Sols et sous-sols : un trésor caché sous nos pieds

Cette année, le festival Building Beyond explorait le thème du visible et de l’invisible. Parmi les “infrastructures” de la ville souvent soustraites au regard, la plus essentielle de toutes n’a le plus souvent pas été construite par l’homme : c’est celle des sols. Un socle aux fonctions multiples que les villes et les territoires redécouvrent et tentent de protéger entre objectif "zéro artificialisation nette", accueil de nouvelles infrastructures et nouveaux imaginaires.

La redécouverte d’une richesse inestimable

La loi Climat et Résilience associe quatre grandes fonctions aux sols : une fonction biologique liée à la préservation de la biodiversité, une fonction hydrique qui participe à la régulation des cycles de l’eau, une fonction climatique à travers une forte capacité de fixation du carbone, et un potentiel agronomique liée à la fonction “nourricière” des sols. Pour expliciter ces quatre fonctions et les mettre en valeur, La Fabrique de la Cité a proposé au public, pendant Building Beyond, de découvrir et s’approprier la toute première Fresque de l’artificialisation des sols, sur le modèle de la fresque du climat, en présence du micro-biologiste Marc-André Selosse. Une manière de prendre collectivement conscience de l’importance de la préservation des sols en manipulant des cartes liées aux processus, aux enjeux et au concepts qui font le sujet. Un exercice éclairant lorsque l’on sait que les sols sont le deuxième puits de carbone à l’échelle du monde après les océans et stockent trois à quatre fois plus de carbone que l’atmosphère.

 

Fresque de l’artificialisation organisée par la Fabrique de la Cité pendant Building Beyond 2022

 

Les enjeux de l’artificialisation

Parmi les urgences majeures liées aux sols, l’artificialisation est sans doute la plus discutée. En France, entre 20 000 et 30 000 hectares sont artificialisés chaque année, alors que la loi Climat et Résilience prévoit un objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) à l’horizon 2050. Ici encore, la Fresque permet de recomposer les liens de causes à effets. Les cartes “urbanisation” et “étalement urbain” conduisent rapidement aux sujets de « l’imperméabilisation » et du “décapage”, pratique courante qui consiste à retirer les couches supérieures du sol et provoque un important déstockage de CO2. En 2019, ce mode d’artificialisation représentait 2,7% des émissions annuelles en France ! Plus loin dans la chaîne de conséquences, on retrouve des effets aussi variés et dévastateurs que les “îlots de chaleur urbains” ou la “perte de biodiversité”. Pour lutter contre cette menace, la politique publique met en place des dispositifs volontaristes. Le Guide pratique pour limiter l’artificialisation des sols, édité par le gouvernement, permet ainsi de comprendre l’ampleur du défi autour de trois grands axes : observer, concerter, planifier (qui intègre tous les éléments de communication et de précision des concepts, autour notamment de la création d’un observatoire national de l’artificialisation des sols), maîtriser l’étalement urbain (en pensant une vraie sobriété foncière et en protégeant les terres agricoles ou la nature remarquable) et enfin recomposer la ville (par exemple en densifiant certaines zones, en réhabilitant les friches industrielles ou en favorisant les logiques de renaturation).

Quelle géographie pour l’industrie ?

Dans plusieurs régions françaises, plus de 50% de l’artificialisation des sols est due au logement. Un déséquilibre qui a tendance à faire oublier l’emprise de l’industrie et des infrastructures énergétiques. La conférence intitulée “Les nouvelles géographies de la réindustrialisation” revenait (entre autres sujets) sur l’importance des sols industriels et de leur « traitement ». Anaïs Voy-Gillis, géographe, invitait à aller »au-delà de l’obsession carbone pour se concentrer sur l’ensemble des limites planétaires”, dont fait partie le “changement d’utilisation des sols”. Et à ce petit jeu, l’industrie fait parfois figure d’oubliée. “C’est un sujet d’urbanisation, et on n’a pas prévu beaucoup de zones pour l’industrie dans les politiques locales d’urbanisme qui s’appliquent actuellement”, expliquait François Bouché, président-irecteur général de Valgo, spécialiste de la dépollution les sols. Dans un contexte de réindustrialisation, Isabelle Patrier, directrice France de TotalEnergies, souligne également les difficultés de reconversion des activités industrielles, en particulier concernant la durée des procédures. “Aujourd’hui en France, le foncier n’est pas préparé. Les procédures de concertation ou les études environnementales sont essentielles, mais il faut trouver des manières de les raccourcir ou de les superposer afin de gagner un temps précieux.”

