Une dépendance au ski
En 1787, Horace Bénédict de Saussure atteint le sommet du Mont-Blanc pour la première fois. Cette date symbolique marque également le début du tourisme alpin (et de montagne en général). Depuis, la vie économique des territoires de montagne n’a cessé d’augmenter sa dépendance à la manne touristique, et en particulier au ski. Le rapport de la commission des affaires économiques sur le tourisme de montagne et les enjeux du changement climatique note que le ski représente 82% (!) du chiffre d’affaires total de la montagne. A l’échelle globale, le ski est pratiqué dans plus de 2000 stations et 72 pays (source : The Good Life), par plus de 120 millions de personnes. Et si les marchés européens et d’Amérique du Nord semblent matures, le développement de la discipline en Chine laisse imaginer un fort développement à venir, avec 120 millions de pratiquants potentiels.
Préparer l’après-neige ?
”L’or blanc” – peu remis en question jusque recemment – doit aujourd’hui faire face à toute une série de menaces d’ordre environnemental. La principale concerne le réchauffement climatique, qui a entraîné une baisse radicale des hauteurs de neige. Une étude publiée dans The Cryosphère par une équipe de chercheurs européens montre que nous avons perdu entre 14 et 20 cm de hauteur de neige dans les Alpes en moyenne altitude entre 1970 et 2019. La neige artificielle représente, à elle seule, 20% des capacités d’investissement des domaines skiables et fait aujourd’hui office de nouvelle dépendance. A cela s’ajoutent les risques de stress hydrique, d’effondrement ou de perte de la biodiversité. À la Clusaz, l’installation d’une ZAD (“zone à défendre”) par des militants, à l’emplacement d’une future retenue d’eau destinée à l’enneigement artificiel, incarne une opposition renouvelée aux projets d’artificialisation.
Vers une diversification “Quatre saisons”
Le modèle du ski “tout-puissant” semble aujourd’hui atteindre sa limite. Le Plan Avenir Montagnes, lancé en 2021 dans le sillage du COVID, plaide ainsi pour une diversification des activités. Doté de 650 millions d’euros, ce programme très large a pour ambition de favoriser la “résilience” du tourisme de montagne. Il prévoit le développement d’équipements destinés aux quatres saisons, un soutien à la transition écologique, une facilitation des mobilités ainsi qu’une aide à la rénovation des logements. Il mentionne également l’importance d‘un équilibre avec les activités d’agriculture, dont les besoins en eau sont importants et qui permettent de faire vivre le tissu local tout au long de l’année. En France, la station de basse altitude de Métabief fait office de précurseur en étant l’une des rares à avoir acté la fin du ski alpin à l’horizon 2035. Des initiatives similaires existent dans les Pyrénées, par exemple la station de Puygmal. À court terme, cela consiste à trouver de nouveaux usages à l’existant en valorisant les remontées mécaniques pour le VTT par exemple. A plus long terme, il s’agit d’amorcer une véritable transformation culturelle, en particulier avec les professionnels du tourisme afin qu’ils orientent leurs activités vers les thèmes porteurs du bien-être ou de la déconnexion. Les mêmes problématiques se posent dans l’Est de l’Ontario, en Italie ou en Suisse…
La difficile reconversion de l’immobilier de montagne
Dans ce contexte d’incertitude, la question de l’immobilier est un sujet majeur. Le principal constat reste aujourd’hui la disparité des situations. Si l’immobilier haut de gamme se porte mieux que jamais – porté d’ailleurs par la diversification des activités – les logements plus accessibles sont touchés par l’inflation et la baisse du pouvoir d’achat. S’il faut toujours compter entre 40 000 et 50 000€ du m2 à Courchevel 1850, le prix baisse à 2000€ dans le Massif Central ou les Vosges. Cette disparité devrait encore être accentuée par des distinctions géographiques de plus en plus marquées. Daniel Scott, professeur de géographie et de management environnemental à l’Université de Waterloo, explique que les stations les plus grandes (ou les mieux situées) risquent de devoir absorber la demande créée par les stations forcées de cesser leur activité. En parallèle, le sujet de la rénovation énergétique devrait également pousser les prix de certains logements vers le bas. Une grande partie des stations ont été construites dans le cadre du plan neige dans les années 60 et 70 et l’on compte aujourd’hui 38% de passoires énergétiques en montagne. Une situation qui pourrait se heurter prochainement à l’interdiction de location des logements étiquetés E, F ou G au DPE.
Montagne et mobilités durables
Le constat est sans appel : les transports représentent une très large majorité du bilan carbone du tourisme de montagne (entre 57 et 74% des émissions de CO2 selon les stations, contre 2% en moyenne pour les remontées mécaniques). L’ANMSM révèle par ailleurs que 89% des Français utilisent la voiture pour se rendre en station, mais seraient massivement prêts à changer de moyen de transport si l’offre était bien développée. Ces constats plaident pour le déploiement d’infrastructures alternatives à la voiture, en particulier pour le dernier kilomètre. L’ANMSM appelle ainsi à une mise en place de trains directs et au développement de la multimodalité, en particulier en connexion avec le rail. Lors d’une conférence organisée par le CEREMA, des témoignages ont également mis en valeur l’efficacité du covoiturage (Covoit’Santé 63) et des politiques cyclables (Communauté de Communes Cœur de Chartreuse). Le transport par câble pourrait également faire partie de la solution. Entre Salt Lake City et Alta, un projet de télécabine (qui serait le plus long au monde) vise ainsi à mettre fin aux engorgements interminables (joliment surnommés “red snake”) qui bouchent l’accès à la station.
Trojena : vers un ski 100% artificiel ?
Dans le cadre du projet pharaonique NEOM, l’Arabie Saoudite prévoit la construction d’une station de ski au cœur du désert. Déjà désignée pour accueillir les Jeux Asiatiques d’hiver 2029, Trojena incarne la tendance d’un ski totalement artificialisé. Dans le même ordre d’idée, la Chine compte déjà 40 centres dédiés au ski indoor…
source : Neom
Cet article est extrait de la newsletter bimensuelle de Leonard. Inscrivez-vous pour recevoir la version complète.