L’intelligence artificielle, l’autre avenir du béton ?

Marc Andreessen le disait en 2011[1], « le logiciel dévore le monde » ; cette formule choc, pour fondée et pertinente qu’elle fut, a relégué au second plan le matériel (« hardware ») comme si les octets avaient effacé les atomes du champ de nos préoccupations. L’Intelligence Artificielle relève du même procédé théâtral, escamotant le décor et concentrant toutes les attentions, fantasmes et craintes sur le pouvoir des «algorithmes».

HAL - Intelligence artificielle

Que vient faire le monde du BTP dans cette jungle immatérielle ? Tout semble les opposer en effet :

  • La construction est un métier de prototypes, difficilement réplicables. C’est un métier pratique, qui relève presque de l’art tant le savoir-faire du compagnon est primordial. C’est également un métier concret – ne dit-on pas « concrete » pour dire béton en anglais ?
  • L’IA est à l’inverse constituée d’ensembles d’algorithmes insaisissables, qui répètent inlassablement la même chose (en apparence), et dont Cédric Villani dit qu’ils n’ont pas de définition possible.

 

Et pourtant le Groupe VINCI, premier groupe français du secteur de la construction, fait partie des membres fondateurs du Hub France IA.[1]: pourquoi ?

L’intelligence artificielle est partout, parfois là où on ne l’attend pas, même au cœur du matériau de construction le plus utilisé au monde.

 

L’Intelligence Artificielle est une révolution de la construction

Si le lien entre construction et intelligence artificielle semble encore loin d’être évident, le secteur de la construction a bel et bien entamé sa digitalisation.

En témoigne, à partir de 2016, l’accroissement significatif du nombre d’investisseurs dans les startups de la « #ConstructionTech ». L’IA survient ainsi dans un contexte de mutations profondes de nos métiers, créatrices de valeur ajoutée. Elle permet, grâce à la maquette numérique, de simuler et d’optimiser les performances du bâtiment.

La construction n’est d’ailleurs pas la seule activité du Groupe VINCI infusée par l’Intelligence Artificielle. Celle-ci se déploie partout, dans une diversité de métiers, dès lors que des flux sont en jeu, qu’il faut qualifier et/ou prédire :

  • Dans les aéroports, pour optimiser de manière significative la gestion des flux aériens et des passagers
  • Dans la gestion des infrastructures routières, pour optimiser leur exploitation (analyse automatique des flux de véhicules, classifications, détection d’accidents…)
  • Dans le secteur de l’énergie, l’intelligence artificielle est à l’œuvre dans l’intégration de systèmes d’information, l’automatisation de procédés industriels et la conception / hypervision d’infrastructures (BIM)

Cette omniprésence peut s’avérer porteuse d’interrogations, voire de dystopies effrayantes. Faut-il craindre la pire des technocraties : le remplacement des experts par les systèmes experts ?

Entre fantasmes et réalités

Alors que l’histoire contemporaine de l’IA commence dans les années 1950, c’est seulement depuis les années 2010 que peuvent se concrétiser les rêves les plus fous des précurseurs du « Summer Camp » de Dartmouth, grâce à une puissance de calcul inégalée, combinée à l’explosion du nombre d’objets « intelligents » et connectés. Nous avons chacun dans la poche l’équivalent de plusieurs supercalculateurs Cray 2 qu’utilisait le CEA dans les années 1980 et certains smartphones récents embarquent des puces dédiées à l’IA. Avec plus d’un milliard de smartphones vendus chaque année, la surface du réseau croit en puissance sans doute plus vite que son cœur.

