Vous avez dit Blue Economy ?
Avant toute chose, il faut distinguer deux significations de la “blue economy”, qui couvrent deux courants bien distincts :
La première école est celle de l’entrepreneur belge Gunther Pauli, initiateur de la Fondation ZERI (Zero Emissions Research and Initiatives). Ici le « bleu » s’oppose aux économies dites « rouge » ou « verte ». L’économie rouge s’est construite sur la perception que les ressources naturelles sont infinies et inépuisables. L’économie « verte » évoque une consommation plus responsable avec des produits qui visent à un meilleur respect de l’environnement. L’économie « bleue » s’inscrit dans le prolongement de l’économie verte en s’inspirant de la nature et de la systémique. Elle pousse l’économie circulaire à son maximum : chaque déchet d’une activité est pensé comme ressource au service d’une autre activité.
La seconde acception englobe quant à elle, selon la Commission européenne : « toutes les industries et tous les secteurs liés aux océans, aux mers et aux côtes, qu’ils relèvent du milieu marin (comme le transport maritime, la pêche et la production d’énergie) ou du milieu terrestre (comme les ports, les chantiers navals, l’aquaculture terrestre et la production d’algues ainsi que le tourisme littoral) ». Par extension, et pour se différencier des activités maritimes traditionnelles non « durables », le concept de sustainable blue economy (économie bleue durable) a commencé à être employé pour regrouper toutes les opportunités durables qu’offrent les milieux marins. C’est cette ambition qui se retrouve dans la définition proposée en 2017 par l’UNESCO : « Le concept d’économie bleue cherche à promouvoir la croissance économique, l’inclusion sociale et la préservation ou l’amélioration des moyens de subsistance tout en garantissant la durabilité environnementale des océans et des zones côtières. »
Des activités traditionnelles et des activités émergentes
The EU Blue Economy Report 2021 distingue deux typologies d’activités d’économies bleues : les activités traditionnelles et les activités émergentes.
Parmi les activités dites « traditionnelles », on retrouve plusieurs grandes catégories :
- Les activités liées aux ressources marines vivantes qui comprennent : la pêche, l’aquaculture, la distribution des produits de la mer
- Celles liées aux ressources marines non-vivantes : énergies fossiles et minéraux
- Les activités de production d’énergies marines renouvelables : off-shore énergies, production et transmission
- Les activités portuaires : fret, stockage, projets portuaires
- La construction et les réparations navales : navires, équipements, machines, structures flottantes
- Le transport maritime : transport de passagers, transport de fret
- le tourisme côtier : activités et infrastructures touristiques
Les activités dites « émergentes » concernent notamment : les énergies océaniques, les biotechnologies utilisées par exemple dans la recherche contre les maladies génétiques , les technologies de dessalement ou le développement de la robotique pour les travaux maritimes ou la pose de câbles sous-marins, secteur dans lequel Google investit de plus en plus.
Une opportunité pour l’atteinte des objectifs de réduction carbone : les ports maritimes « zéro émission » et les énergies marines
L’UE aspire à réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55% d’ici 2030 (par rapport aux niveaux de 1990) et ambitionne de devenir neutre en carbone d’ici 2050. L’économie bleue peut contribuer à cet objectif en favorisant la décarbonation de nos industries et infrastructures. A commencer par la modernisation des ports. Dans le cadre du plan « France Relance 2030 », 650 millions d’euros sont mobilisables pour le secteur maritime et près de 200 millions le sont pour les projets de « verdissement des ports », dont l’objectif est d’offrir aux navires un accès aux énergies non carbonées et d’éviter les émissions polluantes. Parmi les mesures encouragées : l’installation de bornes électriques à quai, la production d’hydrogène et la propulsion éolienne. L’objectif étant de tendre vers le concept de « port zéro émission », l’une des initiatives phares portées par l’Union européenne à travers la stratégie de mobilité durable et intelligente Sustainable and Smart Mobility Strategy (SSMS).
En outre, des réseaux tel que The Atlantic Smart Ports Blue Acceleration Network (AspBAN) défendent une nouvelle vision des ports qui se transforment en hubs multimodaux, énergétiques, d’économie circulaire, de communication (pour les câbles sous-marins).
800 milliards d’euros nécessaires d’ici 2050 pour atteindre 300 GW d’énergies renouvelables offshore dans l’UE en 2050
Pour accélérer le développement des énergies marines renouvelables, la Commission Européenne vise à multiplier par 30 la capacité des énergies renouvelables offshore (300GW) d’ici 2050 et estime qu’un investissement de près de 800 milliards d’euros sera nécessaire d’ici à 2050 pour atteindre cet objectif. C’est dans ce contexte qu’en 2019 VINCI Energies a fait l’acquisition de EWE Offshore Service & Solutions GmbH (EWE OSS), spécialiste des parcs éoliens offshore et leader du marché en Mer du Nord.
En outre, la technologie pour l’éolien offshore flottant dans les eaux profondes et les environnements difficiles progresse régulièrement. Pour mémoire, près de 80 % des vents en Europe soufflent dans des eaux d’au moins 60 mètres de profondeur, où il est trop coûteux de fixer des structures au fond de l’océan.
Depuis 2003, la Banque Européenne d’Investissement (BEI) a ainsi financé 33 projets éoliens et de transmission offshore en Belgique, au Danemark, en Allemagne, en France, aux Pays-Bas et au Portugal pour un montant total de prêts signés de plus de 7,5 milliards d’euros. La BEI s’est également engagée à financer l’éolien offshore flottant et est prête à soutenir la démonstration commerciale de technologies houlomotrices et marémotrices innovantes. Ces énergies peuvent par ailleurs soutenir la production d’hydrogène issu d’énergies renouvelables, dit « hydrogène vert », susceptible d’être une solution pour aider à décarboner l’industrie lourde et les transports.
