L’architecture est le premier des arts majeurs. À ce titre, elle fait l’objet d’une littérature abondante, d’expositions régulières et d’une admiration générale du public. À côté de cet engouement pour le bâti, le moment et l’espace du chantier semblent quelque peu oubliés. Pour réparer cette injustice et illustrer le pouvoir d’évocation des chantiers, la Cité de l’Architecture et du Patrimoine propose une exposition visible jusqu’au 11 Mars. Intitulée « L’Art du chantier », elle explore les fascinations, les représentations et la valeur métaphorique de lieux de construction. Nous l’avons visitée et vous proposons ici une rapide introduction en forme de déambulation.
La valeur symbolique du chantier
Métaphore de l’impermanence et du transitoire, le chantier fascine dans sa dimension métaphorique. À travers des tableaux intitulés « s’élever toujours plus haut », « vaincre la pesanteur », « franchir l’infranchissable », « transformer la nature » ou « construire plus léger », l’exposition nous montre comment les représentations du chantier sont mises au service d’un optimisme technologique, quitte à ignorer la démesure de certains projets. De superbes croquis du viaduc de Garabit, une gravure de l’érection de l’obélisque de la Concorde ou encore des dessins de l’architecte britannique John Sloane viennent illustrer une certaine idée de la modernité, transmise par l’image du chantier. En naviguant parmi les nombreux documents exposés, le flâneur prend conscience de l’importance historique de ces images. L’assimilation de l’artisan à l’ouvrier ou la mécanisation et l’industrialisation des procédés transparaissent dans une sélection d’oeuvres qui s’étirent du tableau Les Constructeurs de Fernand Léger aux photographies de Christopher Frederick Jones.
Le chantier politique
Derrière ces images, c’est la dimension politique du chantier qui émerge. Mise en scène, la démolition prend des airs de propagande. Des gravures présentent des piocheurs en train de transformer la Bastille en tas de cailloux ou des « communards » renversant la colonne Vendôme. Dans un style différent, le chantier se transforme également en scène de théâtre et lieu de pouvoir. Cérémonies d’inauguration, premières pierres et démolitions donnent aux puissants l’occasion de faire la démonstration de leur influence. On croise ainsi Napoléon, inspectant le chantier du Louvre, mais aussi Hitler, donnant la première pelletée d’une autoroute, et s’inscrivant à travers ce geste dans le mythe des grands bâtisseurs…
À l’inverse, l’image de la construction permet également de dénoncer. On met en scène les retards et l’incurie. Les corps des ouvriers sont présentés dans la pénibilité de la tâche, parfois sous la surveillance immobile du bourgeois ou du patron. Les grandes affiches exposées dessinent l’émergence d’une conscience de classe ouvrière. On cloue des drapeaux rouges à même les structures en construction, alors que les ouvriers de Théophile Alexandre Steinlen semblent prendre possession de la ville depuis le haut de leurs échafaudages.
Plus loin, ce sont les activités clandestines qui s’installent dans les lieux de construction. Jeux d’enfants mais aussi rapines ou prostitutions investissent le chantier nocturne dans ce qui deviendra un thème important de la photographie et du cinéma. Les enfants, eux, iront jusqu’à importer les grues et les bulldozers dans le confort de leur chambre, faisant par la même occasion le bonheur des marchands de jouets !
Pour conclure cette exposition très riche, la Cité de l’Architecture et du Patrimoine donne la parole à trois artistes et architectes contemporains : Marc Mimram, Martin Rauch et Patrick Bouchain. Chacun est invité à partager sa vision du chantier. On retiendra ici les mots du dernier d’entre eux, à propos du bâtiment, « Il est une aventure, un temps de découvertes, et requiert des performances de la part de tous. Aussi convient-il de redonner au chantier ses lettre de noblesse. […] Et c’est justement sur le chantier que convergent tous les savoirs, ceux des ouvriers, des ingénieurs, des architectes, etc., une richesse infinie. »