Chargés de concevoir et réaliser les infrastructures de notre vie quotidienne, les ingénieurs ont un rôle central à jouer dans la transition environnementale. Quelles compétences et quelles valeurs leur permettront-elles de relever ce défi ? Comment repenser leur formation universitaire pour mieux inclure les grands enjeux environnementaux ? Et comment prendre en compte leurs nouvelles aspirations au sein de l’entreprise ? Dans le cadre du festival Building Beyond, Leonard a reçu Sophie Mougard, directrice de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées, Ariane Komorn, co-fondatrice de la Solive, une école de la rénovation énergétique résidente chez Leonard et Rémi Vanel, du collectif “Pour un réveil écologique”, pour échanger sur ce sujet d’actualité. Jean-Damien Pô, partner chez Leaders Trust et ancien directeur des ressources humaines au sein du groupe VINCI, animait cette table ronde.
À l’origine du Manifeste pour un réveil écologique
Rémi Vanel, ingénieur de formation, commence par revenir sur la genèse du Manifeste pour un réveil écologique, signé par plus de 30 000 étudiants depuis sa première publication en 2018. Le manifeste visait alors à manifester un désaccord avec le fonctionnement du système économique dans sa globalité, qui ne prendrait pas suffisamment en compte les enjeux du changement climatique, les questions de biodiversité, d’épuisement des ressources, de pollution, de justice sociale.
Les premiers signataires appelaient donc les entreprises à agir en conséquence, à mettre en place les structures nécessaires pour pouvoir changer les choses et permettre aux jeunes diplômés de prendre une part plus active à la stratégie d’entreprise. « Ce Manifeste et ses revendications, précise Rémi Vanel, ne s’adressent pas uniquement au secteur privé. En effet, l’État, premier employeur de France, a un rôle à jouer, particulièrement dans la formation ».
Un effort de la part des écoles
« Je pense que l’École des Ponts a énormément changé, et elle a changé évidemment pour répondre à la fois aux besoins des employeurs et aux attentes des élèves », déclare Sophie Mougard, directrice de l’école nationale des Ponts et Chaussées, l’une des plus prestigieuses écoles d’ingénieurs en France. Elle explique que les étudiants sont voient désormais offrir plus d’interdisciplinarité ; des cours en sciences humaines et sociales leur sont proposés, ainsi qu’une ouverture à la recherche : «actuellement, nous avons douze laboratoires de recherche de niveau international : 100% de nos laboratoires, par les publications, adressent neuf des objectifs du développement durable. Le premier d’entre eux, c’est la lutte contre le changement climatique ».
Sophie Mougard constate aussi que de nombreux étudiants décidés à faire changer les choses prennent le parti d’influencer les entreprises plutôt que de s’y opposer en bloc.
La grande démission ?
Une analyse que ne partage pas complètement Ariane Komorn, qui a travaillé pour le cabinet de conseil McKinsey avant de fonder La Solive, une école dédiée aux métiers de la transition énergétique : « j’ai le sentiment d’être d’une génération de transition : la génération d’avant avait fait assez massivement le choix d’un certain type de métier, de faire de la finance, du conseil aux grandes entreprises. Dès 2014, j’observais que la nouvelle génération de diplômés n’avait plus envie de faire les mêmes sacrifices, et refusait même de travailler pour certains clients. Aujourd’hui, le virage a été complètement pris ».
Un changement de valeur s’est opéré : dans les années 1990, la valeur d’un emploi était souvent jugée à l’aune du premier salaire, poursuit Ariane Komorn. À partir de 2008, il y a eu une prise de conscience. Il y a une plus grande recherche d’alignement entre travail et valeurs. La pandémie a accéléré ce processus en mettant sur le devant de la scène les professions indispensables pour subvenir aux besoins essentiels de la société.
Des connaissances qui évoluent en permanence
Pour Xavier Huillard, président-directeur général de VINCI présent dans l’assistance, « Il faut accepter d’avancer en dépit des incertitudes : c’est quelque chose qu’on apprend dans le monde de la recherche. Restons humbles. Faire passer les élèves par le prisme de la recherche, c’est sans doute une bonne manière, peut-être indirecte, pour les mettre dans la posture qu’il faut avoir pour aborder de façon efficace ces sujets ».
Rémi Vanel rebondit : « On ne va pas arriver à faire changer les structures, que ce soit dans l’entreprise privée, que ce soit dans le public, dans l’administration, les écoles et le corps enseignant si nous n’avons pas ce temps de formation ». La formation des enseignants est également un point central, à ne pas négliger dans la prise en compte de l’évolution des pratiques.
La formation par l’action
Au-delà de la formation initiale, la formation continue est au cœur des enjeux actuels. La Solive propose des formations liées à la transition énergétique qui s’adressent à toute personne désireuse d’entreprendre une reconversion professionnelle. Un enjeu crucial, alors que, selon l’ADEME et le Ministère de la Transition écologique, il manquerait 400 000 personnes qualifiées pour atteindre l’objectif de décarbonation du parc bâti à l’horizon 2050.
« Je crois à la formation par l’action », complète Xavier Huillard, président directeur général de VINCI. Lorsque nous avons lancé le Prix de l’environnement, dans le cadre de notre nouvel engagement environnemental, nous avons mobilisé l’ensemble de nos collaborateurs et ça a marché, au-delà de nos attentes. » Alors qu’ils n’avaient pas nécessairement reçu de formation sur le sujet, les membres des équipes de VINCI « se sont tous révélés incroyablement avertis, conscients et désireux d’être acteurs de cette transition écologique ».