Le numérique à l’épreuve de l’analyse en cycle de vie
Le développement du numérique et de la “dématérialisation” reposent sur des infrastructures bien matérielles, souvent inaccessibles au premier regard et à l’entendement. Rendre visible ces infrastructures, c’est mieux mesurer les ressources qu’elles consomment et imaginer leur développement futur.
Voici en quelques mots la thèse de Guillaume Pitron, journaliste d’investigation qui ouvrait cette année le festival Building Beyond. L’imaginaire du numérique se caractérise ainsi par son immatérialité, à l’image du cloud (“nuage”) qui permet l’accès à de nombreux services informatiques par internet pour communiquer, travailler ou consommer. Guillaume Pitron montre que le numérique tient en réalité à de nombreuses infrastructures qui ont une vie, des impacts et une géopolitique spécifiques.
Guillaume Pitron a enquêté sur les traces de nos clics, qui nous emmènent sous les océans, dans les mines de terres rares chinoises ou les data centers aux États-Unis. Lors de cette conférence d’ouverture, il a cherché à présenter le cycle de vie global du numérique pour envisager plus précisément sa consommation de ressources au-delà des seules émissions de CO2.
Villes et territoires se mobilisent pour la sobriété
Comment les villes et les territoires peuvent-elles agir pour limiter les impacts négatifs du développement du numérique ? La question était au cœur de la table ronde : « L’ombre au tableau ? Le numérique à l’heure de la sobriété énergétique ». Erwann Fangeat, ingénieur à l’ADEME, a commencé par rappeler quelques grands chiffres de l’étude « L’empreinte environnementale du numérique en France » commandée par le Gouvernement à l’ADEME et à l’ARCEP et parue en 2022.
Selon cette étude, l’empreinte carbone du numérique en France représente actuellement 2,5 % de l’empreinte nationale. Cette empreinte carbone est celle des terminaux (79 %), des centres de données (16 %) et des réseaux (5 %). La fabrication des équipements (terminaux, serveurs, box) représente 78 % de cette empreinte. L’utilisation est quant à elle la deuxième source d’empreinte carbone dans le cycle de vie (21 %) de ces équipements. Des données qui plaident, selon Erwann Fangeat, pour plus d’écoconception et le prolongement de la durée de vie des infrastructures même si les utilisateurs ont également un rôle à jouer pour réduire l’empreinte du numérique.
Villes et territoires commencent à prendre conscience du rôle qu’elles peuvent jouer pour orienter les acteurs publics et privés vers un développement plus soutenable du numérique. C’est en tout cas la conviction du groupe de travail de France Ville Durable qui regroupe les collectivités qui mettent en place des initiatives pour rendre le numérique plus sobre, plus résilient, plus inclusif et plus créatif, les quatre piliers du développement durable retenus par FVD. Toutes les collectivités sont en mesure d’agir, des plus grandes métropoles aux plus petites villes, insiste Camille Waintrop-Boyon, responsable coordination des travaux, des groupes de travail et de la formation de France Ville Durable.
L’ambition initiale de la smart city, capable de répondre aux grands enjeux urbains grâce à l’analyse des données, aurait-elle vécu ? Pour Khadija Tighanimine, Project manager Smart cities & e-mobility chez CITEOS (VINCI Energies), c’est plutôt une redéfinition qui est en cours, du tout technologique au « juste assez de technologie » mettant au centre les usages des citadins et se donnant comme finalité de répondre aux grands enjeux environnementaux et sociaux.
La marque du e-commerce sur les territoires
La montée en puissance du e-commerce s’est accélérée durant la crise sanitaire. Si elle touche inégalement les différents secteurs, elle semble néanmoins constituer une vraie tendance de fond, tandis que le commerce traditionnel peine à se relever après les confinements successifs. La multiplication des dark stores (« magasins aveugles »), qui visent à permettre un service de livraison de produits alimentaires et de grande consommation dans des délais très courts compris entre 10 et 20 minutes, en est une manifestation particulièrement frappante dans les centres urbains.
À l’heure où la Ville de Paris et la Ville de Lyon ont engagé de premières réflexions et actions pour limiter la multiplication de ces entrepôts de centre-ville et soutenir le commerce traditionnel, la rencontre intitulée « Dark city : la marque du e-commerce sur la ville » visait à aborder les innovations dans le domaine de la logistique urbaine. Charles-Antoine Depardon, conseiller Urbanisme auprès du Premier Adjoint à la Maire de Paris a expliqué la manière dont le prochain PLU de la capitale réduirait les vides juridiques qui rendent aujourd’hui possible la transformation d’espaces commerciaux en entrepôts.
L’acceptabilité de la logistique en ville passe aussi par sa meilleure intégration dans le paysage. C’est la conviction de Pascale Dalix, architecte, co-fondatrice de l’agence Chartier Dalix, qui a notamment travaillé sur les nouveaux entrepôts Tafanel (Paris 19e). Point de vue partagé par Juliette Berthon, Directrice RSE et Innovation chez Sogaris, acteur de la logistique dans le Grand Paris qui a posé la première pierre de son immeuble inversé de la rue du grenier Saint-Lazare début 2022, un ancien garage reconverti en espace dédié à la logistique de quartier. Pour Guy-Pierre Sachot, Directeur du déploiement de la logistique urbaine de Geopost (Groupe La Poste), c’est plus globalement toute la chaîne de valeur du dernier kilomètre qui est amenée à se réinventer avec l’essor du e-commerce. Une préoccupation à laquelle fait écho les pitchs d’Olvo, Miist et Collective Food, trois des start-up de la logistique passées par l’Urban Lab de Paris and Co.
Si le numérique se joue par nature des frontières, acteurs publics et privés commencent assurément à mieux prendre en compte son impact dans l’aménagement des territoires à l’échelle locale.