Building Beyond – Jour 2 – Préparer le temps long des villes et des territoires

La transition environnementale des villes doit se penser dans un monde vieillissant, tant du point de vue des populations que des infrastructures. En 2030, les baby-boomers nés en 1945 auront 85 ans et les plus de 65 ans constitueront le premier groupe d’âge dans de nombreux pays. Le patrimoine urbain pose des enjeux inédits de maintenance, de renouvellement et d’adaptation aux nouveaux usages. Comment les villes peuvent-elles anticiper les nouveaux défis du temps long ? Retour sur la deuxième journée de Building Beyond.

La transition environnementale s’inscrit dans un contexte inédit de vieillissement démographique et des infrastructures. Dans de nombreux pays, les effectifs des « baby-boomers » deviennent des « seniors » en même temps qu’un grand nombre d’infrastructures structurantes, issues de la forte croissance économique des Trente Glorieuses.  En parallèle, les acteurs de la ville conçoivent les infrastructures de demain, qui devront tenir compte du réchauffement de la planète autant qu’elles devront s’adapter aux besoins de populations âgées plus nombreuses. Un défi au long cours pour le secteur de la construction et de l’aménagement, qui implique des transformations en profondeur des métiers et des techniques.

 

Les ruines, ces traces des villes disparues, nous invitent à penser le long terme. Ces fragiles transitions entre la mémoire et l’oubli, dont le rôle et l’importance varient à travers le monde, rappellent à la fois que les plus grandes œuvres finissent par être emportées par le temps, en même temps qu’elles peuvent traverser les générations. L’historien Alain Schnapp, auteur d’une monumentale « Histoire universelle des ruines », expose avec brio les fonctions symboliques, politiques et matérielles des ruines.

 >(re)voir la conférence d’Alain Schnapp, archéologue et historien, professeur émérite à l’université de Paris I, fondateur puis directeur de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA), « Le bel avenir des ruines : quand les traces du passé inspirent le présent et le futur »

 

Changement climatique, numérisation, vieillissement des matériaux, inadaptation aux nouveaux usages… Les facteurs d’obsolescence des infrastructures sont nombreux. L’enjeu climatique s’impose comme une grille de lecture majeure, au point que les aménageurs parlent d' »obsolescence climatique », ainsi que le relève Vincent Louvot, de VINCI Immobilier. La numérisation joue, elle, dans deux directions opposées. Les cycles courts des équipements numériques représentent un risque d’obsolescence si leur interopérabilité et leur adaptabilité futures ne sont pas suffisamment anticipées ; mais capteurs et data sont désormais clé pour piloter la maintenance des ouvrages et des infrastructures dans la durée, par exemple l’intelligence artificielle appliquée aux infrastructures routières. Dans le temps long, la réversibilité et l’adaptabilité s’imposent comme des approches décisives pour prolonger la durée de vie des ouvrages indispensables au quotidien.

> (re)voir la table ronde « Contre l’obsolescence des infrastructures urbaines: faire durer, transformer, réorienter » avec Vincent Louvot, Directeur de Département Adjoint Immobilier d’Entreprise, VINCI Immobilier; Amelia Rung, directrice du développement, VINCI Autoroutes; David Zambon, Directeur Infrastructures de transport et matériaux, CEREMA

 

Face au vieillissement démographique, la robotisation des chantiers est un atout pour répondre aux défis de recrutement, de sécurité et de qualité des chantiers de demain. C’est la conviction de nombreuses startups qui proposent des solutions pour un nombre croissant d’actes dans le domaine de la construction : isolation, peinture ou manutention… Avis partagé par les groupes historiquement dédiés à la recherche de solutions techniques pour le secteur, comme Hilti ; et les constructeurs eux-mêmes, à l’image de VINCI, qui développe sa propre plate-forme robotique, Robots for Site.

> (re)voir la table ronde « Robots, exosquelettes… À la rencontre des nouvelles équipes de chantier » avec Pierre Barcelo, chef d’entreprise, Robots for Site; Romaric Gomart, fondateur et CEO PaintUp, Audrey Massy, responsable marketing Q-BOT, Philippe Portier, chef de projet Département méthodes, Hilti

 

Le vieillissement de la population sera un marqueur décisif de la décennie 2020 avec deux millions de 75-84 ans supplémentaires en 2030. Toutes les villes ne sont pas également accueillantes pour les personnes âgées. Les grandes métropoles, actives, parfois festives, aux mobilités moins douces qu’on veut bien le dire, tendent à être délaissées par celles et ceux qui le peuvent pour les villes intermédiaires des littoraux. Mais partout, les besoins d’aménagements spécifiques, et de logements adaptés, s’affirment. Comment faire de la ville un espace bienveillant envers les personnes âgées, tout en préservant son dynamisme intergénérationnel ? C’est l’équation qu’ont à résoudre aménageurs, architectes et constructeurs.

