Ville verticale : vivre toujours plus haut

La ville verticale, qui élèverait de véritables "canopées urbaines" à des hauteurs inédites, est-elle une voie d'avenir pour la ville durable ?

Joseph Chan, Kam Shan Country Park, Hong Kong

Dès 1927, le réalisateur allemand Fritz Lang imaginait avec Metropolis une société installée dans une mégalopole verticale. Près de cent ans plus tard, les gratte-ciels n’ont jamais été si nombreux. Les cinq tours les plus hautes du monde sont sorties de terre après 2010, et la course au record n’est pas la seule motivation de ces nouveaux projets.

D’après les Nations unies, la population mondiale devrait atteindre 9,8 milliards en 2050 et 11,2 milliards en 2100. Mais si ce chiffre augmente, la superficie des espaces habitables, elle, n’est pas infinie, et les conséquences de l’artificialisation des sols alimentent des préoccupations de plus en plus pressantes. Au-delà du défi architectural et technique, les tours prétendent apporter des solutions aux problèmes de notre temps.

 

Villes verticales, écoquartier et folie des grandeurs

L’un des projets emblématiques qui réfléchit à la conception de la ville verticale est né en 2012 et s’intitule Vertical City. Cette organisation sino-américaine à but non lucratif, fondée par l’architecte chinois Ken King, souhaite lancer une “conversation mondiale autour de la ville verticale comme solution à un futur durable”. Son travail se fonde sur l’ouvrage Vertical City: A Solution For Sustainable Living, co-écrit par Ken King, qui recueille les témoignages d’architectes, de designers, de biologistes et d’écologistes. Cette vision dessine un ensemble de plusieurs méga-tours reliées entre elles, respectueuses de l’environnement, autosuffisantes et pouvant atteindre jusqu’à 1 kilomètre-et-demi de haut.

De son côté, l’architecte belge Vincent Callebaut mène avec l’agro-écologiste Amlankusum le projet Hyperions (du nom du séquoia, l’arbre le plus haut du monde), qu’il présentait en juillet à Leonard:Paris. Il planifie également la construction de six tours en bois à New Delhi, en Inde. L’objectif annoncé de ces différentes réalisations est de combattre l’écocide, terme juridique encore un peu flou désignant la pénalisation de la destruction massive des écosystèmes. Dans son manifeste, Amlankusum plaide pour une “révolution agroécologiste”, destinée à “réconcilier l’urbain et l’agriculture avec la protection de l’environnement et la biodiversité”. Cet écoquartier vertical abritera des logements, bureaux, laboratoires, un gymnase ou une piscine biologique. Des capteurs solaires et des lampadaires éoliens seront installés sur les façades pour assurer la production d’eau chaude, l’éclairage ou la charge de voitures électriques. Des poissons seront élevés en bassins et leurs déjections utilisées comme engrais pour les légumes grâce au système d’aquaponie. Vincent Callebaut précise que le projet devrait se concrétiser en 2020.

L’objectif de ces villes est d’économiser de l’énergie (voire d’être productrices d’énergie) et d’accompagner l’augmentation de la population tout en préservant les espaces agricoles et naturels pour la production alimentaires et les loisirs. La hauteur de l’édifice est pensée comme un atout : elle facilitera l’utilisation de l’énergie éolienne pour la production d’électricité et un système de répartition de la température assurera des économies grâce à la climatisation “naturelle” des vents.

 

Le bois pour conquérir les hauteurs ?

Si le plus grand édifice en bois d’Europe, au large d’Istanbul, est en train de dépérir faute d’entretien, le bois pourrait faire son grand retour car le projet Hyperions n’est pas le seul à miser sur cette matière première. La société japonaise Sumitomo Forestry compte bien construire le plus haut gratte-ciel en bois au monde à Tokyo. Prévu pour 2041, il ferait culminer logements, bureaux, commerces et hôtel à 350 mètres.

