En Californie, la mobilité urbaine continue sa mue. Une myriade de nouvelles solutions lancées ces dernières semaines ont en commun de se positionner sur le “dernier kilomètre”, ces trajets rapides qui achèvent un parcours plus long (typiquement du domicile au travail).
Les vélos électriques Jump lancent ainsi un programme pilote à San Francisco avec Uber, quand Limebike propose désormais, en complément de sa flotte de vélos, des trottinettes électriques à San Diego et San Francisco. Trottinettes qui sont le cœur de métier de Bird ou Spin, qui colonisent la Bay Area depuis quelques mois. Les skateboards électriques, eux, se sophistiquent en attendant d’avoir leur plateforme de partage,
Haro sur l’autosolisme : opportunités et défis pour les villes
Ces alternatives à l’autosolisme, néologisme évoquant « le » mode de transport du passé (la conduite automobile en solo), ne sont pas nécessairement vues d’un mauvais œil par les municipalités, qui y trouvent un moyen aisé d’afficher leur volontarisme vers une mobilité propre, souple et bon marché (« L’essor de la pratique du vélo à Paris est essentiel pour atteindre les objectifs ambitieux de lutte contre la pollution et de nouveau partage de l’espace public », écrit par exemple la Ville de Paris). Un doux paysage sur lequel le ciel pourrait rapidement se couvrir, comme le note Wired, qui rapproche cette ruée vers la mobilité innovante de celle provoquée par Uber il y a quelques années – deux roues en moins.
Sécurité des piétons, financement de nouvelles infrastructures et congestion… des trottoirs : la gestion de ces nouveaux flux n’a rien d’une évidence. D’autant que la livraison par robot ou par véhicule autonome va elle aussi amener de nouveaux types d’utilisateurs sur les voies urbaines. Si l’agence de transport de San Francisco évacue aujourd’hui la question d’une voie réservée aux trottinettes, les infrastructures actuelles ne seront pas éternellement adaptées. De surcroît, le free floating (sans station), qui trouve progressivement son modèle économique, ne facilite pas nécessairement l’harmonie sur les trottoirs. Quant aux règles de circulation de ces objets roulants encore mal identifiés, elles sont largement méconnues des utilisateurs – aux États-Unis, les trottoirs ne sont censés accueillir que des véhicules légers non-motorisés, et ce uniquement du crépuscule à l’aube.
Urbanisme du trottoir et enjeux financiers
La maîtrise de cet avenir massivement multimodal, dans lequel les revenus générés par le stationnement des voitures sont amenés à se dégonfler, ne peut évidemment se résumer à la réglementation de l’usage des trottinettes. Celle-ci fait néanmoins l’actualité, en particulier à San Francisco où la municipalité a récemment introduit l’obligation pour tout nouvel acteur d’obtenir un permis avant de pouvoir opérer, afin de s’assurer que ces nouveaux usages ne viennent pas complexifier davantage et perturber outre-mesure les flux de transport existants, en particulier sur les trottoirs.
Il s’agit en effet d’une question cruciale pour les villes et leurs finances – dimension qui explique peut-être l’intransigeance observée du côté des gouvernementaux locaux. Outre San Francisco, et la « tension » observée entre opérateurs et municipalité, la ville de Santa Monica (Californie toujours) a ainsi récemment condamné Bird à une amende de plus de 300 000 $ pour avoir opéré sans licence adéquate. Les villes américaines sont par ailleurs de plus en plus nombreuses à augmenter leurs taxes sur les applications VTC.
Un véritable urbanisme financier du trottoir se développe. « Le trottoir est l’espace le plus valorisable qu’une ville possède, et l’un des plus sous-utilisés », écrit l’un des auteurs du récent livre blanc des professionnels américains de la mobilité urbaine sur le « management des trottoirs », selon qui les villes américaines commencent à repenser leur design « trottoir par trottoir ».
Tout ceci dans un contexte où les acteurs publics tentent de mieux documenter l’impact économique d’une gestion intelligente des voies et des flux. Le département des transports de la municipalité de New York affiche ainsi sa volonté de se doter de métriques pour quantifier les bénéfices économiques de ses mesures innovantes (“Better streets mean better business”). Elle a par exemple calculé l’évolution de la croissance économique d’une rue après y avoir implanté une voie de bus (résultat: l’activité y croît trois fois plus dans les rues voisines).
Les grands acteurs privés ne se font d’ailleurs pas prier pour accompagner la constitution de ces nouveaux “savoirs urbains” grâce à leurs plateformes de données et de solutions logicielles (SharedStreets et Movement pour Uber, Replica pour Alphabet), qui témoignent aussi bien de leur volonté de développer de nouvelles offres en direction des pouvoirs publics, que de leur espoir de pacifier une relation parfois chahutée.