L’adaptation à l’élévation du niveau de la mer : autre pilier de la blue sustainable economy
D’ici 2050, plus d’un milliard de personnes vivront sur les côtes, dans des zones basses qui pourraient être inondées si les estimations les plus hautes des modèles d’élévation du niveau de la mer se réalisent. Au niveau mondial, le coût des dégâts potentiel pourrait être de l’ordre de 14 000 milliards de dollars par an d’ici 2100.
Il existe plusieurs typologies de solutions pour protéger les zones côtières : des solutions dîtes « dures » comme les digues et les brise-lames et d’autres alternatives à moindre impact dites « douces » comme le remblayage des plages. Il existe également des solutions hybrides comme les récifs artificiels ou dunes construites. L’initiative Sea’ties, menée par la Plateforme Océan & Climat, a répertorié sur une carte interactive les solutions mises en œuvre partout dans le monde pour renforcer la résilience des territoires côtiers aux risques liés à l’élévation du niveau de la mer.
La concrétisation et le succès de ces initiatives résident dans une analyse et une compréhension précise du territoire et de ses caractéristiques en amont. Cependant l’évaluation des coûts de construction, de la maintenance associée et de la durée de vie des ouvrages reste un exercice périlleux. Resallience, un bureau d’étude sur la résilience des territoires développe des outils de diagnostic sur ces enjeux afin d’aider les collectivités à mieux cerner leurs enjeux et potentielles solutions associées.
Il existe également des solutions de suivi de l’évolution de ces infrastructures dans le temps. Les technologies actuelles de monitoring permettent d’anticiper ces variations, comme celles déployées par Carapace, solution issue du programme d’intrapreneuriat de Leonard qui consiste à suivre et à analyser les mouvements de digues.
La bonne nouvelle ? Des gouvernements qui s’engagent, une finance qui (commence) à tirer vers le bleu, et des structures qui se créent pour soutenir l’innovation à travers le monde
L’économie bleu durable, fait partie intégrante de la stratégie européenne de réduction des émissions carbones, avec des promesses de soutiens financiers, notamment à travers les appels à projets Horizon H2020 : « pour la prochaine phase du programme (2021 – 2027) au moins 35% seront consacrés à des actions liées au climat et au soutien de la transition des industries maritimes vers la neutralité climatique ».
En juin 2021, le président Emmanuel Macron s’est formellement engagé avec le premier ministre Solberg, co-présidente du High Level Panel for a Sustainable Ocean Economy (Ocean Panel), à participer à la gestion durable de 100 % de la zone océanique sous juridiction nationale d’ici 2025 et à soutenir l’objectif mondial de protection de 30 % de l’océan d’ici 2030. Cette rencontre a été suivie de l’annonce par le Président français du plan d’investissement France Relance 2030. Parmi les 10 objectifs présentés : l’exploration des fond marins pour une meilleure compréhension du vivant.
Concernant le secteur financier, le groupe DWS, société de gestion d’actifs allemande (859 milliards d’euros d’actifs sous gestion au 30 juin 2021), a élargi sa gamme de produits thématiques ESG avec un nouveau fonds d’actions à vocation mondiale : le DWS Concept ESG Blue Economy. L’objectif de ce fonds, géré par Paul Buchwitz, est de soutenir « l’économie bleue » et avoir un impact positif sur les actions durables des entreprises.
Enfin, pour accompagner cette transition, on voit apparaître un nouveau moyen innovant de financer des solutions liées aux océans et à l’eau : les « blue bond ». Il y a 10 ans le marché a vu apparaître les maintenant célèbres « green bond » qui ont connu une croissance importante avec plus de 1000 milliards de dollars d’émissions au total, selon Climate Bond Initiative. On peut imaginer que les « blue bond » se trouvent au même niveau que celui où se situaient les « green bond » il y a 10 ans et pourraient connaître une croissance toute aussi rapide.
Et du côté des entrepreneurs ?
Ces dernières années, plusieurs structures ont vu le jour pour supporter l’innovation entrepreneuriale de l’OceanTech dans le monde et en Europe. Nous pouvons mentionner quelques exemples : la plateforme de crowdfunding ekosea, qui permet d’investir dans des projets early-stage, des Business Angels et accélérateurs comme SOA (Sustainable Ocean Alliance), une ONG californienne fondée par Daniela Fernandez, qui a développé deux programmes d’accélération ainsi qu’un incubateur lancé en 2018. On y retrouve des start-ups comme ARC marine qui développe des solutions d’impression 3D de coraux artificiels en béton éco-responsables, ou encore des venture-capitalistes comme Blue Ocean Partner fondé en 2018 à Paris dont l’objectif est d’accompagner les nouvelles pépites bleues à se développer sur le marché.
L’économie bleue, un nouveau champ d’exploration prospective pour Leonard
L’économie bleue a largement gagné en influence sur la scène internationale et s’inscrit dans la gouvernance environnementale mondiale. Au-delà de l’exploration de nouveaux modèles de financement ou de la mise en place de nouvelles technologies, l’économie bleue durable repose sur la conviction qu’il faut réussir à transformer nos sociétés et redéfinir notre rapport à la planète. C’est une nouvelle dynamique de prospective à laquelle nous vous invitons.
Par Ludivine Serrière, Innovation Program Manager à Leonard
Sources :
https://www.novethic.fr/lexique/detail/blue-economy.html
https://ioc.unesco.org/topics/blue-economy
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52021DC0240&from=EN
https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/QANDA_21_2346
https://www.lepoint.fr/argent/les-promesses-de-l-economie-bleue-18-02-2021-2414560_29.php