 

 

La production énergétique pour valoriser les sols artificialisés

Du côté de l’énergie, les besoins en foncier sont également importants, en particulier pour l’éolien ou le solaire. Une gourmandise peu favorable aux objectifs de ZAN, discutée lors de la conférence “Des éoliennes à perte de vue ? Les paysages de la transition énergétique” “Nous avons des politiques publiques concurrentes, en matière de développement de logements ou de renaturation du territoire qui viennent se percuter avec l’objectif de développement des énergies renouvelables”, introduit Blandine Melay, responsable du service énergie climat à la Métropole de Lyon. La solution ? Une occupation opportuniste des sols déjà anthropisés et peu valorisés. “Nous avons deux priorités à Lyon : les toits et des fonciers au sol mais en privilégiant les sols dégradés, imperméabilisés ou anthropisés”, poursuit Blandine Melay. Même son de cloche du côté de VINCI Autoroutes, qui adopte une approche interstitielle afin de transformer les infrastructures de mobilité en outils de production énergétique. “Nous installons du photovoltaïque dans l’espace perdu au cœur des boucles d’échangeurs, déjà artificialisé. Mais également sur les parkings de nos aires de service, grâce à des ombrières photovoltaïques », explique Raphaël Ventre, Directeur Marketing et Services de VINCI Autoroutes.

 

 

Sols, sous-sols et réseaux : de nouvelles cohabitations

Toujours dans une logique de cohabitation entre infrastructures et qualité des sols, la question des réseaux urbains est incontournable. La conférence “Quelle place pour les réseaux urbains dans la ville résiliente ?” explorait la question de la saturation des sous-sols, frein potentiel au retour de la nature en ville et aux fonctions de “résilience” des sols. Le renouvellement des réseaux et le déploiement de nouveaux systèmes (en particulier de production de chaud et de froid) participent à une “embolisation de l’accès au sous-sol » selon les termes de Monique Labbé, architecte et directrice générale de Ville 10D – Ville d’idées. Pour éviter le chaos souterrain, deux pratiques en particulier sont mises en avant par les intervenants. La première consiste à faciliter une meilleure connaissance des réseaux. C’est par exemple ce que proposent les startups AVUS, avec une solution de mapping des sous-sols en réalité augmentée, ou Hovering Solutions, avec un système de modélisation 3D des sous-sols au drône… La seconde consiste à codifier et planifier l’utilisation des sous-sols, afin de faciliter des approches moins anarchiques. A ce titre, le schéma directeur des sous-sols de la ville d’Helsinki est particulièrement intéressant car “il repère les endroits qui ne doivent pas être touchés, et ceux où il peut y avoir des réseaux de manière très précise. Il oblige à une gouvernance qui ne soit pas monofonctionnelle”, selon Monique Labbé.

 

 

Cartographie : vers de nouveaux imaginaires du sol ?

Pour mener à bien cette mission de connaissance des sols, la cartographie est un outil privilégié. Elle permet également de transformer le regard, voire même de provoquer une “désorientation salutaire”, comme l’expliquait Axelle Grégoire, architecte DE HMONP, co-auteur de l’ouvrage Terra Forma et intervenante lors de la conférence “Donner à voir : la carte comme révélateur du territoire”, avant d’ajouter que “la carte difficile à lire oblige à un repositionnement”. Ici, les représentations permettent d’exprimer des partis-pris sur le monde, au-delà de l’objectivité fantasmée des données. “Si l’on veut mieux comprendre certains phénomènes, comme l’érosion des sols ou l’accélération des espaces temps urbains, c’est peut-être en travaillant sur les questions de représentation que l’on peut les apprivoiser”, précise Axelle Grégoire.

 

Extrait de Terra Forma : manuel de cartographies potentielles (éditions B42)

 

En image

Cette visualisation proposée par l’IGN s’inscrit dans le projet OCS GE et vise à proposer une référence nationale de l’occupation des sols. Grâce au Deep Learning, à des modèles d’IA, à des cartes de prédiction, mais également à des données ouvertes et à la participation des communautés, elle a pour ambition de donner une image précise de l’artificialisation des sols dans le cadre de la Loi Climat et Résilience. “L’enjeu est énorme parce que l’on va avoir des débats très durs au niveau local avec des choix cornéliens entre le logement, le commerce, etc… Il y a un besoin intime que le référentiel de données soit co-construit”, précise Sébastien Soriano, directeur général de l’IGN.

© IGN

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