Le stockage et le transport sont des enjeux cruciaux dans le développement de la filière hydrogène. En effet, certaines caractéristiques de l’hydrogène (très faible densité, inflammabilité, effet de fragilisation des métaux) représentent des défis à relever afin d’assurer un stockage et un transport efficaces, sûrs, qui puissent répondre à nos besoins énergétiques de demain.
Animée par Jean-Pierre Cordier, président de la Commission Internationale de la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale, la conférence a accueilli Laurent Allidières, directeur des technologies hydrogène au sein de l’entité Hydrogen Energy World de Air Liquide, Pascal Baylocq, président de Geostock, filiale de VINCI Construction spécialisée dans le stockage souterrain, Fermin Cuevas, directeur de recherche CNRS à l’Institut de Chimie des Matériaux Paris-Est (ICMPE), et Olivier Joubert, professeur à l’École Polytechnique de l’Université de Nantes et chercheur à l’Institut des Matériaux Jean-Rouxel.
Stocker l’hydrogène sous forme liquide, solide ou gazeuse ?
La demande en hydrogène décarboné va augmenter dans les années à venir, au fur et à mesure que se développent les usages et la filière. En France, d’après des estimations du gouvernement, la capacité de production devrait atteindre 6.5 GW d’électrolyseurs à horizon 2030. La capacité de l’Union européenne s’élèverait alors à 40 GW selon la Commission Européenne, pour 90 GW dans le monde selon le Conseil de l’Hydrogène. Pour Pascal Baylocq, « on aura besoin dans le futur de stockage massif d’hydrogène ». D’après une analogie réalisée à partir des besoins actuels en stockage d’hydrocarbures et de gaz, il estime qu’il faudrait être en mesure de stocker 5% de notre consommation en hydrogène à horizon 2030.
Une des questions centrales à se poser à propos du stockage et du transport de l’hydrogène est la forme sous laquelle il est préférable de le stocker : liquide, solide ou gazeuse. En effet, comme l’affirme Fermin Cuevas, « le stockage est placé au milieu de la chaîne » de l’hydrogène. Le choix du mode de stockage influe donc sur toute la chaîne de distribution. Chaque type de stockage a ses propres caractéristiques et peut donc servir une finalité différente. Ainsi, selon Fermin Cuevas, le choix de la méthode de stockage doit se faire en fonction de l’application souhaitée de l’hydrogène.
L’hydrogène peut être stocké sous trois formes :
1. Le stockage sous forme liquide
Il existe trois moyens pour rendre l’hydrogène liquide. Le premier consiste à faire descendre l’hydrogène à une température en dessous de -253°C, grâce à un cryostat. Cette méthode de stockage est particulièrement adaptée pour la mobilité nécessitant une haute densité énergétique volumique (comme l’aviation ou le domaine spatial). Cependant, ce stockage présente un cout énergétique et un risque de perte de l’hydrogène par évaporation à hauteur de 1% par jour.
Le deuxième moyen est d’utiliser des composés organiques à même d’absorber et de libérer de l’hydrogène (les Liquid Organic Hydrogen Carriers ou LOHC) comme vecteurs d’hydrogène. Ce mode de stockage est le plus adéquat pour assurer le transport et la distribution d’hydrogène.
Un troisième moyen est de transporter l’hydrogène sous forme d’ammoniac (NH3) synthétisé via une réaction de synthèse à haute température, mais dont la capacité massique élevée et la possibilité d’être transporté à température et pression ambiantes le rendent pertinent pour le transport d’hydrogène sur de longues distances.
2. Le stockage sous forme solide
L’hydrogène peut être stocké à l’état moléculaire, par adsorption sur des matériaux poreux. C’est-à-dire que la molécule d’hydrogène va venir se fixer sur un solide. L’hydrogène peut également être stocké à l’état atomique : l’atome est alors absorbé dans des solides comme des hydrures métalliques, ioniques ou covalents.
Que ce soit par adsorption ou absorption, le stockage solide convient plutôt à un usage de l’hydrogène en milieu confiné (par exemple, dans les sous-marins), pour les systèmes autonomes ou encore pour l’accès au grand public. Ce type de stockage est par exemple utilisé dans le projet européen Hycare (Hydrogen CArrier for Renewable Energy Storage).
En savoir plus sur le projet Hycare.
3. Le stockage sous forme gazeuse
Sous forme gazeuse, l’hydrogène peut être stocké dans des réservoirs cylindriques en acier, composites ou carbon, jusqu’à 700 bars environ. Le stockage gazeux est bien adapté à la mobilité légère et au stockage massif souterrain.
En plus de l’usage prévu du gaz ainsi stocké, Laurent Allidières rappelle que le choix d’une forme de stockage doit également prendre en compte le poids et le volume de l’enveloppe de stockage. Ainsi, un camion qui transporterait de l’hydrogène gazeux, liquide ou solide ne restituera pas la même quantité d’énergie à masse égale. À cela s’ajoute une question de coût. Laurent Allidières recommande ainsi la mise en place d’une « approche globale pour optimiser le coût de l’hydrogène ». Aujourd’hui, le développement du stockage liquide est plus avancé, notamment aux États-Unis ou en Corée.
