“Paradoxalement, c’est en baissant les prix que l’on maîtrise mieux la qualité des logements”

Les prix de l’immobilier ont flambé de 30% en Europe en 6 ans. Dans le même temps, la qualité des logements s’est dégradée. Un double mouvement qui interpelle et qui appelle de nouvelles politiques et innovations pour un logement accessible et de qualité.

La “bombe à retardement” du logement inaccessible

En 2018, 7,3% de la population européenne n’était pas en mesure de maintenir une température adéquate dans son logement. En France, les 10% des ménages les plus modestes consacrent 40% de leurs revenus au logement… Dans ce contexte, l’accès à un habitat de qualité est devenu un enjeu majeur. Alors que la hausse des prix et le manque de logements disponibles sont souvent pointés du doigts, collectivités, professionnels de la construction et promoteurs peinent à inverser la tendance.

Pour mieux comprendre les causes et explorer les solutions liées au sujet du logement accessible et de qualité, Leonard a invité Catherine Sabbah, déléguée générale de l’Institut des Hautes Etudes pour l’Action dans le Logement (IDHEAL) et Patricia Muller, chargée de la direction du développement des marques chez VINCI Construction France, en particulier Primméa, dont l’ambition est de développer une offre de logement qualitatif et abordable. Elles partagent leurs points de vue et leur expertise.

 

 

En France, plus de 4 millions de personnes sont non (ou mal) logées. Comment en est-on arrivé à cette situation ?

Catherine Sabbah : J’ai retrouvé récemment un livre qui date de 1965 intitulé “Peut-on loger les français ?”. Il posait à l’époque des questions toujours valables aujourd’hui. Pourquoi y a-t-il des gens qui dorment dehors ? Pourquoi il y a des gens mal logés dans un pays riche ? Les inégalités dans l’accès au logement sont aujourd’hui très fortes, et pour une grande partie de la population, le logement est tout simplement trop cher. Pendant de nombreuses années il a été traité comme un produit de consommation plutôt que comme une nécessité. Le manque d’attention aux besoins et la politique de l’offre ont entraîné la construction de logements parfois inutiles, à des prix qui n’étaient pas accessibles. L’industrie s’est développée d’un point de vue financier plutôt que social.

Patricia Muller : Il est vrai que l’offre existante n’est pas toujours en adéquation avec les besoins. Alors que le logement est par nature un endroit de vie, la dernière personne à laquelle on pense quand on conçoit, dessine ou construit un logement, c’est souvent l’occupant. On se met plus volontiers dans la posture du passant qui va regarder l’immeuble de l’extérieur et en apprécier, ou pas, l’esthétique. Je compléterais en rappelant que le processus de conception, de production et de commercialisation d’un bâtiment est long et compliqué. C’est une addition de technicités différentes, dans une chaîne de valeur qui n’est pas toujours fluide. Entre les promoteurs, les services qui instruisent les demandes de PC, l’architecte, les bureaux d’études, les ingénieurs, les constructeurs, ceux qui commercialisent, le processus est long et les contributeurs très nombreux, ce qui participe à le rendre cher.

 

Quels sont les leviers disponibles sur les plans techniques, politiques, financiers, sociaux pour inverser la tendance et favoriser l’accès au logement ?

Catherine Sabbah : Il existe en France une politique du logement, avec un amortisseur du marché qui est le logement social, auquel 70% des Français ont droit. Produire plus de logements sociaux est donc une première solution. Une autre politique publique consisterait à limiter l’impact du prix du terrain sur le prix final du logement, c’est-à-dire limiter les prix du foncier quand il s’agit de terrains publics. Une taxation des plus-values au-delà d’un certain montant pourrait aussi limiter la hausse des prix.

Dans les pistes techniques, je pense à la préfabrication. Elle est aujourd’hui très qualitative et permet de réduire les délais comme les nuisances de chantier. De manière générale, nous sommes dans un système qui pâtit d’habitudes extrêmement fortes et du fait que tous les acteurs bénéficient de la hausse continue des prix. Même ceux qui ne sont pas encore propriétaires se projettent dans le statut de propriétaire, et imaginent faire une plus-value. Le système profite à tous les intermédiaires…

