Soutenir financièrement la transition énergétique relève d’un impérieux devoir d’intérêt général. Mais plus prosaïquement, il en va aussi d’une forme de bon sens économique. «Le coût de l’inaction sera toujours plus lourd que celui des efforts consentis. Investir aujourd’hui, c’est alléger l’addition que nous aurons à payer demain», a rappelé Michel Dervedet, Président de Confrontations Europe, en ouverture des échanges.
Se référant à une étude de Bloomberg, cet ancien secrétaire général d’ENEDIS a chiffré le coût de la transition énergétique à 5 300 milliards d’euros, dont 3 800 milliards pour les énergies renouvelables et 1 500 milliards pour l’hydrogène. Bref, non seulement l’heure n’est plus à la procrastination, mais il faut raisonner grand, penser loin et dépenser en conséquence.
Dépasser la logique du ruissellement financier
Ce passage à l’échelle appelle nécessairement des solutions collectives, en l’occurrence communautaires. Aux États membres de l’Union de dépasser leurs égoïsmes nationaux pour bâtir des outils communs adaptés. «Les modèles de demain ne passeront pas nécessairement par le ruissellement des financements. Les différents instruments financiers européens, même substantiellement dotés comme le Fonds de Transition Juste et ses 17,5 milliards d’euros, ne doivent pas nous empêcher de créer des programmes innovants, structurés à long terme et notamment fléchés vers les infrastructures», a insisté Michel Derdevet.
Bonne nouvelle : De l’argent, qu’il soit public ou privé, il y en a, se sont accordés les participants à la table ronde. En revanche, la criticité des enjeux réclame sans conteste des arbitrages plus réfléchis quant à la nature, aux volumes, et à l’articulation des fléchages. «Les collectivités injectent chaque année 6 milliards d’euros dans la transition énergétique. Nos études montrent que cet effort devrait être doublé», a précisé Benoit Leguet, Directeur général de I4CE, association d’analyse des politiques publiques de lutte contre le dérèglement climatique, selon lequel les décideurs politiques «n’ont pas compris la magnitude des actions à engager».
Financement sur-mesure
Défendant la cause des financeurs institutionnels, Emmanuel Legrand, a tenu à rappeler l’ampleur considérable des enjeux et la dimension ultra-protéiforme des instruments associés. «L’essentiel des financements de la banque des Territoires est aujourd’hui orienté vers la transition énergétique. Les sommes en jeu sont importantes : entre 400 et 500 millions d’euros par an. Mais chaque projet est spécifique. La récupération de chaleur, par exemple, recouvre des actions très atomisées et très diffuses. Nous sommes donc à chaque fois contraints de faire du sur-mesure.»
Alice Hennion a pour sa part noté que le financement de la transition énergétique mobilise deux temporalités, non exclusive l’une de l’autre, mais qu’il s’agit au contraire d’articuler à bon escient. VINCI Concessions est parvenu en l’espace de quatre ans à réduire de 43% de ses émissions en jouant sur les leviers qui se trouvaient immédiatement à disposition. «Mais les étapes suivantes renvoient à des technologies de rupture qui, elles, réclament dès aujourd’hui un engagement soutenu de la puissance publique. Quand on investit sur 30 ans, les résultats ne sont visibles qu’en fin de cycle, sur les cinq dernières années. C’est pourquoi nous avons besoin d’une certaine stabilité réglementaire, qui garantisse la mémoire et l’efficacité des risques engagés», a-t-elle expliqué.
Pour Jérémie Lagarrigue, Directeur général d’EoDev, entreprise qui vise à développer et industrialiser des solutions utilisant l’hydrogène, les investisseurs doivent également ouvrir le périmètre de leur vision à la valeur résiduelle des innovations. «Nous sommes leader mondial dans la production de générateurs hydrogènes. Nous avons conçu un produit dont la durée de vie est deux à trois fois supérieure aux autres solutions du marché, et dont le prix d’achat est de ce fait plus élevé. Or, aujourd’hui, la valeur résiduelle n’est pas un critère pris en compte dans les schémas du capital risque.»
Quelques signaux de bon augure
Les besoins d’investissements de la transition énergétique appellent d’évidence une réflexion partagée de l’ensemble des acteurs en jeu. Comme l’a souligné Alice Hennion, «Il y a de l’argent, Il y aussi a plein de volonté et plein d’idées. Il faut y aller». Benoit Leguet a souhaité abonder dans une coloration optimiste en mentionnant quelques signaux de bon augure : création d’un pôle Zéro carbone au sein de la Direction générale du Trésor, mission Pisani-Ferry d’évaluation des impacts macroéconomiques de la transition écologique, annonces en amont de la loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC) dont la discussion est prévue pour juillet 2023… Pas de procrastination donc. De la réflexion et de l’action.
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