Ariane Lenhardt – XTU
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Quand le bâtiment va, tout va, dit l’adage. Et, à se pencher sur les chiffres les plus récents de l’emploi dans le secteur, tout ne va pas si mal. C’est en tout cas le constat de Nicolas Maillet, Responsable Marché BTP de ManpowerGroup France, partenaire de cette 6e édition d’EdFab Meetup « Les nouveaux métiers de la smart city et du BTP », organisée par le pôle de compétitivité Cap Digital à Leonard:Paris, dans le cadre du festival Building Beyond.
Les chiffres sont encourageants : sur 12 mois, l’embauche d’intérimaires a progressé de 13,6 %. Le nombre de salariés du secteur marque, lui, une hausse de 2,6 %. Dans le bâtiment, tout va, donc… Mais tout change, aussi !
Le bâtiment a beau avoir la réputation d’être un secteur aux cycles longs, où réalités du terrain, envergure des financements et complexité des jeux d’acteurs imposent leur inertie, il voit lui aussi ses métiers réinventés par la transformation numérique et les progrès rapides de l’automatisation.
Benjamin Gans, directeur d’EdFab, entité de Cap Digital dédiée aux transformations de l’éducation et de l’emploi, rappelle, étude du cabinet Mc Kinsey à l’appui, que, tous secteurs confondus, dans le monde, 40 à 60 % des emplois pourraient être automatisés d’ici 2030, 375 millions d’employés devoir changer de métier, et 400 à 800 millions d’emplois disparaître. Surtout, selon la même étude : à cet horizon, 60 % des métiers restent à inventer.
Que deviendront les professionnels du BTP ? Quel profil auront les bâtisseurs des smart cities ? 7 professionnels ayant déjà un pied dans le futur sont venus apporter leurs réponses sur la scène de Leonard:Paris.
Et rien de mieux que le terrain pour prendre le pouls du changement. L’oeil attentif aux chantiers actuels l’aura remarqué : les formes des constructions se font toujours plus osées. Les structures se permettent même de compter davantage de vides que de pleins. Sauf que la réalisation de ces formes complexes exige des ressources importantes, en hommes et matériel. L’impression 3D et les bras robots venus de l’industrie automobile avancent des éléments de réponse sur les chantiers de construction. C’est ce que fait la start-up XtreeE. Pour son co-fondateur et directeur général Alain Guillem, l’avenir des chantiers doit passer entre les mains de « senior engineers en technologie et développement de marchés ». Autrement dit : des spécialistes de l’impression 3D, doublés d’experts en science des matériaux, connaissant sur le bout des doigts les problématiques des opérateurs, et leur donnant les clés de chantiers plus sûrs, plus efficaces, à même de concrétiser les visions les plus inventives.
La smart city appelle un bâti intelligent. Qui en construira le système nerveux ? Des électriciens devenus architectes systèmes, répond Stéphane Couturier, Directeur de SNEF Connect. Ce groupe centenaire, spécialiste de l’électricité du bâtiment, a mis le cap sur un avenir où les câblages traditionnels s’effacent au profit de réseaux IP transportant énergie et information. Les LEDs qui éclairent votre bureau ? Elles ont toutes une adresse IP ! L’électricien de demain sera versé dans les réseaux informatiques. Preuve s’il en fallait, signale Stéphane Couturier : Google investit dans les smart cities avec sa filiale SideWalk Labs.
On le voit, les mutations sur le terrain, au plus près des chantiers, sont profondes. Mais prenons un peu de recul. Avant de bâtir, il faut repérer,mesurer, relever. Le métier de géomètre serait le « 2e plus vieux métier du monde », plaisante Thomas Nallet, qui accepte néanmoins volontiers la qualification de « géomètre 2.0 », et assure que son métier a été radicalement transformé ces dernières années. De fait, s’il fut « responsable topo » sur chantier, il est aujourd’hui directeur d’exploitation Lidar en photogrammétrie, au sein de Sixense Mapping. En clair : les relevés de chantier ou d’ouvrage se jouent aujourd’hui dans les airs, via des Lidars ( instrument de télédétection utilisant la lumière laser) embarqués sur des drones pilotés à distance. A la clé : des relevés de chantiers linéaires de plusieurs centaines de kilomètres effectués en quelques jours, l’accès sans danger à des zones difficiles, et un niveau de résolution des relevés tel qu’il permet d’assurer, via des jumeaux numériques, la gestion d’ouvrage ou la gestion patrimoniale. Ainsi le géomètre est-il devenu télépilote de drone, expert en traitement d’images, modélisateur 3D …
La modélisation est d’ailleurs l’une des mutations centrales du secteur, et ouvre par elle-même à une palette de nouveaux métiers. Bâtiments et villes “intelligents” sont conçus en 3D, dans leurs moindres détails, et les interactions entre tous les systèmes évaluées in silico. C’est la mission du BIM – le Building Information Modelling. Une mission aux multiples compartiments, de l’accompagnement stratégique au suivi de conformité, qui, comme l’indique Daphné Dureisseix, chef de service Projet BIM – Ingénierie BIM VINCI Construction France, se traduisent aujourd’hui par les fonctions de BIM Manager, BIM Modeller, BIM Reviewer… Des fonctions aux périmètres en constante évolution : les technologies progressent très vite.
Les maquettes numériques produites par les spécialistes du BIM sont aussi une source précieuse de données pour maîtriser consommation énergétique et émissions polluantes. Couplées aux données recueillies en temps réels par des capteurs connectés, elles permettent aux « Energy Managers » d’identifier les actions à mener sur un bâtiment pour qu’il respecte les objectifs environnementaux fixés à sa construction. C’est le métier d’Amah Jean Abaglo, au sein d’Openergy, qui invite, lui aussi, à suivre de près les évolutions de ce secteur, où technologies et pratiques avancent plus vite que les offres de formation.
Des bâtiments plus audacieux, conçus, gérés, et exploités plus efficacement pour une meilleure maîtrise de la sécurité, des coûts et de l’énergie : les transformations sont profondes, mais toutes ne sont pas portées par le numérique.
Au-delà de son enveloppe, un bâtiment doit, aussi, limiter son impact sur le milieu naturel. Ce n’est pas une nouveauté : la protection et la restauration des milieux impactés par un chantier neuf est une pratique installée. Bien plus nouvelle est l’ambition de pousser au bout cette logique, en restaurant des milieux affectés par des ouvrages anciens. C’est l’activité développée par Gwenaël Scotet, Responsable de travaux de restauration écologique au sein d’Equo Vivo, nouvelle marque de VINCI Construction. Chercheurs en écologie, ingénieurs et techniciens écologues y développent des solutions pour rendre à la nature zones humides et trames vertes, préserver la biodiversité, assurer la circulation des espèces.
L’idéal étant, dès la conception, de penser l’intégration des constructions au milieu naturel. Cet idéal s’installe aujourd’hui dans les pratiques des architectes, tels qu’Ariane Lenhardt. Cette responsable R&D, bâtiment et aménagement durable, au sein du cabinet XTU (connu notamment pour ses biofaçades, intégrant des microalgues entre des parois vitrées), est ingénieure agronome de formation. Mais elle a suivi une spécialisation « IEVU » (Ingénierie des Espaces Végétalisés Urbains), taillée sur mesure pour celles et ceux qui, comme elle, espèrent rapprocher enfin les villes et la nature, misant sur la construction écologique, l’agriculture urbaine… et convaincus que l’avenir du BTP sera aussi bien low tech que high tech.