Décarbonation du parc existant, sobriété foncière, nouveaux modes de financement, réversibilité des bâtiments, réhabilitation, intensification urbaine, intelligence artificielle se sont imposés dans les conversations autour du Palais des Festivals. Retour sur les tendances d’une édition placée sous le signe de la crise du logement mais aussi, et surtout, sur celui de l’agilité et de l’innovation.
Un salon de crise
Il faut bien le souligner : entre la dernière édition et la cuvée 2024 du Mipim, le monde de l’immobilier aura été marqué par une actualité morose et des perspectives particulièrement inquiétantes. Si la crise sanitaire et la guerre en Ukraine avait déjà sérieusement commencé à assombrir les perspectives, la hausse des taux d’intérêt, les difficultés des ménages à accéder aux crédits, la hausse des coûts de construction, le ZAN ou encore la réduction des dépenses publiques ont fortement affecté le secteur. Avec seulement 373 100 autorisations délivrées en France, le nombre de permis de construire a chuté de 23,7 % en 2023 par rapport à 2022.
Dans ce contexte, cette 33e édition du Marché international des professionnels de l’immobilier (Mipim) s’annonçait d’abord pour les acteurs de l’immobilier comme un moment de partage de leurs difficultés. Les premiers mots du ministre du Logement donnaient le ton : « Nous faisons face à une crise très profonde structurée par un effondrement à la fois de l’offre locative et aussi de l’offre de construction neuve ». Venu pour tenter de rassurer la profession, Guillaume Kasbarian tenait cependant à ne pas se montrer résigné en proposant, pour redresser la barre, un discours autour « de l’offre, de l’offre, de l’offre » accompagné d’une série de « dix mesures de simplification » pour accélérer la sortie des projets dans notre pays. Généralisation du permis d’aménager multi-sites, uniformisation des règles d’urbanisme en ZAC, délivrance des permis de construire par tranche dans les opérations d’aménagement, facilitation des opérations de « densification douce » : au-delà des marronniers sur la digitalisation des procédures et la réduction des recours, ce qui frappait à la lecture de ces mesures était notamment le choix d’une prime à l’aménagement, symptôme d’une volonté de faire du volume plutôt que de la dentelle.
Agilité
« À vous, professionnels de l’immobilier et de la ville, je dirais qu’il est judicieux d’être un précurseur de la transition écologique. Il y a de nombreuses opportunités de marché pour ceux qui ont le courage de faire bouger les choses en premier ». C’est le message qu’a voulu faire passe Sanna Marin, l’ancienne première ministre finlandaise, en ouverture du salon, dessinant une perspective pour des professionnels résilients.
Touché par des crises qui s’enchaînent depuis la pandémie de Covid 19, avec les conséquences de la guerre en Ukraine et l’accélération visible du changement climatique, le monde de l’immobilier n’en est effectivement plus à sa première secousse. Avec l’émergence soudaine du télétravail, la vie de bureau a brutalement changé et des plateaux entiers sont désormais sous-occupés. Avec la hausse des coûts de construction, de nouveaux modes de faire ont dû être déployés à grande échelle. Avec la multiplication des canicules, la nécessaire végétalisation des villes et des projets a largement ringardisé une vision décorative qui prévalait il y a encore quelques années. Dans un monde aussi incertain et changeant, l’agilité est devenue une valeur cardinale pour chaque acteur tant les motifs d’adaptation sont nombreux.