> (re)voir la table ronde « Peut-on bien vieillir en ville » avec Luc Broussy, Président de France Silver Eco, Meriem Chabani, architecte urbaniste associée, New South, Julien Damon, professeur associé, Sciences Po, Eric Lapierre, co-fondateur et PDG d’Ovelia VINCI Immobilier

 

Routes romaines persistant à travers les siècles, réseaux métropolitains reconvertis en refuges… Les infrastructures de transport enjambent les générations et nourrissent les imaginaires. Alors que les débats sur la transformation de certaines des infrastructures emblématiques du XXe siècle se multiplient – comme le boulevard périphérique à Paris – Pierre Bordage, écrivain de science-fiction incontournable sur la scène française, échange avec Stéphanie Leheis, chercheuse en urbanisme spécialiste de la requalification des infrastructures de transport. Pierre Bordage a publié « Métro Paris 2033 », transposant dans le contexte parisien une idée du romancier moscovite Dmitry Glukhovsky, « Métro 2033 » : à la suite d’une catastrophe nucléaire, la population se réfugie dans les souterrains du métro. Les générations s’y succèdent, mutent, luttent, espèrent retrouver la surface. Cette fiction inspire une conversation enlevée sur la fragilité des civilisations industrielles, le devenir des infrastructures dans le temps très long. Stimulant.

> (re)voir la rencontre « Imaginer le futur long des infrastructures de transport » avec Pierre Bordage, romancier de science-fiction et Stéphanie Leheis, urbaniste, chercheuse indépendant

Sources

– Alain Schnapp, « Histoire universelle des ruines », Le Seuil, 2020

– Luc Broussy « Nous vieillirons ensemble… 80 propositions pour un nouveau pacte entre générations », Rapport interministériel   sur l’adaptation des logements, des villes, des mobilités et des territoires à la transition démographique, 2021

 L’intelligence artificielle appliquée aux infrastructures routières et à la maintenance prédictive, Perspectives et besoins de R&D, Cerema/Leonard  

– « Le printemps de l’hiver », étude portée par la Maison de l’architecture Île-de-France, avec le soutien d’EpaMarne-EpaFrance et AG2R La Mondiale, 2020

– Pierre Bordage, Métro Paris 2033, L’Atalante, 2020

Chiffres clés

– 1503 : première trace documentée d’une fouille archéologique préventive

– 9 déplacements motorisés sur 10 se font sur autoroute

– en France, dans le secteur de la construction, 1/3 des compagnons devrait partir à la retraite d’ici 2030

– 1/4 de la population française aura bientôt plus de 65 ans

À méditer

Alain Schnapp

« Les ruines posent la question de l’équilibre toujours instable entre destruction et conservation »

Amélia Rung

« Le métier de concessionnaire est un métier du temps long ; le défi de demain, c’est d’accompagner la transition écologique avec les territoires traversés. »

Vincent Louvot

« Pour le projet de village olympique pour Paris 2024, nous avons d’abord pensé à l’héritage, plutôt qu’au temps court. Les JO, c’est une fenêtre de 15 jours. Le projet d’aménagement, lui, s’inscrit dans la durée, pour 50 ans et davantage. »

Philippe Portier

« Les méthodes traditionnelles ne peuvent plus répondre aux exigences d’aujourd’hui, en particulier sur le plan des délais, toujours plus courts; l’enjeu est aussi de réussir à construire « tel que conçu » – la numérisation, l’automatisation et la robotisation sont pour celà incontournables. »

Luc Broussy

« La ville des 300 mètres, ou ville dite « du quart d’heure », c’est, de fait, celle des seniors: c’est bien souvent leur périmètre de vie au quotidien. Aujourd’hui, la ville ne suit pas encore ce modèle, elle est souvent hostile, ne serait-ce que parce que bancs ou toilettes publiques font défaut. »

Meriem Chabani

« Ouvrir certains services clés des résidences pour personnes âgées sur la ville est une piste très stimulante; on peut imaginer que des salons de coiffure, des boulangeries, et autres équipements profitent aux résidents autant qu’au voisinage urbain. »

Pierre Bordage

« Dans toute histoire qui inscrit la survie de communautés dans ce qui reste des infrastructures modernes se posent en général deux questions essentielles: les erreurs du passé seront-elles reproduites ? Les communautés survivantes trouveront-elles de nouveaux moyens de subsister ? »

Stéphanie Leheis

« Les infrastructures de 2050, en grande partie, sont déjà là – et il s’agit d’en prolonger l’héritage  –, ou sont en cours de construction. Nous ne sommes pas en train de les imaginer car 2050, à l’échelle des infrastructures, c’est demain. Je crois ainsi davantage, à cet horizon, aux aménagements ponctuels, tactiques, aux requalifications. »

Regards neufs

sur la circulation des biens et marchandises dans le régime de mondialisation actuel. Pour Alain Schnapp, l’expansion intense des activités de transport et de stockage commerciales pourrait fort bien porter en germe des ruines dont nous ne prenons pas encore la mesure.

sur l’autoroute : Amélia Rung souligne que dans le domaine autoroutier, l’empreinte carbone la plus importante est celle de l’usage, le « scope 3″ des comptabilités carbone. L’enjeu est donc d’adapter l’autoroute aux mobilités décarbonées, via le déploiement de stations de recharge électrique ou hydrogène, les arrêts de bus en secteur périurbain, etc. »

sur les mobilités « douces » : pour Julien Damon, les mobilités dites « douces » sont en réalité, pour de nombreuses personnes âgées, des mobilités « dures » : trottinettes et vélos sont souvent perçus comme des dangers, et la ville du piéton – statut fondamental des personnes âgées – reste à parfaire.

 

sur la robotisation : réduire les accidents, la pénibilité, améliorer l’efficacité opérationnelle : la démonstration de la pertinence de l’usage des robots sur les chantiers est faite. Mais, pour Pierre Barcelo, l’accent doit être porté sur la simplicité et la sûreté d’utilisation. Les robots doivent pouvoir s’insérer facilement et sans risque sur les chantiers, et être accessibles à des compagnons non spécialistes.

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