Patricia Muller : … sauf à ceux qui ne deviennent jamais propriétaires. Je pense qu’une des premières pistes consiste à renforcer les ententes entre acteurs privés et acteurs publics. Au niveau des élus, il convient d’arbitrer entre le niveau du prix de vente des fonciers publics disponibles et l’ambition de faciliter des parcours résidentiels aux populations locales. Les acteurs privés doivent aussi sans doute réinterroger leurs manières de penser et innover pour répondre autrement. Aujourd’hui, chaque immeuble d’habitation est quasiment un prototype. Il y a peu de capitalisation d’un programme à l’autre et celle-ci n’est pas systématisée comme elle pourrait l’être dans une démarche de type progrès permanent. C’est à partir de ce constat que nous avons imaginé, pour concevoir notre offre de logement abordable Primméa, d’élaborer des modèles et de repartir de ces modèles pour les améliorer à chaque nouveau programme dans un processus de conception et de production optimisé et sensiblement raccourci. Nous avons défini ces modèles avec un panel représentatif de primo-accédants. Combiné avec le développement d’innovations techniques (comme, par exemple, des gaines techniques préassemblées hors-site) ou de vente, cela nous a permis de faire baisser sensiblement nos délais et nos coûts de production et de commercialisation. Grace à cette approche, nous avons déjà livré 13 programmes Primméa en France que nous avons commercialisés en moyenne 20% en dessous du marché local à prestations et localisations équivalentes.

 

Est-il possible de concilier coût et qualité des logements ? Comment ?

Catherine Sabbah : L’argument consiste à dire “si on fait plus grand ou si on fait mieux ce sera plus cher”. Mais si on raisonne en termes industriels, on constate que l’on est face à un produit qui est de plus en plus cher et de moins en moins bonne qualité. On ne donne pas le choix aux habitants qui subissent l’offre. La question de la responsabilité des acteurs privés comme publics doit être au centre du débat. Il y a une responsabilité en termes de sécurité, mais également une responsabilité sociale. On prend peut-être trop à la légère le métier de celui qui fabrique un morceau de ville, et qui va le poser pour 50 ou 100 ans dans le paysage.

Patricia Muller : Dans la construction il existe ce que l’on appelle des “réserves”, qui sont des défauts constatés par les clients à la livraison qui obligent les équipes travaux à devoir réintervenir ultérieurement. Un bien immobilier est l’un des rares produits aujourd’hui qui est livré aux clients sans atteindre « 0 défaut ». Je ne suis pas sûre que cela puisse continuer à fonctionner de cette manière pendant des années. Avec Primméa, en se positionnant à 20% en dessous du prix du marché, nous sommes condamnés à la qualité finale de ce que nous livrons à nos clients. Si vous mettez sur le marché un produit moins cher mais qui n’est pas de qualité, il n’a aucune chance de survivre. Paradoxalement, c’est en baissant les prix que l’on maîtrise mieux la qualité, parce qu’on challenge la manière de gérer notre chaîne de valeur et qu’on l’optimise de l’amont à l’aval pour « faire bien du premier coup ».

 

Quelles sont les aspirations ou plus simplement les besoins des habitants aujourd’hui, en particulier suite à la crise du COVID-19 ?

Catherine Sabbah : Les besoins évoluent, et ils ont évolué de manière majeure avec le COVID-19. Renvoyés à domicile 23h/24 pendant 55 jours nous avons pris conscience de certains dysfonctionnements. Dans un département comme la Seine Saint-Denis, la suroccupation a tout simplement comme résultat de faciliter la circulation du virus. La question de l’organisation du domicile quand on doit y travailler, s’y distraire ou y faire l’école est également importante. Je me réfère à l’étude menée par IDHEAL intitulée “Nos logements des lieux à ménager”. Nous avons observé l’évolution de la taille des pièces et de la disposition des plans sur un échantillon de logements construits. Nous avons constaté que les besoins des habitants n’étaient pas pris en compte. Selon un sondage réalisé après le premier confinement trois facteurs sont essentiels : des m² supplémentaires, de la lumière, et un accès à l’extérieur. Or, on s’aperçoit que ces éléments sont en diminution : la mono-orientation entraîne moins de lumière et de ventilation naturelle, les pièces sont plus petites, la cuisine diminue, il y a moins de placards…

Patricia Muller : Nous avons également mené ce type d’enquête auprès des occupants de nos résidences. Cela nous a permis de conforter les fondamentaux développés dans nos modèles (luminosité, surface, accès à un espace extérieur – tous nos appartements disposent d’un balcon)  mais aussi de constater l’émergence de  besoins nouveaux : le télétravail, l’intelligence de l’organisation interne, les besoins en rangements, la modularité des espaces qui peuvent être réaménagés en fonction du moment de la journée. Il y a 5 ans lorsque nous avons défini nos premiers modèles, le télétravail n’était pas un sujet. Nous devons tirer enseignement de ces transformations. Les usages et les manières de vivre ensemble changent. Remettre l’habitant au cœur des programmes oblige à un processus continu de remise en cause. C’est ce que nous faisons après chaque livraison en prenant connaissance des résultats des enquêtes de satisfaction que nous adressons systématiquement aux nouveaux occupants.

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Crédits photo : Alexandr Podvalny sur Pexels

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