[Replay & Compte-Rendu] Hydrogène : le vecteur énergétique d’une révolution de la route et du rail ?

« Mobilités terrestres : l’hydrogène, vecteur énergétique d'une révolution de la route et du rail ? » est la 4ème rencontre du cycle de conférence, organisé par Leonard, en partenariat avec la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale et la Fondation Energy Observer, dédié à l’hydrogène. Elle s'est tenue le 7 juillet 2021.

Grande source d’émissions et de pollution, la mobilité terrestre est un enjeu central de la transition écologique. L’hydrogène pourrait bien révolutionner ce secteur en proposant des solutions innovantes moins carbonées. Cette 4ème conférence du cycle Filière Hydrogène organisé par Leonard, Energy Observer Foundation et la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale, s’est penchée sur le sujet. Animé par Pierre Delaigue, Directeur de projets Mobilité Connectée, Autonome et Electrique, chez Leonard, le webinar a accueilli Élise Bon, Directrice de l’Environnement chez VINCI Autoroutes, Sylvain Hété, Toyota Paris 2024 Hydrogen Manager chez Toyota Motor Europe, et Stéphane Kaba, Smart & Green Mobility Director chez Alstom.

 

Contexte : vers une décarbonation de la mobilité

Aujourd’hui, notre société connait un « contexte d’urgence écologique, d’urgence environnementale », affirme Stéphane Kaba. La décarbonation de la mobilité apparait alors comme un levier central pour mener à bien cette transition urgente. En effet, comme le rappelle Elise Bon, le secteur des transports constitue 29% des émissions de gaz à effet de serre en France. Sur ces 29%, 94% concernent l’usage des routes et autoroutes.

 

Certes, le report modal vers d’autres modes de transports moins carbonés que la route pourrait permettre de diminuer les émissions de CO2 liées à la mobilité. Cependant, Elise Bon souligne que les besoins en mobilité, notamment routière, sont en augmentation. Il est donc important de développer des solutions alternatives tout en se saisissant de l’enjeu de la route. Les différentes stratégies et réglementations se sont d’ailleurs emparées du sujet. Ainsi, la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) prévoit une décarbonation totale du secteur de la route d’ici 2050. De plus, le contexte réglementaire spécifique à la mobilité se durcit : les constructeurs de véhicules attendent sous peu l’officialisation de la norme Euro, qui devrait renforcer les seuils d’émission et de pollution (émission de GES, émission de particules fines, etc.) pour la vente de véhicules diesel ou essence à partir de 2025.

 

Cette évolution réglementaire et les mesures du Green Deal Européen poussent les acteurs du secteur à s’engager vers la décarbonation de la mobilité routière. VINCI Autoroutes, en charge de la moitié des autoroutes concédées de France, a engagé un travail de réduction de ses émissions carbone. Aujourd’hui, sa plus grande source de GES provient de ses clients qui utilisent les routes (15 885ktCO2eq en 2019). Afin de réduire ces émissions, « nous envisageons l’évolution de notre infrastructure et des usages de cette infrastructure » affirme Elise Bon. Il s’agit de « mettre plus de personnes dans les véhicules », par exemple via la construction de parkings de covoiturage, d’ « encourager et influencer la pénétration de véhicules décarbonés sur notre réseau », dont les véhicules hydrogène, et de faire baisser le nombre de véhicules thermiques en circulation. En tant que constructeur, le groupe Toyota s’est engagé pour sa part à limiter son empreinte environnementale via 6 objectifs à horizon 2050, présentés par Sylvain Hété. Ceux-ci impliquent notamment de « tendre vers zéro émission de CO2 » pour les véhicules neufs, pour les sites de production et tout au long du cycle de vie des véhicules. Le groupe commercialise ainsi aujourd’hui des véhicules hydrogène à pile à combustible.

Le secteur ferroviaire est également un aspect central de la décarbonation des transports. Pour Stéphane Kaba, ce mode de transport constitue un levier important dans le verdissement de la mobilité. Il émet moins de carbone mais également moins de particules fines que d’autres modes. Cependant, le transport ferroviaire fait face à deux enjeux majeurs :

  • Le déclin de l’usage des rails au profit de solutions de mobilité plus polluantes. Par exemple, la part du fret ferroviaire n’est que de 9% en France aujourd’hui.
  • Le manque d’électrification des réseaux ferroviaires. En France, « 40% du réseau n’est pas électrifié » (un peu mieux que la moyenne européenne qui se situe à 50%). Par conséquent, de nombreuses locomotives sont encore alimentées au diesel, un carburant particulièrement polluant et de plus en plus taxé.

Tout l’enjeu aujourd’hui consiste donc à faire revivre les petites lignes et à trouver une alternative à la circulation diesel, notamment via l’hydrogène.

Les intervenants observent que la décarbonation de la mobilité est bien en cours.  « Nous vivons une révolution majeure, chez les constructeurs, que ce soit dans la mobilité lourde ou légère », constate Sylvain Hété, « il y a une accélération de l’évolution des produits ». Cependant, note Elise Bon, l’hydrogène manque encore de maturité. De plus, le parc routier connait une certaine inertie dans son renouvellement : si les véhicules neufs basculent rapidement vers des solutions alternatives, ce n’est pas le cas du parc existant.

 

Quelle technologie pour quel moyen de transport ?