La faible densité du bois (17 fois moindre que celle de l’acier) promet d’alléger la structure des tours. Ses propriétés mécaniques offriraient une solution résiliente aux vents auxquels sont soumis les immeubles de grande hauteur. Contrairement aux idées reçues, le bois est aussi un matériau résistant au feu : la couche externe des bois carbonisés protège le coeur du bois.

Les 90% de bois dont seront composés le bâtiment seront utilisés “pour lutter contre le réchauffement – le gratte-ciel fixera l’équivalent de 100 000 tonnes de CO2, d’après l’entreprise – [et] pour soutenir la filière japonaise, dont les vastes forêts sont mal en point, expliquait récemment Le Monde. Les 10% restants seront en acier, un matériau résistant aux séismes, fréquents au Japon.

Plus que l’architecture et le matériau utilisé, d’autres facteurs limitants entrent en jeu : de telles hauteurs nécessitent de repenser le fonctionnement des réseaux de communication, de climatisation et d’énergie. Les ascenseurs ont atteint leur limite en l’état. Dans un bâtiment très élevé, quelque soit le matériau de construction, il s’agira de diviser les “ascenseurs locaux” (pour quelques étages) et les “ascenseurs express” (pour monter très haut rapidement). Mais la vitesse de ces derniers, et l’inconfort procuré, est une question qui reste en suspens pour le moment.

 

Sommes-nous prêts ?

Mais plus que la dimension physique, c’est la dimension psychologique et sociale de l’humain qui pose question, car le plus grand défi de la ville verticale réside dans la capacité d’adaptation des   humains qui y vivraient. L’ingénieur banglado-américain Fazlur Khan déclarait dès les années 1970 : “Aujourd’hui, sans rencontrer de véritable problème, nous pourrions bâtir un immeuble de 150 étages. Si nous finirons par le faire et comment la ville sera à même de le gérer ne sont pas des questions d’ingénierie, mais des questions sociales.” Lors de cette même décennie, en 1975, l’auteur de science-fiction J.G. Ballard imaginait ainsi une intrigue dans le troisième volet de sa “trilogie de béton”, I.G.H. On y dépeint l’escalade de violence sociale dans un Immeuble de Grande Hauteur (IGH) ayant dépassé sa taille critique.

Dans un article publié sur The Conversation, Royce Turner et Andrea Wigfield, chercheurs à l’université d’Huddersfield (Royaume-Uni), s’interrogent eux sur les dangers physiques de la vie en hauteur : “Les résidents peuvent être pris au piège dans un incendie, tomber ou sauter de la tour. Le nombre de personnes habitant le bâtiment peut également augmenter la menace de maladies transmissibles telles que la grippe.” Les auteurs expliquent également que ces bâtiments semi-publics peuvent rendre plus craintifs des crimes.

L’ouvrage The Future of Skyscraper est éclairant sur le sujet. L’auteur, Tom Vanderbilt, s’appuyant à la fois sur des références issues de la pop culture et sur une production universitaire fouillée, suggère qu’une vie en hauteur augmente le risque de criminalité, retarde le développement des enfants et favorise l’entre-soi social… Une vie à une telle hauteur pourrait aussi, selon lui, impacter notre perception de l’espace et des dimensions. Dans son essai A Pattern Language, l’anthropologue et architecte américain Christopher Alexander affirme : « Plus les gens vivent loin du sol, plus ils sont enclins à souffrir de troubles mentaux. » Dans The Transparent City, le photographe Michael Wolf dépeint en effet une vie verticale déshumanisée et isolée, à la manière d’un Tati, au sol, dans Playtime.

Envisageable techniquement, la ville verticale n’est pas nécessairement viable, et soulève de nombreuses questions sur le bien-être de ses habitants. La réintroduction de la nature en ville et tous ses corollaires pourra-t-elle compenser ces maux ? Après tout, certains habitants du John Hancock Center à Chicago (344 mètres de hauteur) soulignaient leur sensation “d’être à la campagne”.

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