Parmi ces déclinaisons opérationnelles, la question de la réversibilité de nos villes et de nos bâtiments a alimenté nombre d’échanges. Quelques jours seulement après l’adoption à l’Assemblée nationale d’une proposition de loi visant à faciliter la transformation des bureaux en logement, le sujet était brûlant dans les allées du Mipim et l’enthousiasme de rigueur. Sur le catamaran « Future », qui rassemblait une douzaine d’acteurs innovants du marché, dont Leonard, une conférence abordait d’ailleurs la question de la « Reconversion des bâtiments tertiaires : solution pour faire face à la crise du logement ou simple opportunité ? ». Les échanges portaient notamment sur l’équilibre à trouver entre souplesse réglementaire et anticipation planificatrice dans la fabrique de la ville. L’agilité, c’est aussi la capacité de chacun à faire évoluer ses actifs pour ne pas s’en trouver prisonnier s’ils ne correspondent plus à la demande. Ce Mipim a résolument fait émerger l’idée que la réversibilité n’était désormais plus une contrainte ou une coquetterie, mais bien une condition pour assurer dans le temps la valorisation continue d’un bien immobilier. Si le sujet n’est pas nouveau, il tend à se généraliser au point que certains élus aimeraient le rendre obligatoire malgré les réticences des opérateurs qui craignent des coûts et des contraintes supplémentaires. Sur un plan architectural nous assistons possiblement à une révolution.
Pour un acteur en crise, l’agilité c’est aussi sa capacité à « liquider » les stocks qui freinent les investissements et grippent le marché. La question de la sécabilité des logements a fait l’objet de nombreuses prises de positions de la part de promoteurs dont nombre de T4 et de T5 familiaux ne trouvent pas de preneurs dans un contexte de difficulté d’accession au crédit. C’est dans ce cadre que Grand Paris Aménagement a proposé un train de neuf mesures destinées à accélérer la production de logements dont certaines prévoyant la sécabilité des T4 et T5 en double T2 ou en T2 T3, visant à éviter la constitution de stocks de logements ne parvenant pas à se vendre. Une forme là aussi de modularisation du logement qui doit faire partie de manière structurelle de la « boîte à outils résilience » pour affronter les crises présentes et futures.
Nous l’avons senti aussi, l’agilité c’est aussi la capacité de chacun à trouver des leviers de financement nouveaux pour sortir des opérations complexes et coûteuses. Dans un contexte économique et monétaire mondial encore incertain, les acteurs publics et privés ont plus que jamais besoin de capitaux, étrangers notamment, pour soutenir leurs projets. C’était notamment le sens de la présence des représentants des plus grands fonds souverains, tels que Abu Dhabi Investment Authority, ADIC, GIC Private Limited, Investment Corporation of Dubai, Korea Investment Corporation, Oman Investment Authority, Qatar Investment Authority, ou encore Temasek qui se réunissaient à Cannes dans le cadre du sommet Re-Invest.
L’agilité financière c’est aussi une nouvelle manière d’envisager le fonctionnement des crédits immobilier en France dont certaines nouveautés semblent, subitement, se faire une place de choix dans le débat. C’est notamment le cas de la dissociation du foncier du bâti, qui jusqu’ici devait rester un outil marginal dans la boîte à outils et que désormais beaucoup d’acteurs veulent voir monter en puissance. Dans un pays traditionnellement très attaché au droit de propriété c’est un véritable changement de mentalité lié probablement aussi aux préoccupations nouvelles des générations Y et Z pour qui la constitution d’un patrimoine ou la fixation géographique ne sont plus une priorité. Parmi les solutions qui ont trouvé écho à Cannes cette année, le crédit dit « In Fine » importé de Suisse qui propose de garder sur le fond un fonctionnement assez traditionnel à la différence qu’une partie importante de la somme empruntée est sortie du calcul du prêt et devra être remboursé en bloc à la fin. Un risque assumé pour les deux parties mais une vraie oxygénation du marché à l’arrivée.
Alors, chiche ? Passer d’une culture de bon père de famille à une culture (raisonnée) du risque, c’est peut-être aussi l’une des clés du Mipim 2024.
Innovation
Si l’agilité relève de la capacité d’adaptation et de la manière d’affronter les crises, cette édition du Mipim se devait de faire également la part belle à l’innovation. Sur le catamaran Future, c’était en tout cas le maître mot, puisque cette initiative voulait réunir pendant ces quelques jours à Cannes un « collectif d’acteurs de l’immobilier et de la construction souhaitant accélérer et mutualiser les innovations, savoirs, réflexions et services visant à réduire l’impact environnemental de l’acte de construire ». En effet, jamais peut-être le besoin d’innover s’est autant fait ressentir car, au-delà de l’agilité qui permet de s’adapter aux crises, l’anticipation des pratiques et des technologies est un levier de développement incontournable dans un monde qui change.
