Culture zéro accident
Avec 56 incidents enregistrés pour 1 000 salariés contre une moyenne tous secteurs confondus de 34 pour 1000 d’après l’assurance maladie, le BTP compte parmi les secteurs les plus touchés par les accidents du travail. C’est aussi un de ceux qui œuvre le plus – depuis plusieurs décennies – à briser le plafond de verre. Ainsi des innovations en tout genre fleurissent : elles vont par exemple d’un simple tapis rouge qui marque, chez VINCI Construction France, les zones de circulation sur le chantier, aux exosquelettes permettant de réduire la pénibilité des tâches, en passant par l’analyse vidéo du chantier par des intelligences artificielles capables de détecter les risques. Entre innovation technologique et dans les manières de travailler, tous les moyens sont bons…
Déployée il y a une dizaine d’années par VINCI, l’approche « zéro accident » promeut la culture de la prévention sur les chantiers. Elle se décline en plusieurs axes : l’analyse des risques, l’équipement adapté des compagnons, l’organisation du travail et la sensibilisation. Chaque collaborateur – quel que soit son niveau hiérarchique – est ainsi acculturé aux risques et incité à faire remonter les “presque accidents” qu’il identifie. L’idée qui sous-tend est de rechercher une amélioration continue des processus, ainsi que la généralisation des standards les plus élevés sur les différents sites et pays où opère le groupe.
Sortir de l’accidentologie
Au cœur de ces préoccupations, la philosophie même de la sécurité sur le chantier est en question. Pendant des décennies, l’approche qui a prévalu était celle d’une sécurité au sens le plus strict, c’est-à-dire les accidents de travail. Avec une meilleure connaissance des maladies chroniques et des risques liés à certains produits, s’est amorcé un élargissement des domaines de la sécurité à la santé.
Directeur prévention chez VINCI Construction Grands Projets, Eric Denys témoigne de cette évolution qui s’incarne dans son intitulé de poste. « J’ai commencé en tant que responsable HSE, c’est-à-dire portant les trois sujets hygiène, sécurité et environnement. En gagnant en maturité sur ces questions, nous avons progressivement distingué la fonction prévention, qui regroupe santé et sécurité d’une part, et la fonction environnement d’autre part ».
« Il y a une différence de temporalité entre sécurité et santé. Éviter ou constater un accident c’est immédiat. Pour la santé, il s’agit de temps long : ce sont des problèmes de dos liés au fait d’avoir porté des charges excessives pendant des années, de l’exposition au bruit où à l’amiante… » L’enjeu est alors de détecter les risques et de pouvoir faire un suivi sur toute la carrière d’un employé. À même d’opérer ce suivi, les ressources humaines deviennent peu à peu un acteur central sur ces questions.
Continuer d’innover
Sur ces problématiques, la mécanisation des chantiers a beaucoup amélioré la pénibilité des travaux : le ciment est produit en amont et manipulé sur site par des engins. L’apparition de l’impression 3D en béton pourrait pousser la logique encore plus loin en évacuant les problématiques de coffrages, de séchage ou de manutention. En ce qui concerne le bruit, VINCI systématise les audiogrammes lors des visites médicales et fournit des bouchons d’oreille moulés pour chacun de ses employés. Le groupe conduit également des chantiers pilote pour mesurer la dispersion des poussières et mieux maîtriser les problématiques liées au silice.
« Au niveau de la santé, il y a une innovation dans le mode de pensée qui a été très importante à mon sens, poursuit le directeur prévention. Il y a encore 5 ans, dans certaines entreprises on avait l’impression que pour être performant il fallait que l’idée vienne de la hiérarchie. Aujourd’hui une transition s’est faite, on demande aux gens qui font le travail ce qu’ils en pensent et ce qu’il faudrait faire pour améliorer les choses. Certes, cela ne donne pas de grands changements transversaux, mais tout le monde est impliqué, ce qui veut dire que la solution sera beaucoup plus facile à mettre en œuvre, mais surtout qu’elle sera plus réaliste et plus pertinente. La solution ne peut être que collective. »
La santé positive
D’une certaine manière, on peut reconnaître l’influence de la définition de la santé par l’OMS dans l’évolution de la prévention. En effet, celle-ci définit la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Une définition positive, très large, qui tire les pratiques vers le haut en incluant des problématiques d’ordre psychologique ou de conditions de vie extérieures au chantier.
Elle oppose cependant des obstacles encore difficiles à relever, notamment dans le domaine des grands projets développés aux quatre coins du monde, auprès de cultures et de législations variables. Eric Denys constate que les habitudes de travail sont parfois plus dures à changer dans des pays industrialisés, que dans des pays émergents. Pour autant, il estime que le BTP « arrive à des performances bien meilleures qu’il y a 20 ans. Il y a encore une marge de progrès mais on fait des choses très intéressantes, la méthodologie et la prise de position sont très matures. »