On assiste en parallèle à une explosion du volume de données exploitables, aussi bien privées que publiques, des photos sur le web aux données des capteurs. Depuis 2007, l’humanité produit plus de données qu’elle n’est capable d’en stocker. L’accès exclusif à des quantités massives de données constitue dès lors un avantage concurrentiel décisif surtout lorsqu’elles peuvent être complétées et corrélées avec des données publiques de plus en plus facilement accessibles. L’open data peut parfois faire le lit d’acteurs privés…

Enfin, les machines sont désormais capables de s’entraîner contre elles-mêmes : en 2017, l’IA Alpha Go Zero est devenue championne du monde du jeu de go en jouant avec elle-même !

De ce fait, les espoirs et les craintes liées à l’IA se cristallisent désormais autour de la vitesse croissante des progrès en la matière : les lois d’accélération exponentielles de la technologie conduisent ainsi à franchir des étapes significatives qu’on ne croyait atteignables que dans plusieurs années.

Ces progrès excèdent nos capacités individuelles à appréhender le phénomène, et a fortiorinos capacités collectives de le penser : d’où la perspective effrayante – ou fascinante – de la singularité, c’est-à-dire du passage à une Intelligence Artificielle autonome et capable d’inventer des solutions aux problèmes, voire de développer une conscience de soi. Le travail humain serait ainsi complètement obsolète, et dépassé en dehors de quelques métiers très singuliers.

Que penser de ces prévisions utopiques/dystopiques ?

Selon Rand Hindi, la singularité en l’état actuel des choses, n’est encore qu’un mythe.Certes l’IA est dès aujourd’hui bien plus performante que l’être humain dans les situations « standard » de classification : elle ne se fatigue jamais et reste en permanence à son optimum d’efficacité.

Certes l’IA est dès aujourd’hui bien plus performante que l’être humain dans les situations « standard » de classification : elle ne se fatigue jamais et reste en permanence à son optimum d’efficacité.

A contrario, l’humain est beaucoup plus fiable dans les cas limites ou à la marge, qui font appel à son intuition, à la créativité ou à la prise d’initiative.

L’enjeu pour les entreprises dans les années à venir sera donc de faire la part entre les tâches plus adaptées aux IA ou aux humains… Sachant qu’il est difficile de prévoir à l’avance ce qui relèvera d’un cas limite ou d’un cas standard !

Ma conviction, donc ? L’intelligence artificielle, malgré une scalabilité exceptionnelle, est loin de pouvoir se substituer à ce que l’humanité a en elle de plus humain et donc… de moins scalable.

Oui, l’IA porte en elle la promesse d’une nouvelle révolution industrielle dans l’ensemble de nos métiers… si on comprend bien ce qu’elle est en mesure d’apporter : l’IA reste aujourd’hui entièrement démunie pour prendre des initiatives et identifier les situations limites.

Ma conviction personnelle est que, pour encore longtemps, l’humain gardera l’avantage aux deux extrémités du spectre de « l’efficacité » : inspirer les foules et prendre soin de chacun.

  • Inspirer et guider des millions voire des milliards d’êtres humains : dans les arts, la spiritualité ou la politique par exemple, le leadership suppose des qualités et des faiblesses indépassables, instinctives, contagieuses.
  • Prendre soin des plus faibles et de chaque personne individuellement. Le besoin universel d’une présence exclusive, aimante et attentive est ce qu’il y a de moins scalable et de plus précieux au monde ; un thérapeute ne peut s’occuper que d’un patient à la fois.

D’ici là, de nombreuses applications restent à explorer dans tous les secteurs de notre industrie ; à nous de les tester, de les évaluer, de les mettre en pratique afin de gagner en agilité et en performance et de démontrer au passage que l’intelligence artificielle, c’est du béton !

[1] Why Software Is Eating The World

[2] Le Hub #FranceIA est une association dont le triple objectif est de : mobiliser les acteurs français, mettre en commun les compétences, et consolider le potentiel français dans la perspective d’un passage à l’échelle européenne. Parmi ses membres fondateurs figurent 7 grands groupes : SNCF, Air Liquide, Air France, La Banque Postale, Société Générale, VINCI et France Télévisions.

Partager l'article sur