L’un des sujets star, et c’était attendu, était l’intelligence artificielle. En effet, les capacités qu’elle semble pouvoir déployer à grande échelle autour de la prédiction, de l’optimisation et de la production de contenus originaux semble pouvoir offrir aux acteurs de l’immobilier de nouveaux outils sans limite pour une conception maximisée de la ville et des bâtiments. Mais qu’est ce qui a changé ces derniers mois pour faire de ce sujet un axe central de ce Mipim ? Laurent Escobar, cofondateur de la plateforme Realdata for Real Estate explique notamment que : « Les modèles statistiques utilisés dans le machine learning n’ont rien de nouveau. Ce qui a changé, ces dernières années, c’est l’explosion des données et l’apparition de réseaux de neurones, le deep learning, pour les traiter ». Selon l’un des deux patrons de la plateforme qui se veut être la place de marché des données de l’immobilier : « Si le secteur parvient à s’aligner sur les bonnes pratiques de la grande distribution ou de la finance, il va gagner en agilité et découvrir de nouvelles façons de travailler, plus transversales ».
Malgré les craintes ou les doutes qu’elle peut susciter, il n’est donc pas à exclure que dans un environnement de plus en plus contraint, où l’optimisation va devenir la norme à l’image du ZAN, la puissance de l’IA puisse contribuer à accélérer la transition énergétique. Le tout est d’arriver à maintenir un outil qui pense comme nous tout en restant sous notre contrôle… Entre alerte, doute et engouement, le regard sur l’IA n’a peut-être pas changé fondamentalement pendant ces quelques jours, mais les démonstrations concrètes, qu’ont pu faire ici et là des acteurs engagés dans cette voie, ont probablement permis à cette technologie de continuer à tisser sa toile.
Preuve d’un engouement marqué pour l’innovation cette année, l’édition du Mipim 2024 fut marquée par plus de 200 projets du monde entier qui ont candidaté aux « oscars de l’immobilier », ce qui constitue un record depuis la crise sanitaire. Et pourtant, Nicolas Kozubek, directeur du Mipim, avait donné le ton en marge de la remise des trophées. « Il s’agira de récompenser des projets emblématiques qui marquent leur époque, leurs marchés et qui répondent aux enjeux de l’avenir de nos villes ». La crise aurait donc un effet inverse sur la capacité d’innovation du secteur. Ce constat doit être appréhendé comme une excellente nouvelle qu’il faut considérer comme une perspective solide pour l’avenir. Parmi les projets lauréats il fût question de réhabilitation, d’hybridation des usages, de centres logistiques et de centres commerciaux verticaux, de géothermie, d’autosuffisance énergétique ou encore de co-living. De la contrainte à l’innovation : le maitre mot est clair, il faut aller de l’avant ensemble ! Autre témoin de cette prime à la vertu, les organisateurs ont noté que la zone « Road to Zero », dédiée aux acteurs qui œuvrent pour accélérer la transformation du secteur immobilier vers un modèle plus durable, n’a jamais eu autant de succès aussi bien en termes de participation que d’affluence.
Si cette année à Cannes à la question « Comment tu vas ? » beaucoup ont probablement répondu « Tu sais c’est difficile », les fruits d’une édition de crise sont possiblement plus puissants que lors de n’importe quelle autre édition. De ce point de vue un signal intéressant réside dans ce propos du directeur du Mipim : « le jury des Mipim Awards a affirmé sa volonté de récompenser les projets crédibles, dotés d’une porosité positive et qui privilégient une utilisation des matériaux plus fonctionnelle que spectaculaire ». La tendance à l’innovation, notamment environnementale, serait donc tellement ancrée qu’elle aurait désormais plus de sens dans l’ombre que dans la lumière.