Sous terre ou dans les airs, faut-il choisir où construire ?

Pour la deuxième édition du festival Building Beyond, Leonard, La Fabrique de la Cité et la Fondation VINCI pour la Cité ont réuni pendant deux semaines 70 faiseurs de villes, chercheurs, architectes, ingénieurs et artistes pour questionner les échelles des villes et penser ainsi l’avenir des territoires et des infrastructures.

« Et si, pour une raison quelconque (climatique, sociale, conflictuelle) nous devions choisir entre développer nos villes dans les airs ou sous terre ? » C’est la question qui fut abordée le vendredi 26 juin à l’occasion d’un débat opposant deux visions de la ville : d’un côté, une ville en hauteur, qui ne cesse de s’élever et créer des skylines épurées ; de l’autre, une ville souterraine, qui s’étend sous la surface du sol.

Le débat a mis aux prises, durant deux face-à-face successifs, les tenants de la hauteur, représentés par Didier Mignery, fondateur de Upfactor et Patrick Supiot, DG de VINCI Immobilier ; et les défenseurs du souterrain, Achille Bourdon, co-fondateur de l’atelier d’architecture Syvil (à l’origine du projet « Immeuble inversé ») et Bruno Barocca, maître de conférences à l’Université Paris-Est Marne La Vallée. Marion Girodo, architecte à l’Agence Seura et autrice de l’ouvrage Mangroves urbaines a conclu les débats.

Tout au long des échanges, à intervalles réguliers, le public était appelé à donner sa position sur la question. Le premier vote, avant toute intervention, donnait la tendance : 40% des participants préféraient la ville souterraine, 30% la ville en hauteur et 30% ne se prononçaient pas.

 

L’écologie comme dimension centrale de la ville souterraine

C’est d’abord sur les enjeux écologiques que se sont portées les discussions. Pour Didier Mignery, la surélévation des immeubles dans les grandes villes (à Paris intra-muros, plus de 10 000 toits sont « sur-élevables ») s’inscrit dans une logique de rénovation et de réhabilitation : elle permet en effet aux propriétaires de financer la rénovation thermique de leur bâtiment, mais aussi de mettre en place de nouveaux éléments plus écologiques, tel que des jardins sur les toits.

Si « les souterrains n’ont, comme l’a rappelé Achille Bourdon, pas vocation à servir d’habitations », ils peuvent toutefois s’inscrire autrement au service de l’écologie : « le sous-sol est un réservoir d’opportunités pour repositionner les infrastructures qui nécessitent des emprises importantes et pour relocaliser la production ». Ainsi, le sous-sol de la place de la Concorde accueille un centre de tri de colis et on peut trouver une usine de production de froid sous la Philharmonie de Paris. C’est donc dans la perspective d’une ville productive que pourrait s’inscrire la valorisation des souterrains, pour en faire par exemple des espaces de stockage. En termes écologiques, cela participerait à une relocalisation de certaines productions – diminuant d’autant les pollutions liées aux transports – et limiterait la construction d’entrepôts aux abords des villes, qui détruisent les terres arables et artificialisent les sols.

La grande hauteur, entre densification et démonstration de puissance

L’explosion de la densité démographique est perçue comme l’une des craintes majeures liées à l’accélération de la construction en ville, particulièrement pour la grande hauteur. Pour y faire face, les intervenants ont appelé le public à bien distinguer la densité « réelle » et la densité « ressentie ». Cette dernière est davantage liée à la qualité des réseaux de transports et des services de la ville qu’au nombre d’habitants : une ville dense mais parfaitement desservie par un réseau de transport efficace ne sera pas perçue comme telle. Patrick Supiot a, lui, insisté sur « la nécessité d’une ville multi-fonctionnelle ». Dans le quartier de la Défense, par exemple, les fonctions résidentielles et tertiaires (les habitations et les bureaux) sont mêlées, ce qui permet de réduire les problèmes de densité en utilisant ces espaces à toute heure de la journée.

C’est que la ville en hauteur et la ville en sous-sol peuvent prendre plusieurs formes : à rebours de La Défense, où la construction se met au service d’une conception intégrée de l’espace urbain, les tours de certaines villes verticales des Emirats Arabes Unis (comme le Burj Khalifa à Dubaï) servent souvent à des démonstrations de puissance décorrélées de l’objectif d’une ville harmonieuse et vertueuse écologiquement. De la même manière, Bruno Barroca a déploré « le manque de planification lié aux souterrains en France, qui participe d’une vision univoque d’un espace considéré comme hostile et pauvre en diversité, condamné à servir au mieux de couloir de transit ».

 

Les mangroves, vecteur de réconciliation ?

Comme pressenti, les deux positions sont en réalité complémentaires, dans la mesure où, bien que les usages se complexifient, les souterrains et la hauteur ne remplissent pas les mêmes fonctions. Les deux espaces se mêlent en permanence dans ce que Marion Girodo appelle des « mangroves urbaines », concept tiré de son étude de Montréal, Paris et Singapour. Ces systèmes urbains se composent à la fois d’éléments souterrains, aériens et d’interfaces diverses, tel que l’espace qui relie le métro et les grands magasins entre l’Opéra Garnier, la gare Saint-Lazare et la station Auber à Paris. Ces mangroves, dont le modèle s’observe dans les grandes métropoles mondiales, proposent une nouvelle manière de comprendre les oppositions et les intimités entre le sous-sol et les sommets. Le léger rééquilibrage des votes du public (52% pour le souterrain, 43% pour la hauteur, 5% NSP) en a d’ailleurs témoigné.

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