Coup de chaud (et de froid) sur l’énergie
La production de chaleur est aujourd’hui le premier poste de consommation finale d’énergie dans le monde. Elle représente 50% de la consommation globale et contribue pour 40% aux émissions de CO2. Une moitié de cette énergie est utilisée par l’industrie alors que l’autre est dédiée au chauffage des bâtiments (eau et cuisine comprise). Du côté du mix énergétique, la tendance est à la chasse aux fossiles qui restent largement majoritaires et fournissent 64% de l’énergie de chauffage. Malgré des efforts d’incitation importants (en France, la loi relative à l’énergie et au climat de 2019 fixe un objectif de 33% de chauffage d’origine renouvelable d’ici 2030) la part des énergies renouvelables dans le mix reste faible, autour de 10%.
Si la production de chaleur est aujourd’hui au cœur de l’actualité – notamment dans le sillage de la guerre en Ukraine – sa sœur jumelle (la production de froid) n’est pas en reste. La Netherlands Environmental Assessment Agency estime en effet que la quantité d’énergie nécessaire à la production de froid pourrait dépasser celle nécessaire à la production de chaleur d’ici 2060. Dans le même ordre d’idée, l’Union Européenne estime que la consommation d’énergie liée à la production de froid devrait augmenter de 72% d’ici 2030, pour une baisse de l’ordre de 30% pour l’énergie de chauffage. Les deux mouvements étant portés par le réchauffement climatique.
Electricité et biomasse : l’avenir du chauffage individuel ?
Alors que l’urgence est à la réduction drastique de la part des énergies fossiles dans tous les domaines, le chauffage ne fait pas exception. Dans ce contexte, biomasse et électricité font figure d’énergies d’avenir. La première – issue de matière organique quelle qu’elle soit – cherche aujourd’hui à se réinventer. Que l’on parle de combustion, de co-combustion, de pyrolyse, de gazéification ou de décomposition anaérobie, le principal enjeu de la production d’énergie grâce à la biomasse tient dans la gestion raisonnée des ressources. Il est fondamental qu’elle n’empiète pas sur la satisfaction des besoins alimentaires et demande une adaptation de la gestion des forêts. Selon WWF, la gestion durable des forêts permettrait de mobiliser un volume de biomasse-solide pour l’énergie correspondant à 15 % de la consommation énergétique de la France en 2050. Quant à l’électricité, elle est amenée à remplacer les sources fossiles comme le gaz dans le mix énergétique, à travers le développement des pompes à chaleur ou des piles à combustible (fonctionnant par électrolyse à partir d’hydrogène).
Les promesses des pompes à chaleur
De manière très générale, la pompe à chaleur (PAC) fonctionne sur le principe d’un transfert de calories d’un milieu froid à un milieu chaud. S’il existe toutes sortes de technologies et de modes de transfert, les pompes aérothermiques (transfert air/air ou air/eau) sont aujourd’hui les plus installées dans les logements car elles nécessitent relativement peu de travaux. Le principal avantage des PAC réside dans leur efficacité énergétique et leur capacité à se passer des énergies fossiles. Le plan REPower EU de la Commission européenne (qui a pour objectif d’assurer l’indépendance énergétique de l’UE) fixe ainsi un objectif de 30 millions de systèmes installés d’ici 2030, soit le double du parc actuel. Selon l’AIE, la technologie représente la principale solution afin de faire baisser la consommation énergétique liée au chauffage des bâtiments : 600 millions de pompes à chaleur devraient couvrir 20% des besoins en chauffage d’ici 2030 à l’échelle mondiale.
L’efficacité du principe des pompes à chaleur motive aujourd’hui un foisonnement d’innovations. Le projet SunHorizon, qui regroupe un consortium de 21 institutions de recherche, entreprises industrielles et organisations publiques s’est ainsi fixé pour objectif d’optimiser l’intégration des pompes à chaleur avec les panneaux solaires. Les promesses sont également importantes dans le domaine industriel, qui tente aujourd’hui de développer des PAC capables d’atteindre des hautes chaleurs. Grâce à l’utilisation de la force centrifuge, la Rotation Heat Pump de Ecop parvient à atteindre les 150° tout en s’adaptant aux contraintes de flexibilité de l’industrie.
Les réseaux de chaleur, solution d’avenir pour les villes ?
