Urbanisme temporaire : “Il faut démontrer aux propriétaires qu’il est possible de redonner un usage aux bâtiments”

Face aux enjeux de vacance immobilière et à la volonté de recréer des espaces communs, l’urbanisme temporaire se développe un peu partout dans les territoires. Anne-Sophie Bonin-Ziadi, fondatrice de Tempo et Joanna Haddad, coordinatrice du projet Bercy Beaucoup pour l’association Yes We camp, se rencontrent pour discuter des enjeux de son développement.

Tempo identifie des bâtiments tertiaires vacants pour leur trouver des usages temporaires. Selon leur configuration, l’objectif est qu’ils soient loués comme bureaux à des prix bien en dessous de ceux du marché ou transformés en centre d’hébergement d’urgence. Tempo fait le lien entre le monde de l’immobilier (les foncières et les investisseurs) d’une part et le monde de l’ESS (essentiellement associatif) d’autre part pour prolonger la durée de vie d’un immeuble avant sa mutation définitive. Tempo fait partie du programme Intrapreneur 2022 de Leonard.

Yes We Camp est une association loi 1901 née en 2012 pour créer un lieu accueillant, écologique et artistique, dans le cadre de Marseille Capitale Européenne de la Culture 2013. Aujourd’hui, l’association compte 65 salariés, avec pour cœur de métier l’activation, pour une durée limitée, d’espaces disponibles, transformés progressivement pour y faire cohabiter des fonctions et des publics variés. A Bercy Beaucoup, friche ferroviaire d’un hectare situé sur la ZAC de Bercy Charenton à Paris, Yes We Camp travaille depuis mai 2022 avec des partenaires afin de faire émerger des initiatives à impact positif tout en travaillant avec les habitants et les aménageurs à préfigurer sur ce terrain le développement du futur quartier de Bercy Charenton. Le projet Bercy Beaucoup est notamment soutenu par la Fondation VINCI pour la Cité.

L’urbanisme transitoire, qu’est-ce que c’est ?

 Joanna Haddad​​ : C’est intervenir, sur une période donnée, sur un espace disponible, souvent entre deux types d’activités (un hôpital remplacé par un ensemble de logements, une friche ferroviaire qui deviendra un jardin public…), afin de faire émerger collectivement de nouveaux usages qui préfigurent les usages possibles du futur du lieu.

On peut identifier, au moins, deux objectifs de l’urbanisme transitoire. D’abord, limiter au maximum la vacance immobilière, puisqu’on sait que certains espaces peuvent rester vacants plusieurs années entre deux projets urbains. Ensuite, créer des lieux dédiés à l’écoute, des espaces communs disponibles invitant chacun et chacune à s’impliquer et à proposer des usages innovants et expérimentaux pour influer à plus large échelle sur la suite du projet urbain, autant que possible.

A Bercy Beaucoup, par exemple, Yes We Camp permet l’expérimentation de nombreux usages (une guinguette, un jardin partagé, un sauna, un espace de sport, des assises, une ressourcerie, des jeux pour enfants, une pépinière…) et travaille avec les institutions, aménageurs, urbanistes, agences de concertation à intégrer ces nouveaux usages au futur du projet urbain.

Anne-Sophie Bonin-Ziadi : De nombreuses autres opérations d’urbanisme transitoire peuvent également voir le jour en intervenant sur de simples immeubles de bureaux vacants qui deviennent de plus en plus nombreux du fait des changements d’habitude de travail et de leur vétusté. En Ile de France, plusieurs millions de mètres carrés d’immeubles tertiaires sont ainsi concernés par la vacance.

Quels sont les spécificités des projets que vous développez pour répondre à ces enjeux ?

Joanna Haddad​​ : Yes We Camp adopte une approche contextuelle et pluridisciplinaire : le projet évolue selon la durée d’occupation (de 3 jours à 12 ans…), les caractéristiques de l’espace (bâti ou non, surfaces disponibles, …), les besoins des habitants… L’association développe des partenariats multiples comme avec l’association de végétalisation Coup de Pousses à Bercy Beaucoup mais aussi avec les institutions comme la Ville de Paris ou encore avec des coopératives et entreprises (Plateau Urbain et Petite Lune à Bercy Beaucoup).

Sur les lieux Yes We Camp, la part-belle est faite aux initiatives d’implication volontaire, en laissant aux bénévoles la possibilité d’utiliser les ressources disponibles pour expérimenter, développer des projets… La gouvernance se fait collectivement, avec des modèles économiques hybrides et propres à chaque projet (recettes marchandes, subventions publiques, investissements).