Le stockage souterrain pour répondre à nos besoins futurs
Face à la hausse à venir de la demande en stockage d’hydrogène, Pascal Baylocq estime que le stockage souterrain peut apporter une réponse pertinente à nos besoins futurs. En effet, cette technique présente trois avantages majeurs au niveau de l’économie, de l’environnement et de la sûreté :
- Économie : le stockage souterrain permet de stocker en grande quantité, jusqu’à 4 000 tonnes d’hydrogène par cavité, selon Pascal Baylocq. Cette technique ne demande pas de maintenance particulière, ce qui réduit les coûts.
- Environnement : l’empreinte au sol et l’impact visuel du stockage souterrain sont très réduits.
- Sûreté et sécurité : à partir de 50m de profondeur, les cavités sont peu sensibles à la sismicité. Il y a donc peu de risques que l’hydrogène s’échappe via l’apparition de fissures. De plus, la faible empreinte au sol des équipements limite la possibilité d’actes malveillants.
Il existe actuellement trois grandes techniques de stockage de l’hydrogène dans le sol, assez proche des techniques de stockage du gaz :
- Le stockage dans des cavités salines. Il s’agit de créer une cavité souterraine en introduisant de l’eau douce dans les sols. L’eau douce va permettre de dissoudre une partie de la roche et ainsi former une cavité, où il sera possible d’injecter de l’hydrogène. Il en existe 6 pour l’instant dans le monde.
- Le stockage en aquifères ou en gisements déplétés. Cela consiste à profiter de gisements épuisés de gaz naturels et de pétrole pour y injecter de l’hydrogène.
- Le stockage en cavités minées. Il s’agit de profiter de galeries minières déjà existantes ou de créer des galeries pour stocker de l’hydrogène.
D’après Pascal Baylocq, le stockage en cavité saline est la technique la plus prometteuse. En effet, elle « ne présente pas de verrou technologique ». Il existe déjà 1 900 cavités salines dans le monde dont 6 sont utilisées pour le stockage hydrogène, et 80 en France. C’est donc la solution la plus susceptible de passer à l’échelle supérieure. Selon les estimations mentionnées plus haut, pour stocker 5% de nos consommations en hydrogène à horizon 2030, il faudrait 20 à 40 cavités en France, 125 à 250 en Europe et 200 à 600 dans le monde.
La sécurité, enjeu au cœur du stockage et de la distribution de l’hydrogène
Laurent Allidières l’a rappelé, « on ne peut pas parler d’hydrogène sans parler de sécurité ». Cependant, d’après les intervenants, l’hydrogène n’est pas plus dangereux que les autres carburants conventionnels. Et si l’explosion du zeppelin Hindenburg en 1936 a durablement marqué les consciences, c’était l’un des derniers grands accidents liés à l’utilisation d’hydrogène.
Néanmoins, le caractère inflammable de l’hydrogène exige des standards de sécurité élevés, ce qui demande « beaucoup d’efforts dans beaucoup de domaines » admet Laurent Allidières. Il est nécessaire de mener un travail poussé sur la conception des équipements de stockage et de transport, mais également sur l’acceptation du risque auprès du public. La recherche a un rôle important à jouer dans ce domaine.
Aujourd’hui encore, les craintes liées à la sécurité pèsent dans la balance sur le choix d’une solution de stockage et de distribution plutôt qu’une autre, ce que déplore Laurent Allidières. Et ce, malgré la sûreté des infrastructures. Par exemple, un camion qui transporte de l’hydrogène liquide ne présente qu’un risque infime, même en cas d’accident de la route : l’hydrogène y est stocké à très basse pression, dans des enveloppes adaptées.
« C’est la quantité à stocker et à transporter, ainsi que la finalité de l’usage, qui doivent compter dans le choix d’une solution« , souligne Laurent Allidières, en écho aux propos de Fermin Cuevas.
La place de la recherche dans le développement de l’hydrogène
La recherche a un rôle éminent à jouer sur tous les enjeux évoqués précédemment : stockage, distribution, sécurité. L’hydrogène n’est pas un champ de recherche nouveau en France. Comme le rappelle Olivier Joubert, « il y a plus de 20 ans que le CNRS structure la recherche » sur l’hydrogène. La recherche travaille ainsi sur toute la chaine de valeur de l’hydrogène, de l’étude des sources potentielles d’hydrogène au recyclage et à la sécurité, en passant par la production, le stockage, le transport et la distribution, la conversion et les usages.
La Fédération de Recherche Hydrogène du CNRS, dont fait partie Olivier Joubert, regroupe plus de 280 chercheurs, issus de 29 laboratoires différents, à l’origine de 4 000 publications entre 2014 et 2019 et de 4 startups. Son objectif est d’accompagner la filière dans son développement et de l’aider à traiter ses enjeux actuels, à savoir améliorer la durabilité et la performance des équipements et réduire le coût de la technologie hydrogène. « Les challenges que nous avons définis au sein de la Fédération sont en lien direct avec les objectifs de la stratégie nationale », précise Olivier Joubert : produire de l’hydrogène décarboné, développer l’électrolyse bas coût, stocker les ENR intermittentes en H2 et développer une offre de mobilité lourde décarbonée.
La Fédération de Recherche Hydrogène travaille ainsi sur quatre axes principaux : la production, le stockage, la mobilité et le stationnaire. A cela s’ajoute deux axes transversaux : le développement de la formation et des plateformes technologiques. A travers ce travail, la recherche prend ainsi pleinement part au développement de la filière hydrogène en France.
Propos recueillis par Construction21 – La rédaction