Devant la forte demande en énergie liée au chauffage et face aux impératifs de sobriété et de décarbonation, les réseaux de chaleur constituent une réponse incontournable, en particulier pour les villes. Ces dispositifs centralisés permettent en effet de mettre à contribution des sources renouvelables et de récupération comme la géothermie, ou la chaleur fatale issue de l’industrie. En France, les 898 réseaux de chaleur existants fonctionnent à 62,6% à partir d’énergie renouvelable ou de récupération. Pour ne citer que quelques exemples, les hauts fourneaux d’ArcelorMittal à Dunkerque, l’Unité d’Incinération des Ordures Ménagères de Bègles, ou le data-center de Bailly-Romainvilliers sont ainsi mis à contribution afin de chauffer les habitants localement. En France, l’ADEME estime que le gisement lié à la chaleur fatale – c’est-à-dire la quantité totale d’énergie théoriquement récupérable issue de processus industriels – est de 109,5 TWh.
Portés par une conjoncture très favorable, les réseaux de chaleur innovent et cherchent à déployer de nouvelles énergies. En Suisse, un réseau utilisant du CO2 comme fluide est aujourd’hui testé dans les sous-sol de du campus Energypolis à Sion. Capable de générer dix fois plus d’énergie que l’eau dans des canalisations dix fois plus compactes, le CO2 est selon les concepteurs du système un vecteur d’avenir pour la chaleur. A Helsinki, un grand projet de réseau de chaleur (fonctionnant sur le même modèle que les pompes à chaleur) ambitionne de chauffer la ville à partir des eaux froides de la mer Baltique. Toujours dans le Nord de l’Europe, l’usine suédoise de Högbytorp est un modèle de cogénération et de circularité : elle combine une usine de biogaz qui permet de récupérer des biofertilisants et du compost avec une usine d’incinération en mesure de récupérer les métaux lourds et le sulfate d’ammonium…
Techno, data et optimisation : chauffer en finesse
Le chauffage est un pan incontournable de la fameuse smart-city, et les technologies dites “intelligentes” sont aujourd’hui en mesure de participer à éviter le gaspillage et à optimiser les modes de chauffage. Au niveau individuel, les thermostats intelligents représentent le troisième poste d’économie selon le plan de Sobriété énergétique du gouvernement français (l’installation d’un programmateur permet, en moyenne, d’économiser entre 5 et 15% de gaz). Des installations comme The Cozy de Radiator labs permettent également d’optimiser le fonctionnement des radiateurs anciens en fonte en automatisant la répartition de la chaleur dans les pièces. Au niveau collectif, les systèmes de chauffage intelligents se développent également. Les écoles de Växjö en Suède ont ainsi mis à profit des jumeaux numériques afin de piloter automatiquement la chauffe des radiateurs en fonction du taux de CO2, de la température, de l’humidité, de l’occupation des pièces et de l’ouverture des portes et des fenêtres. Dans le nord de la Chine, des villes expérimentent déjà le chauffage intelligent à grande échelle (en plus d’imposer arbitrairement une chaleur de 18° dans les domiciles) afin de limiter la déperdition d’énergie.
L’absence de chauffage, futur du chauffage ?
Dans les climats tempérés, la meilleure manière de chauffer demain consistera peut-être tout simplement à se passer de chauffage. Si les exemples restent rares, les bâtiments sans chauffage sont aujourd’hui envisageables en adaptant les procédés de conception et de construction. Imaginé en 2013 par l’atelier d’architecture autrichien Baumschlager Eberle, l’immeuble 2226 fait aujourd’hui office de modèle du genre. Les doubles murs de briques porteuses et isolantes garantissent une bonne inertie thermique, La surface vitrée est limitée à 24% et les grandes hauteurs sous plafond favorisent les flux aérauliques. Pour tout chauffage, le bâtiment se contente de la chaleur résiduelle de ses occupants ou des appareils qu’ils utilisent. Un édifice similaire doit être construit à Lyon d’ici 2025 au cœur du quartier Confluence, comme une forme de plaidoirie pour une architecture low-tech.
À travers les logiques de sobriété, les évolutions techniques, l’adaptation de modèles circulaires, ou le recours grandissant aux énergies renouvelables, le chauffage se réinvente et tâche de limiter son impact énergétique. Face à l’ampleur de l’enjeu, le chemin à parcourir reste important lorsque l’on sait que la part du renouvelable dans le chauffage devrait augmenter 2,5 fois plus vite pour s’aligner avec le Net Zero Emissions Scenario de l’AIE.
Cet article est extrait de la newsletter bimensuelle de Leonard. Inscrivez-vous pour recevoir la version complète.