Anne-Sophie Bonin-Ziadi : Tempo se focalise quant à lui sur les immeubles tertiaires vacants de plus de douze mois pour poursuivre une exploitation en bureaux ou de plus de 18 mois pour une transformation en hébergements temporaires. L’enjeu est de démontrer aux propriétaires qu’il est possible de redonner un usage à ces bâtiments et qu’ils sont utiles à la société.

On observe que la mise à disposition d’immeubles vacants est plus souvent le fait d’organismes publics que de propriétaires privés, qui sont encore peu familiers avec l’occupation temporaire et surestiment les risques qui l’accompagnent. En réalité, l’occupation temporaire est pour eux un moyen concret de maximiser leur impact social et de renforcer leur politique RSE. Ce sujet devient structurant pour certains propriétaires qui vont jusqu’à se constituer en société à mission. Notre mission, chez Tempo, est de leur offrir un cadre qui leur garantit que leur bien sera opéré sans risque, pour un coût nul et un impact social maximal.

Quels sont les défis pour développer une offre dans le secteur ?

Anne-Sophie Bonin-Ziadi : Il faut réussir à ce que les temporalités de chacun des acteurs qui interviennent (du propriétaire aux associations en passant par les administrations délivrant les autorisations ou finançant des transformations) s’enchaînent rapidement. Le temps est compté pour faire émerger le projet, amortir les investissements sur une durée limitée et équilibrer financièrement le projet.

Joanna Haddad : Je rejoins Anne-Sophie sur cette problématique des délais et des démarches administratives. Nous travaillons sur des projets de temps relativement court avec cependant des délais d’instruction longs pour les demandes d’autorisations, qui peuvent énormément retarder les calendriers de projet. Pour prendre l’exemple de Bercy Beaucoup, lieu sur lequel je suis mobilisée, nous sommes soumis aux règles de l’urbanisme classique tout en sachant pourtant que nous intervenons sur des temps beaucoup plus courts, avec des aménagements légers.

Certaines évolutions peuvent-elles encourager l’urbanisme transitoire ?

Joanna Haddad : L’urbanisme transitoire est une démarche relativement nouvelle, innovante, qui n’est pas encore connue de tous les organismes et pour laquelle peu de dérogations aux normes ont été établies jusqu’à aujourd’hui. Sensibiliser les professionnels à la démarche de l’urbanisme transitoire, lui appliquer des principes comme l’a fait la Ville de Paris via l’établissement d’une Charte de l’Urbanisme Transitoire ou comme l’a initié la Région Ile de France en créant ses Rencontres de l’Urbanisme Transitoire sont des initiatives qui servent les intérêts des acteurs et actrices du secteur.

Anne-Sophie Bonin-Ziadi : Effectivement, il est nécessaire de continuer à faire connaître cette démarche auprès des propriétaires, à leur proposer des prestations de services pour y recourir naturellement et ainsi systématiser la démarche, ce qui permettra de réduire leurs craintes sur la restitution à bonne date de leurs actifs. Mais il est aussi nécessaire qu’il y ait plus d’opérateurs tels Yes We Camp pour exploiter ces lieux à l’échelle de tout le territoire. Les acteurs de toute la filière doivent ainsi se développer en parallèle, pour identifier plus de bâtiments vacants et les exploiter efficacement.

Quels sont vos objectifs de développement pour l’année qui vient ?

Anne-Sophie Bonin-Ziadi : Tempo a pour ambition d’ouvrir, d’ici la fin de l’année, un premier site mixte d’hébergement temporaire et de bureaux pour valider son modèle économique, avant de pouvoir se développer. L’ambition serait d’ouvrir trois ou quatre sites l’année prochaine en se focalisant sur les grandes métropoles.

Joanna Haddad : Pour Bercy Beaucoup, nous avons l’ambition d’ouvrir au printemps 2023 deux équipements couverts pour permettre une exploitation continue du site et le rendre moins dépendant des conditions météorologiques. Le premier équipement, une ressourcerie des plantes et des matériaux dédiée au jardinage, est porté par l’association Coup de Pousses. Le second, une Rotonde de 150m2 construite par Yes We Camp, visera à accueillir des séminaires, assemblées générales et journées d’entreprises ; mais aussi des événements dédiés aux porteurs et porteuses de projet du site : projections, conférences, tables rondes, concerts, bals…

Contacts :

Anne-Sophie Bonin-Ziadi : anne-sophie.bonin@weareleonard.com

Joanna Haddad : joanna.h@yeswecamp.org

 

 

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