 

Les technologies décarbonées à utiliser vont dépendre du type de transport concerné (train, véhicule léger, poids lourd, etc.). Tous les intervenants s’accordent sur l’importance de miser sur la complémentarité des solutions, afin d’avoir la bonne technologie pour le bon transport.

 

Mobilité routière

 

Dans cette logique de complémentarité, Toyota développe actuellement quatre types de véhicules, informe Sylvain Hété : hybride, hybride rechargeable, à hydrogène et électrique à batterie. Pour Elise Bon, c’est surtout cette dernière solution qui va se développer pour les véhicules légers : « nous visons la prédominance des véhicules électriques à batterie » pour les véhicules légers, car les technologies  BEV (Battery Electric Vehicle) et PHEV (Plug-in Hybrid Electric Vehicle) sont actuellement les plus matures pour ce segment. Ainsi, d’après les prévisions de la SNBC, 16% du parc des véhicules légers sera électrique en 2030 et 94% en 2050. Selon ces mêmes prévisions, « la répartition des modes d’alimentation [des poids lourds] sera plus équitablement répartie » à horizon 2050 entre le bioGNV, l’électricité et l’hydrogène. Des véhicules thermiques alimentés au biodiesel seront toujours présents, mais minoritaires. « L’hydrogène, c’est une solution que nous voudrions encourager pour les poids lourds », précise Elise Bon.

 

Mobilité ferroviaire

 

Tout comme VINCI et Toyota, Alstom mise sur la complémentarité des technologies, explique Stéphane Kaba. L’électrification des lignes coûtant relativement cher, le groupe développe actuellement des solutions permettant à des locomotives électriques de circuler sur des lignes non-électrifiées. L’hydrogène pourrait apporter une réponse à cet enjeu. Ainsi, Alstom travaille sur des locomotives dites 100% hydrogène qui combinent batterie électrique et hydrogène. Cependant, précise Stéphane Kaba, la combinaison entre batterie et pile à combustible ne fait sens que pour les trajets nécessitant plus de 80km d’autonomie. En dessous, la batterie seule suffira. L’objectif à présent est d’adapter les trains déjà existants. Stéphane Kaba donne ainsi l’exemple d’un projet mené par Alstom en Allemagne, où le groupe remplace les motorisations diesel des trains par un moteur électrique, une pile à combustible, un dispositif de stockage d’hydrogène et une batterie. En plus de ces trains, Alstom développe également des trains dual mode caténaire – hydrogène capable d’utiliser des pantographes sur les sections électrifiées et la combinaison batterie/hydrogène sur les sections non électrifiées.

 

Les leviers pour développer l’hydrogène

 

L’hydrogène est « une solution extrêmement prometteuse mais pas encore mature », rappelle Elise Bon. Cette technologie génère de nombreux surcoûts et la filière est encore en quête d’un modèle économique viable. « Nous avons besoin d’un passage à l’échelle pour la production décarbonée de l’hydrogène ». La massification est incontournable : « la réduction de coût va venir de la massification, dont la massification des usages », affirme Sylvain Hété. Elise Bon acquiesce : « pour que l’hydrogène soit compétitif, il faut que ce soit industrialisé ». Toyota vise ainsi une augmentation du nombre de piles à combustible utilisées via la diversification de ses usages parmi plusieurs catégories de véhicules.

 

Selon les trois intervenants, le soutien de la puissance publique est fondamental pour structurer l’écosystème de l’hydrogène. « Une des opportunités pour massifier, c’est de faire des partenariats » explique Elise Bon. Or, « le rôle des pouvoirs publics c’est aussi de coordonner ces partenariats ». Elle donne ainsi l’exemple du projet de station hydrogène monté par VINCI Autoroutes sur le site de Toulouse Croix-Daurade, qui présente « une bonne synergie avec les acteurs locaux » et permet de « progresser sur notre connaissance de l’hydrogène ». L’électrolyseur sur place pourrait fournir 420kg d’hydrogène vert par jour à terme. Alstom, de son côté, a lancé des partenariats avec de nombreux pays européens (dont la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Italie) pour développer des trains 100% hydrogène ou des trains dual mode. En France, par exemple, la région Grand Est a signé l’acquisition de TER dual mode caténaire-hydrogène, dans le cadre du projet Regiolis H2. Ces trains devraient pouvoir accueillir des voyageurs fin 2025. Toyota n’est pas en reste : le groupe a développé trois partenariats en France avec Energy Observer Developments (EODev) (qui a permis d’éclairer la tour Eiffel en vert grâce à une pile à combustible Toyota), avec la RATP, mais également avec une société privée de taxis, afin d’ouvrir des stations hydrogène à Paris. En plus de ces partenariats, Toyota développe actuellement des véhicules à hydrogène pour Paris 2024.

 

Enfin, Stéphane Kaba insiste sur l’importance d’avoir une vision systémique dans le développement de l’hydrogène, en prenant l’exemple du train : « l’hydrogène dans le verdissement du train n’est pas un élément isolé ». « Nous souhaitons nous inscrire dans une chaine de valeur de l’hydrogène du puits à la roue », c’est-à-dire depuis l’extraction des matières premières pour  produire l’hydrogène vert, jusqu’aux usages de l’hydrogène (transports routier, ferroviaire, aérien et également maritime).

Propos recueillis par Construction21 – La rédaction

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