les aciéries commencent ainsi à l’utiliser pour produire de l’acier “vert”. L’hydrogène permet également de transformer le CO2 en gaz ou en carburant de synthèse comme le méthanol. Associé aux solutions de “carbon capture”, c’est une bonne opportunité de recycler le CO2 émis par les industries plutôt que de l’enfouir dans des cavités souterraines. Enfin, lorsque l’hydrogène sera compétitif, il sera utilisé en complément voire en remplacement du gaz naturel comme combustible dans les fours industriels, ou pour le chauffage des bâtiments.
Il existe également des usages non-industriels : dans les transports maritimes, l’hydrogène sera utilisé sous des formes dérivées comme le méthanol ou l’ammoniac qui sont plus facilement transportables sur des longues distances. Dans le transport aérien, il pourra être utilisé comme carburant embarqué sous sa forme liquide à -253 degrés. Le transport ferroviaire sera également un grand utilisateur : Les premiers trains fonctionnant à l’hydrogène ont été livrés récemment par Alstom. Les solutions hydrogène sont également pertinentes pour le transport routier de marchandises pour les longues distances ou les flottes de véhicules (sociétés de taxis).
Enfin, la molécule permettra également de développer l’utilisation des énergies renouvelables intermittentes, photovoltaïque et éolienne, et ceci en stockant l’énergie produite sous forme d’hydrogène lors des pics de production et en la retransformant en électricité lors des pics de demande.
Quels sont les obstacles à lever pour une démocratisation de l’hydrogène vert ?
Au-delà de la question du prix de l’hydrogène vert, le défi consistera à développer les infrastructures de production d’électricité renouvelable ou nucléaire qui permettront de fabriquer cet hydrogène par électrolyse avec un minimum d’émissions de CO2. Au niveau international, il sera également important de définir des réglementations certifiant l’origine de l’hydrogène utilisé pour garantir qu’il est bien bas carbone ou renouvelable.
Concernant la mobilité routière à hydrogène, qui a tendance à attirer l’attention bien qu’elle ne soit pas l’utilisation majoritaire qui sera faite de la molécule dans le futur, on rencontre les mêmes freins que lors de l’émergence de l’électromobilité à batteries. Il faut réussir à déployer ensemble les véhicules et les infrastructures pour éviter que l’absence de stations d’avitaillement ne freine le développement des véhicules et inversement.